En Corse, la récolte de la clémentine fait appel à la main-d’œuvre venue du Maroc

Depuis cinq ans et face à une production toujours plus soutenue, la filière s’appuie sur une main-d’œuvre acheminée par Air Corsica depuis le Maroc, un pays avec lequel l’Île a des relations historiques.
(Crédits : Reuters)

À vol d'oiseau, quelque 1.800 kilomètres séparent la clémentine corse de la main qui la cueille. Depuis cinq ans et la première année de la crise Covid, un pont aérien est mis en place entre Casablanca, la ville poumon économique du Maroc, et la Corse, dans le but d'acheminer des saisonniers jusque dans les exploitations de clémentines, l'agrume emblématique de l'île. Cueillie à la main, seule en France à bénéficier de l'appellation IGP depuis 2007, elle a acquis une notoriété auprès des consommateurs en raison de ses quartiers juteux et sans pépins, sa saveur sucrée finement acidulée et ses ressources en vitamines et en oligo-éléments.

Cette année, ce sont précisément 1.100 Marocains qui ont été accueillis à Bastia afin d'assurer la récolte d'environ la moitié des producteurs de clémentines, acheminés par la compagnie régionale Air Corsica à la faveur de cinq vols spécialement affrétés lors des trois premières semaines d'octobre.

Des saisonniers déclarés, rémunérés, hébergés

Depuis que l'agriculture s'est développée dans l'île, il y a toujours eu des Corses et des Marocains côte à côte dans les champs. Aussi, ce sont des liens historiques anciens et solides qui unissent le Maroc à la Corse (il y a quelques semaines à peine, Emmanuel Macron décorait le dernier survivant des Goumiers venus libérer l'île du joug nazi en 1943) qui compte sur son territoire 42.000 ressortissants marocains et binationaux.

Jean-Paul Mancel, agrumiculteur de longue date et président de deux organismes leaders dans ce secteur d'activité - l'association des producteurs corses et l'APRODE, l'association de promotion et de défense de la clémentine de Corse - connaît très bien le sujet. Il réfute le terme de « charter » qui, dans son esprit, a une connotation péjorative et ne reflète pas la qualité des rapports humains entre les deux communautés : « Je cultive mes terres depuis cinquante ans. Les Marocains nous ont de tout temps épaulés pour les périodes de récolte. Ils sont aguerris à ce travail qui est très éprouvant. Mais les surfaces dédiées à la clémentine se sont sensiblement étendues et la main-d'œuvre locale se fait de plus en plus rare. Celle que nous réussissons à trouver est mobilisée dans nos différentes stations de conditionnement pour le calibrage, l'emballage, l'expédition et le transport des fruits. Il y a quelques années encore, des saisonniers marocains venaient en renfort par leurs propres moyens, la plupart du temps en prenant le car, le train et le bateau. Ce sont pour nous des visages familiers et, au fil des années, les liens personnels se sont renforcés. Mais avec la crise sanitaire, tout déplacement était devenu impossible, les transports étaient paralysés et nous avons travaillé avec les autorités, la préfecture et l'ambassade du Maroc en France, afin de mettre en place des vols spéciaux qui avaient en plus l'avantage d'être directs. L'expérience a été concluante pour tout le monde et nous la renouvelons depuis chaque année... »

Les saisonniers marocains sont dûment encadrés, déclarés et rémunérés au Smic. Ce sont les producteurs qui les paient et les hébergent. Les services de l'État, la Direccte en tête, veillent rigoureusement au grain. La durée de séjour est celle de la récolte, d'octobre à début janvier. Certains restent parfois sur place un mois de plus pour la taille des clémentiniers et quelques-uns, peu nombreux, ont été recrutés comme permanents pour entretenir les terres, semer, conduire les tracteurs.

Le prix au kilo de mieux en mieux « épluché »

Le dispositif est parti pour durer. La culture de la clémentine est de toutes les activités, celle où la transmission entre générations fonctionne le mieux et de très loin dans l'île. C'est celle aussi pour laquelle de nouveaux producteurs s'installent. Non seulement la notoriété du fruit ne cesse de croître avec les surfaces, mais le réchauffement climatique, qui génère des hivers plus tempérés et des printemps plus chauds, est ici un avantage dès lors que la ressource en eau est bien gérée. Par ailleurs, l'Institut de recherche pour l'agriculture et l'environnement, situé à San Giuliano au cœur de la Plaine orientale, mondialement connu et reconnu pour ses travaux sur les agrumes, planche sur deux nouvelles variétés de clémentine au potentiel d'acidité plus important et donc de nature à prolonger la période de production.

Seul petit accroc dans ce tableau idyllique : la disparité du prix pour le consommateur. Le kilo de clémentines corses peut être vendu à 2,50 euros à Lille et à 5 euros à Bastia, à quelques kilomètres seulement de sa plantation...

Le marché s'organise ainsi, les clémentines sont acheminées sur le continent par voie maritime et entreposées dans différentes plateformes de la grande distribution pour être ensuite réparties sur tout le territoire national. C'est ainsi qu'elles reviennent par palettes en Corse plus chères puisque s'y appliquent la marge bénéficiaire de l'enseigne et le coût du transport. Une excentricité du mécanisme qui a l'écorce dure mais qui est de moins en moins fréquente selon Jean-Paul Mancel. « D'une part, certaines enseignes à l'exemple de Casino ont créé une plateforme en Corse même, et un groupement de producteurs a décidé de privilégier le marché local. Par ailleurs, notre association de promotion et de défense fait régulièrement un relevé des prix sur le Continent et dans l'île. Nous sommes dans un secteur très concurrentiel et s'il y a des abus ou des supercheries pour tromper le consommateur sur la provenance, notre cellule de veille alerte aussitôt les services de l'État de la répression des fraudes. » Aux tricheurs, les pépins...

La clémentine corse c'est...

  • 1.600 hectares sous label IGP (Indication géographique protégée) en Plaine orientale sur la côte Est de la Corse, entre Lucciana et Solenzara
  • Une production annuelle d'environ 32.000 tonnes dont 30.000 sont destinées à l'exportation
  • 180 producteurs (trois quarts réunis en coopératives qui vendent aux enseignes de la grande distribution, un quart d'indépendants qui vendent au réseau des grossistes)
  • Un chiffre d'affaires de 72 millions

Commentaires 8
à écrit le 15/12/2023 à 22:23
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triste pays la France ... qui ne veut plus travailler ....Bravo à nos politiques depuis des années encouragent la vie tranquille et facile ....bientôt on n'aura plus de gens manuels et certains travaux ne se feront plus .... pour exemple regarder ce...

à écrit le 15/12/2023 à 17:15
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Bravo pour cette culture de la clémentine en Corse. Bonne continuation. Une question : pourrait-on voir dans l'avenir d'autres agrumes, avocats ou kiwis avec des productions semblables à la clémentine. 👏🍊🥭🍋

à écrit le 15/12/2023 à 9:55
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La pénurie de main d'oeuvre intermittente française résulte de la "réforme" du statut de saisonnier. Depuis, il devient souvent impossible pour une personne vivant en france de gagner sa vie de cette manière (frais de double résidence, transport, co...

à écrit le 15/12/2023 à 8:49
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Plutôt que d'augmenter les salaires et les conditions de travail. C'est stupide.

à écrit le 14/12/2023 à 19:24
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Ouf! On aura des clémentines de Corse (et d'ailleurs) pour Noël!

à écrit le 14/12/2023 à 19:12
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Est-ce le plein emploi en Corse ?Dur,dur….

le 14/12/2023 à 20:17
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@Fg: Un jour, un corse s'est réveillé et levé; le monde en parle encore.

à écrit le 14/12/2023 à 17:49
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"s'il y a des abus ou des supercheries pour tromper le consommateur" parfois ça peut être lié à une inattention. Quand y a 'clémentines avec feuilles' les gens pensent Corse, mais ça n'est pas exclusif, méfiance (là c'était Espagne, marqué mais si on...

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