Du bon usage de l'histoire dans la crise européenne

La crise identitaire de l'Europe actuelle est-elle la même que celle de la Rome de la république tardive ? Dans un ouvrage passionnant intitulé "Le Déclin", l'historien belge David Engels apporte des réponses et ouvre des perspectives.
Des membres de la Société d'histoire romaine italienne lors d'une reconstitution de l'assassinant de l'empereur Jules César à Rome, le 15 mars. Copyright Reuters

L'actualité nous conduit souvent à envisager la crise européenne sous son aspect économique ou politique. Mais ces crises ne sont que des facettes d'une crise plus profonde, celle de l'identité européenne. Savoir ce qu'est l'Europe pour les peuples européens, ce qui fait le ciment de l'ensemble des nations de l'Union européenne (UE) est en réalité l'essentiel. Car lorsque cette question de l'identité sera réglée, la question de la solidarité économique et de l'appartenance politique à l'Europe le sera également.

La problématique définition de l'identité européenne

Or souvent cette question identitaire, précisément parce qu'elle est gênante, est évacuée par les Eurosceptiques comme par les Fédéralistes. Les premiers en nient en réalité l'existence, tandis que les seconds, reculant devant la menace de créer un « nationalisme » européen tentent de la réduire au dénominateur commun de « grandes valeurs » qui ne sont guère propres à l'Europe et ne sont du reste pas toujours acceptées en Europe même.
Dans un ouvrage récent intitulé "Le Déclin", l'historien Belge David Engels aborde cette question sensible sous un angle original : celui de l'histoire romaine. Il part de ce constat : « contrairement à ce que l'on a pu prétendre, la crise identitaire que traverse l'Union européenne, structurellement et chronologiquement, n'est pas nouvelle : les principaux éléments de cette situation ont déjà été vécus et ont trouvé une solution (...) : la Rome de la république tardive. »

Le point de départ de l'étude de David Engels se situe dans le sondage Eurobaromètre de 2008 où sont énumérées les valeurs communes des Européens, qui sont celles citées dans le traité de Lisbonne. Pour chacune de ces valeurs, il établit une comparaison serrée entre la situation actuelle et celle des derniers temps de la République romaine. Comparaison, il faut le reconnaître, convaincante. La Rome préimpériale semble en proies aux mêmes interrogations que nos contemporains : une identité nationale en pleine redéfinition, une montée de l'individualisme, un besoin de sécurité et d'autorité, un reflux de la religion traditionnelle.

Une conclusion très pessimiste

La conclusion que tire l'auteur de cet étude, c'est que l'Europe, comme Rome jadis, ne pourra régler sa question identitaire en brandissant des « valeurs universelles potentiellement partagées par tous. » Sa conclusion est en réalité très pessimiste : le règlement de cette crise ne pourra se faire que sous un mode non démocratique. Le premier dans un cadre national, qui entraînerait l'Europe dans un déclin semblable au monde grec à partir du IVème siècle avant notre ère, le second par une forme d'autoritarisme « doux » du fédéralisme technocratique européen qui n'est pas sans évoquer pour l'auteur les patriciat romain, ce que l'on appelle communément l'empire augustéen, marqué par le retour de la paix et de l'abondance, mais aussi par la décadence des structures politiques traditionnelles de la cité romaine. Entre les deux options, David Engels propose, sans enthousiasme de choisir la seconde.

Le fructueux usage du comparatisme

Mais, en réalité, le principal apport de cet ouvrage est méthodologique. En prenant le risque de l'analogie et du comparatisme - risque devant lequel les universitaires contemporains reculent souvent avec horreur (ou avec terreur), David Engels redonne à l'histoire une véritable place dans le débat d'idées. Il en fait un véritable outil de réflexion, et non une référence commode du discours. Ce « comparatisme historique » a, du reste, comme il le rappelle, une vieille tradition. Sans doute prend-il le risque de quelques anachronismes - malgré un vrai travail scientifique qui ne fait pas l'économie des différences fondamentales entre les deux époques.

Mais qui ne prend pas ce risque de l'anachronisme ne peut prétendre à aucune autre utilité de l'histoire que celle de la simple « mémoire » qui, si elle n'est pas réactivée par une référence au présent, devient vite un simple ornement de la pensée. Ce travail est donc utile, y compris à la quête d'identité européenne. Car, comme les Romains avaient, à la fin de la république, su réfléchir sur leur passé, notamment dans leur relation avec la Grèce, l'Européen - ainsi que l'écrit David Engels - ne « pourra trouver son identité qu'en renouant avec son passé. »

David Engels "Le Déclin", éditions du Toucan, 374 pages, 20 euros.

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