Agnès Pannier-Runacher : « La France a la capacité de devenir le laboratoire d'excellence de la parité femmes-hommes »

ELYSEE 2022. A quelques jours ou semaines de la déclaration de candidature du président sortant, Emmanuel Macron, La Grande Tribune de la Présidentielle a invité une de ses ministres les plus en vue, Agnès Pannier-Runacher, chargée de l'Industrie, pour l'interroger sur la situation de l'économie française pendant cette cinquième vague épidémique Delta-Omicron, ainsi que sur les défis d'un nouveau mandat pour l'actuelle majorité LREM. Elle parle aussi de son combat de femme, ministre et féministe, titre (au pluriel) du livre qu'elle signe avec sa collègue chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno, où les deux ministres formulent 20 propositions pour aller plus loin dans la défense des droits des femmes, « grande cause » du quinquennat actuel et certainement du prochain. Retrouvez ci-dessous l'entretien en vidéo.
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La Grande Tribune de la Présidentielle avec Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l'Industrie.

L'économie est fortement désorganisée avec les deux vagues successives de Covid, Delta, puis Omicron de cet hiver 2021/2022. Est-ce que cela peut avoir un impact sur la croissance ?

A ce stade, nous ne remettons pas en cause notre prévision de croissance de 4% du PIB pour 2022. Je rappelle que cette prévision succède à une performance de croissance la plus élevée depuis 50 ans, de l'ordre de 6,7% en 2021 selon l'Insee et l'OCDE. Alors certes, notre quotidien est encore impacté par la vague Omicron, qui est extrêmement contagieuse. Mais, lorsque l'on regarde les chiffres macroéconomiques, et que l'on entend ce que nous disent les entreprises, que nous avons réunies à plusieurs reprises à Bercy avec Bruno Le Maire, on voit qu'elles tiennent, avec des taux d'absentéisme inférieurs à 10% pour l'essentiel. Pour donner une idée, au plus haut de la crise, au moment du premier confinement de 2020, on était sur des taux d'absentéisme de 35%. Ce n'est certes pas facile pour les actifs, surtout avec les enfants, les personnes malades ou cas contact, le télétravail, mais l'économie tient, grâce aux entreprises.

Prenez-vous des mesures pour faire face aux risques de pénurie dans les chaînes logistiques, la grande distribution ?

La grande distribution et les acteurs de la logistique nous ont rassurés. Ils ne voient pas de tensions qui conduiraient à des pénuries. On a un suivi très proche. Le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, Julien Denormandie, a rassemblé toute la filière, avec mon cabinet. On a fait un point très précis. Les acteurs nous disent que, par rapport à mars 2020, il y a moins de tensions. Probablement parce qu'on s'est aussi beaucoup adapté et que le vaccin fait la différence. Dans les hôpitaux, la moitié des lits sont occupés par des personnes non vaccinées, alors qu'elles ne représentent que 5% de la population. On voit que le vaccin est très puissant pour éviter de développer des formes graves et de peser sur les hôpitaux, qui doivent aussi prendre en charge les pathologies classiques tels que les cancers. Nous devons collectivement éviter les pertes de chances pour ces patients-là.

Quels ont été les arguments pour que le gouvernement choisisse le pass vaccinal, plutôt que l'obligation vaccinale ?

Le pass vaccinal met chacun en situation de responsabilité. Vous pouvez choisir de ne pas être vacciné. Mais, dans ce cas, pour des raisons d'intérêt collectif de l'ensemble des citoyens, vos interactions sociales doivent être plus limitées, puisque vous présentez un risque plus élevé. C'est un choix individuel. Chacun peut faire ce choix, mais en tout état de cause, il faut éviter d'exposer inutilement les personnes non vaccinées, en particulier en ce moment de contagion féroce d'Omicron, et d'exposer les soignants à l'arrivée de patients dans des services qui n'y seraient pas arrivés s'ils avaient été vaccinés.

En France, les plus de 60 ans sont moins vaccinés qu'en Espagne, et certains pays ont rendu le vaccin obligatoire pour les plus de 50 ans en Italie ou de 60 ans en Grèce. Est-ce qu'il ne faut pas franchir ce pas supplémentaire ?

Aujourd'hui l'obligation vaccinale est assez limitée en Europe ; en revanche, le pass vaccinal y est très développé. La plupart des pays l'ont mis en place. Le pass vaccinal permet aux vaccinés d'avoir plus d'interactions sociales que ceux qui ne le sont pas. Parce que le risque des vaccinés est 17 à 20 fois inférieur de faire une forme grave du virus. Au-delà du pass, nous continuons à vacciner, à faire de la pédagogie et à donner la plus grande transparence possible sur les vaccins, tout en appuyant les laboratoires qui les développent pour avoir une plus grande palette de technologies. Aujourd'hui, les deux principaux vaccins utilisés sont à ARN Messager, mais prochainement - je croise les doigts pour que ce soit d'ici quelques semaines - on aura des vaccins plus classiques, avec Valneva et Sanofi, sous des formes de rappel. Et on continue à aller vers cette population de 5% de Français qu'il faut encore convaincre.

Un vaccin plus classique rassurera-t-il les  non-vaccinés ?

Plus on a d'armes pour répondre au virus, mieux c'est. On continue à travailler aussi sur les médicaments. Il y a quelques traitements prometteurs qui arrivent, mais le temps de développement est plus long que pour les vaccins. Tous les leviers doivent être utilisés. Des plus basiques mais efficaces comme le lavage des mains, les masques et les gestes barrières, aux plus sophistiqués que sont les traitements.

Nous sommes à trois mois du premier tour. Comment voyez-vous évoluer la recomposition du paysage politique ? Du point de vue de la majorité, comment voyez-vous les choses se dessiner pour la présidentielle et les législatives ? Le « en même temps » est-il encore le bon positionnement pour Emmanuel Macron ?

Je crois que les cinq ans traversés par la majorité présidentielle ont montré que la vision du Président de la République de dépasser l'habituel clivage droite-gauche était une bonne vision. Il réunit autour d'un projet commun des composantes extrêmement alignées autour de valeurs et de convictions communes, par exemple l'importance de l'Europe et le rôle de la France au sein de cette Europe. Mais aussi le caractère crucial de l'école, le fait que nous devons remonter les places que nous avons perdues au classement Pisa, et le caractère essentiel du primaire comme élément de lutte contre l'inégalité des chances. Je citerai encore la lutte contre l'assignation à résidence et le fait que le premier de nos combats, c'est l'égalité des chances.

Ce sont des thèmes de la campagne de 2017 qui valent encore en 2022 ?

C'est avant tout une vision politique. Nous croyons que la meilleure façon de répondre à la pauvreté et à la précarité, c'est de faire en sorte qu'il y ait des emplois et que ces emplois rémunèrent bien. Il y a une très grande logique. Nous avons créé un million d'emplois au cours de ce quinquennat. Pour que ces emplois rémunèrent bien, nous mettons le paquet sur la réindustrialisation, car nous savons que l'industrie paye mieux que les services. Vous avez seulement 5% des emplois industriels payés au smic, alors qu'ils sont trois fois plus nombreux dans le secteur privé en général. Nous sommes très cohérents. Beaucoup reste à faire, mais nous avons construit les fondations d'une économie puissante, et nous avons apporté des réponses à la lutte contre la pauvreté ou à la parité femmes-hommes, en menant des réformes qui n'avaient pas été faites avant nous.

Le « en même temps » est toujours là, mais il y a quand même une droitisation du discours du président de la République. Bruno Le Maire lui-même dit qu'il ne trouve pas beaucoup de différence entre Valérie Pécresse et le Président, pour banaliser sa candidature de cette dernière, sans doute. Qu'en pensez-vous ? Comment rassurer les électeurs de cette gauche qui avait suivi Macron en 2017, sur un projet renouvelé. Quel est le nouveau « en même temps » du prochain mandat ?

Je vous rappelle que je suis moi-même issue de cette sensibilité de gauche avec une implantation dans le bassin minier du Pas-de-Calais. J'observe qu'aujourd'hui le Président de la République conserve le soutien des électeurs de gauche qui l'ont mené à la présidence. Lorsque vous regardez le Parti socialiste qui s'est littéralement effondré dans les intentions de vote, c'est clairement la marque que cet électorat reste en faveur d'Emmanuel Macron. Je ne partage donc pas cette idée de droitisation. C'est la première fois que le PS pourrait ne pas faire 5% à la présidentielle et donc ne pas être remboursé de ses dépenses de campagne. C'est une situation absolument inédite. Les soutiens de centre-gauche sont avec nous, et c'est logique, car ils ne s'arrêtent pas à des dogmes et à des étiquettes, mais regardent concrètement notre bilan. Quand on crée un million d'emplois, on baisse drastiquement le chômage. Là encore, un taux de chômage entre 7 et 8 %, ça reste trop, ça reste plus élevé que dans d'autres pays, mais on l'a beaucoup baissé malgré la crise sanitaire.

Quelle est votre vision des nouvelles priorités économiques de cette décennie avec des changements majeurs à venir ?

C'est avant tout le refus du déclinisme. Je suis frappée par le fait que nos oppositions se complaisent dans ce déclinisme ou reviennent systématiquement aux vieilles recettes qui datent d'il y a 10 ou 15 ans, lorsqu'ils étaient aux affaires. Ces recettes n'ont pas fonctionné, dans un contexte pas si différent avec la crise financière de 2008. En 2011/12, on avait déjà des enjeux de transformation énergétique et climatique, et de digitalisation. Ces politiques-là n'ont pas marché. La France a conservé un chômage de masse, la dette n'a cessé d'augmenter et le potentiel de croissance n'a cessé de s'atténuer. On a montré au terme de ces cinq ans de mandat que nous étions capables de créer de la croissance et des emplois, et de réindustrialiser le pays. Pendant 20 ans, chaque année, nos prédécesseurs ont fermé des usines et détruit de l'emploi industriel net. L'an dernier, en plein cœur de la crise, on a créé deux fois plus d'usines qu'on en a fermées. Ce résultat montre que notre méthode et notre vision fonctionnent. On ne cherche pas à savoir si une mesure est de droite ou de gauche, mais si elle est bonne pour le pays, si elle peut s'appliquer et si elle touche effectivement les Français.

On vous a moqué quand vous aviez dit au début de la pandémie que c'était le moment "de faire de bonnes affaires en bourse". Et de fait, elle caracole, la bourse française particulièrement. La preuve que vous feriez une très bonne tradeuse, comme l'a dit chez LR Bruno Retailleau.

Je suis choquée par cette remarque de Bruno Retailleau, parce que dire aux Français qu'ils ont intérêt à être propriétaires des entreprises françaises, pour lutter contre les délocalisations, pour avoir leur part de voix dans les conseils d'administration, pour éviter que ces entreprises françaises soient livrées à des fonds de pension américains, c'est précisément les inviter à prendre le risque de posséder des actions de ces entreprises. C'était le sens de mon propos l'an dernier. C'est typiquement le genre de remarque où le dogmatisme et la bien-pensance l'emportent, sans regarder le fond du sujet. Peut-on se satisfaire d'avoir une épargne française qui ne soutient pas nos entreprises ? Je ne crois pas. Peut-on se satisfaire de voir que les fonds de pension américains sont plus présents dans nos entreprises que notre épargne française ? Je ne crois pas.

Bien sûr, tout le monde ne peut pas se permettre d'investir en actions. Mais je crois qu'il est important de se dire qu'on doit reprendre en main notre destin. Et reprendre en main notre destin, c'est aussi être actionnaires dans nos entreprises. Depuis 2017, nous avons particulièrement mis l'accent sur les PME et ETI, en les aidant à grandir. Parce que ce sont souvent elles qui ont la part d'emplois et de production la plus forte sur le territoire français et qui tirent la croissance et l'innovation.

Est-ce que là-dessus vous avez mis assez le paquet. Macron a beaucoup parlé de la « startup nation », mais cette « transmission nation » des entreprises familiales est-elle assez soutenue ?

Typiquement, c'est un des enjeux qui n'a pas beaucoup été médiatisé, mais sur lequel nous avons produit une politique volontariste qui n'existait pas auparavant. La « Stratégie Nation ETI », que nous avons créée avec ces entreprises, souvent patrimoniales, qui investissent dans leur outil de production et dans la formation de leurs salariés, et qui sont très présentes sur leur territoire, nous a permis, entre autres, d'accompagner dans le cadre du plan de relance une entreprise de taille intermédiaire industrielle sur deux. Nous accélérons leurs projets de modernisation, de décarbonation, d'innovation et de localisation ou de relocalisation de production en France.

A propos de recomposition de la majorité, Edouard Philippe est-il encore utile à Emmanuel Macron pour la prochaine mandature ?

Nous avons vocation à réunir toutes les figures politiques et les personnalités de la société civile qui croient qu'on peut transformer la France, recréer de la richesse sur les territoires et faire en sorte de sortir de cette logique d'assignation à résidence, qui fait que votre avenir dépend de votre lieu de naissance. C'est beaucoup plus prégnant qu'il y a à 40 ans. Aujourd'hui, il faut 6 générations pour sortir de la pauvreté en France. Dans certains pays européens, il suffit de 2 générations. De même, dans notre pays, lorsque vous êtes une femme, vous n'avez pas du tout les mêmes opportunités que les hommes, et pourtant les lois sont extraordinairement avancées. Enfin, lorsque vous naissez dans le bassin minier, où je vis, vous n'avez pas du tout les mêmes perspectives scolaires, d'accès aux soins, d'emploi, qu'à Paris où je travaille.

Lors des dernières élections régionales, vous avez fait une tentative d'implantation locale qui n'a pas été couronnée de succès. Est-ce que vous vous représenterez aux législatives ? Voulez-vous marquer votre empreinte en tant que femme politique et pas simplement comme femme ministre et haut fonctionnaire ?

Si je m'engage au niveau local, ce sera là où j'habite, dans le bassin minier. Je n'ai pas encore tranché de quelle manière se fera cet engagement. Vous évoquez les élections législatives, c'est évidemment une question que je me pose. Il est clair, en tout cas, que je ferai la campagne présidentielle en particulier dans le bassin minier, parce que c'est un territoire laissé à l'abandon et aux extrêmes, où le vote RN dépasse 50% dans certains endroits, dans certains bureaux de vote. Et c'est l'un des territoires les plus pauvres de France, où l'espérance de vie est la plus faible de France. C'est donc un territoire où il y a beaucoup à faire. Le politique a une responsabilité, car nos prédécesseurs n'ont pas été à la hauteur. Ils n'ont pas été là au moment de la désindustrialisation et de la disparition des services publics, alors que ce territoire a porté la richesse de la France. Il a énormément donné durant la première guerre mondiale, mais aussi dans les mines, dans l'industrie lourde. Nous devons beaucoup à ce territoire.

Tous ceux qui ont vu Germinal, le feuilleton à succès de 2021, pourront s'en souvenir.

Mais Germinal, c'est l'histoire d'avant. Nous, ce que nous devons construire, c'est l'industrie d'après, avec des conditions de vie et de travail beaucoup plus favorables.

Vous avez dit, et cela n'est pas passé inaperçu, qu'on peut s'épanouir en travaillant dans l'industrie, parlant de la « magie de l'atelier ».

J'ai emprunté cette expression à un ouvrier qualifié qui travaillait dans la métallurgie. Lorsque vous faites parler des ouvriers qualifiés dans des métiers comme la production de l'acier, du verre, dans l'automobile, vous entendez de la passion. Il faut arrêter de considérer que, parce qu'on est ouvrier, on n'a pas un travail intéressant. C'est comme tout le monde, il y a des gens moins motivés, mais aussi des gens passionnés par leur travail. Sur le sujet de la rémunération, l'industrie, en moyenne, - même si c'est un peu moins vrai dans l'agroalimentaire -, rémunère mieux que la moyenne des secteurs privés. Un soudeur gagne entre 2000 et 3000 euros. Ce ne sont pas des rémunérations au Smic et ce sont des emplois avec des conditions de travail qui ont été très fortement améliorées ces dernières années. Aujourd'hui, vous pouvez équiper un poste de travail avec beaucoup d'accompagnement pour ne pas répéter le geste, pour aider au port de charges... C'est plus difficile dans certains secteurs comme le BTP.

Vous publiez un livre avec la ministre chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, Elisabeth Moreno dont le titre est « Femmes, ministres et féministes ». Est-ce que ce livre dit que le temps des femmes est venu -il y en a quatre qui se présentent à la présidentielle, c'est inédit-, ou qu'il y a encore du chemin pour faire aboutir la Grande Cause du quinquennat Macron ?

Ce livre dit trois choses. La première, c'est que nous avons la chance en France d'avoir une législation parmi les plus avancées au monde et d'avoir fait des progrès extrêmement importants lors de ce quinquennat, avec le doublement du congé paternité, essentiel pour les femmes, le service public des pensions alimentaires, la reconnaissance de maladies comme l'endométriose, la lutte contre la précarité menstruelle, ou encore, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Il y a eu 4 lois en ce sens. Malgré ce bilan très dense, le combat n'est pas fini.

La France a la capacité de devenir le laboratoire d'excellence de la parité femmes-hommes. Cela a deux intérêts : un intérêt républicain, de respecter la promesse de l'égalité des chances, et un intérêt économique, démontré par les économistes, car lorsque vous permettez aux femmes d'aller jusqu'au bout de leurs potentialités, vous tirez vers le haut l'économie d'un pays. Il y a plus de création de richesse, une meilleure transmission et une meilleure éducation des enfants. C'est très frappant et ce n'est pas propre aux pays en développement. C'est aussi vrai dans des pays matures comme le nôtre.

Vous faites 20 propositions dans ce livre, quelles sont les principales ?

La première proposition vise à inscrire dans la loi organique un principe de non-régression du droit des femmes et de mesure systématique d'évaluation de l'impact de nos lois, lorsqu'elles peuvent avoir un effet différent entre les hommes et les femmes. Il faut savoir que 70% des personnes en situation de pauvreté sont des femmes. La pauvreté les concerne plus, donc la lutte contre la pauvreté les impactera davantage. Toute régression dans ce domaine aura de très fortes conséquences pour les femmes. Quand vous votez un amendement au projet de loi de finances de l'Etat ou de la sécurité sociale, il y a souvent un impact sur la parité femmes-hommes. Nous proposons donc d'établir une règle d'or, comme la règle budgétaire, mais spécifiquement pour la parité femmes-hommes.

La deuxième proposition, c'est d'investir dans les métiers où les femmes sont surreprésentées, et notamment sur le volet des conditions de travail. Je pense aux services à la personne. Dans l'industrie on a beaucoup progressé dans les conditions de travail, sur le port de charges avec les exosquelettes. Il y en a très peu dans les Ehpad pour les aides-soignantes qui, pourtant, doivent soulever des patients parfois très lourds. Tous ces gestes répétés, cette fatigue, n'ont pas fait l'objet d'assez d'investissements. Nous proposons d'avoir des crédits de recherche et développement pour développer des innovations d'amélioration des conditions de travail et des crédits pour pouvoir équiper les établissements publics en la matière, ainsi que d'accélérer l'accès au crédit impôt recherche pour les acteurs privés qui investissent dans ces sujets-là. On ne change pas les règles du jeu, mais on les aide à monter leurs dossiers. Et on valorise, enfin, les compétences de ces personnes. Car une aide-soignante ou une infirmière fait souvent bien plus que son job, et la validation des acquis de l'expérience est une façon de repositionner ces femmes dans l'ampleur de toutes les missions qu'elles savent assumer. Cela permet aussi de leur donner de la reconnaissance, qui peut être aussi rémunératrice, avec des augmentations de salaires significatives. C'est d'autant plus important que lorsque les conditions de travail deviennent trop difficiles dans ces métiers, vous risquez des démissions et une démotivation qui entraînent une surcharge pour ceux qui restent, et c'est un cercle vicieux.

Il y a actuellement une pénurie de main d'œuvre dans de nombreux secteurs, dont la santé...

D'où l'enjeu d'en faire une priorité. Les Français sont prêts à considérer que c'est une priorité et ils sont prêts à la soutenir et à investir.

Pour rebondir sur la santé, les soignants se mobilisent, car ils considèrent qu'il y a un déficit d'attention financier à l'égard de l'hôpital public. Le Gouvernement a lancé le Ségur, mais les attentes restent fortes. Le « quoi qu'il en coûte » appliqué à certains services publics stratégiques comme la santé ou l'éducation fera t-il partie des éventuels axes pour la prochaine mandature ?

Nous sommes sortis du « quoi qu'il en coûte » que nous avions mis en place en mars 2020 à un moment de crise majeure, où, collectivement, puisque nous n'avions pas le vaccin, nous risquions de bloquer le fonctionnement de la société. Nous devions absolument protéger notre outil de travail et les compétences, et donc les emplois, pour que l'économie soit prête à repartir et que la croissance soit au rendez-vous. Cette stratégie a fonctionné. On a quasiment dépensé l'équivalent de ce qui avait été dépensé en 2008/2009 en points de dettes, pour des résultats bien meilleurs. Nos résultats, c'est une croissance presque à 7% en 2021, de +4% en 2022 contre une croissance quasi nulle en sortie de crise en 2009. Nos résultats, c'est aussi un taux de chômage équivalent, voire plus bas, qu'avant la crise, alors qu'en 2009 le chômage avait bondi.

Comment éviter le risque de stop and go ?

Depuis la sortie du « quoi qu'il en coûte », il y a plus d'un an, nous sommes dans du sur-mesure. On a un nombre d'entreprises concernées par les dispositifs de soutien qui est drastiquement plus faible. L'événementiel et les secteurs qui sont encore impactés, c'est environ 4% de l'économie. La plupart des entreprises ne bénéficient plus aujourd'hui de soutien public particulier, parce qu'elles fonctionnent et certaines même très bien, sans quoi on n'aurait pas près de 7% de croissance. Ce n'est pas de la croissance avec du soutien public, comme je l'entends ici et là, bien au contraire. Ce potentiel de croissance va permettre de tirer l'économie.

Notre deuxième pari est de réinvestir dans tous les sujets qui créent de la croissance. Aujourd'hui, on s'aperçoit que le niveau d'industrie dans un pays est souvent corrélé à son niveau scientifique. Prenez, par exemple, la Suède, la Finlande ou la Corée du Sud. Regardez aussi les Etats-Unis et le recul auquel ils font face aujourd'hui vis-à-vis de la Chine. Nous devons réinvestir dans l'école, du primaire jusqu'aux doctorants. Nous l'avons fait pour les chercheurs avec la loi pluriannuelle de financement de la recherche. Nous devons réinvestir dans la santé, qui est aussi une façon de soutenir l'économie. Nous investissons massivement aussi avec le plan France 2030 dans l'innovation et dans de nouvelles filières industrielles qui n'existent pas encore et sur lesquelles nous disposons d'atouts et d'acteurs, des startups, des PME et ETI qui ont des positions importantes. Je pense, par exemple, à l'hydrogène vert et aux batteries électriques. Notre volonté, c'est d'exploiter ce potentiel avec les bons outils. On n'est pas dans une logique de creuser le déficit public, mais dans une logique de retour sur investissement. Lorsque l'on investit de l'argent, c'est pour aller plus loin et créer plus de richesse pour les Français.

En sortant des critères de Maastricht ?

En ayant une vision plus sophistiquée que celle des critères de Maastricht. Il ne s'agit pas de dire que la dépense publique, c'est bien. Il s'agit de dire qu'il y a deux types de dépense publique : celle qui est au bénéfice de tous les Français et qui crée de la richesse, et celle qui revient chaque année, sans créer grand-chose.

Quels sont en Europe nos partenaires qui partagent la même vision ?

Ce n'est pas une discussion qui va se faire sur le temps court. Aujourd'hui, on assiste à un changement de position de beaucoup de pays qui étaient culturellement et historiquement plutôt méfiants à l'égard de l'investissement public dans l'économie. Je pense à des pays comme la Suède, les Pays-Bas ou l'Allemagne. Ils considèrent aujourd'hui qu'il y a deux transformations majeures à l'œuvre dans l'économie - la transformation numérique et la transformation environnementale - et qu'elles sont un risque pour les entreprises si elles ne prennent pas assez rapidement le virage. Nous partageons la conviction que ne rien faire peut détruire l'économie et qu'inversement ces nouveaux défis du numérique et de l'environnement sont une opportunité, puisque cela va redistribuer les parts de production au plan mondial.

C'est donc le moment de s'en saisir. D'autant plus que la transformation numérique a la vertu d'être particulièrement favorable aux pays ayant des populations bien formées et des coûts du travail plus élevés que la moyenne. Elle amène à se recentrer sur les tâches où l'humain a de la valeur ajoutée et permet de mieux rémunérer, tout en réalisant des gains de productivité importants. C'est un véritable atout.

Nous devons accélérer. Je pense que nos positions sont en train de converger. Nous avons tous été frappés par la crise. Nous avons tous constaté qu'il y avait des manques dans l'industrie européenne. Dans la santé, cela a été un réveil collectif difficile, mais utile, de constater que 80% des principes actifs des médicaments étaient produits hors d'Europe. Nous avons tous constaté aussi que certains pays ne jouaient pas avec les mêmes règles du jeu que nous et qu'il fallait arrêter d'être naïfs. On a une convergence de vues, entre la France, les Pays-Bas, la Suède, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne. Même la Pologne se saisit de la question de la transition environnementale car elle voit qu'elle doit faire cette décarbonation. La crise nous a donc permis de toucher du doigt les défis qui sont devant nous et de saisir que l'investissement est un élément-clé pour accélérer cette transformation. Maintenant, nous devons mettre en place une gouvernance pour aller vite et faire en sorte qu'on passe moins de temps sur ce qui nous différencie que sur ce qui nous permet d'être plus forts ensemble, par rapport aux grandes nations de production que sont les Etats-Unis et la Chine, par exemple.

L'automobile est touchée de plein fouet par la transition écologique. L'industrie automobile française peut-elle s'en sortir indemne ? On parle de pertes de 100.000 à 150.000 emplois. On voit des concentrations dans certains secteurs, est-ce qu'on va assister à cela aussi dans l'automobile. Comment l'Etat va accompagner cette transition ?

Vous avez raison, le secteur automobile est probablement en train de traverser la transformation la plus brutale de son histoire. Il doit réinventer son modèle de production, un siècle après avoir mis en vente les premiers véhicules thermiques. C'est une transformation écologique et numérique, qui vise à produire des véhicules électriques, autonomes et connectés. Trois transformations massives d'un coup.

Les grands acteurs de la filière ont pris ce virage et sont en train d'accélérer et de trouver les bons leviers pour mener cette transformation. Il y a une accélération. Mais le tissu de sous-traitants est fragilisé. Nous devons donc être dans l'accompagnement. C'est notre responsabilité. Avec le plan de relance, nous avons d'ailleurs aidé plus de 400 entreprises de sous-traitance automobile à se moderniser, à se diversifier, pour ne pas être prisonnières d'un certain type de pièces qui viendraient à disparaître dans 10 ans, et pour les aider à gérer la question de l'empreinte carbone, car cela leur sera demandé par les donneurs d'ordres.

Avec des succès variés.

Ces 400 entreprises que je cite ne sont pas en difficulté. Ce sont des entreprises qui prennent le virage. Toutefois, il y a effectivement des entreprises pour qui la transformation est tellement brutale qu'elles se retrouvent en difficulté. J'observe toutefois que la plupart de celles qui se retrouvent en difficulté l'étaient déjà avant 2017. La SAM était en redressement judiciaire dès 2017, tandis que la fonderie Aluminium et la fonderie du Poitou l'étaient en 2018. Ce ne sont hélas pas des dossiers nouveaux.

Enfin, il y a l'action que nous menons au niveau européen. La position que nous avons, c'est de recréer des filières là où il y a de l'emploi. On va substituer des emplois par d'autres. Je pense aux batteries électriques. Une gigafactory de batteries, c'est 1500 à 2500 emplois, ce n'est pas l'épaisseur du trait. On veut en faire 3 à 4 en France : 2 sont déjà en construction, une troisième est quasiment lancée et nous faisons en sorte qu'il y en est une quatrième. L'enjeu, c'est de pouvoir servir notre marché de production par des batteries fabriquées in France.

Importer des batteries, de facto, ce n'est pas un super bilan carbone...

Tout à fait. Et c'est là où l'Europe peut jouer son rôle. Dans le travail qu'on mène dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, il y a le règlement batterie qui consiste à dire qu'une batterie commercialisée sur le marché européen doit avoir un bilan carbone raisonnable.

Y aura t-il encore deux grands constructeurs français à la fin de la décennie ?

On a beaucoup fantasmé sur le fait que les deux constructeurs auraient vocation à se marier. Je ne suis pas sûre que ce soit aujourd'hui le scénario central. J'observe que Stellantis a trouvé une assise avec l'opération Fiat et que Renault est un très grand groupe mondial avec Nissan et Mitsubishi. Mon souhait aujourd'hui est que ces constructeurs fassent leur mutation et développent une culture du temps long avec leurs sous-traitants. Je connais bien ce secteur pour y avoir travaillé (chez Faurecia - NDLR). Aujourd'hui, on est encore trop dans une culture du temps court, de la protection de la trésorerie à très court terme et, parfois, dans la mise sous pression des sous-traitants au risque de les mettre en grande difficulté. Derrière, on le paye au prix fort, lorsqu'il n'y a plus de sous-traitants en proximité.

Il faut plus de solidarité, comme dans l'aéronautique.

Oui, l'aéronautique a traversé une crise historique. Les entreprises y font face avec, souvent, un esprit de solidarité. Lorsqu'une entreprise est sur le point de tomber et qu'elle est critique pour la chaîne de valeur, il n'est pas rare que d'autres se mobilisent pour la rattraper.

Pour terminer sur l'énergie où les enjeux industriels sont considérables, il faut aller vite. EDF a annoncé un retard supplémentaire pour la mise en fonctionnement de l'EPR de Flamanville, on parle aujourd'hui de 2023. Le Président a annoncé sa volonté de relancer le nucléaire. Face à ces contretemps, comment faire pour aller vite. Est-ce que la technologie EPR est la seule solution pour la filière nucléaire ? Est-ce que la France peut encore jouer seule sur ce dossier ? Est-ce qu'elle ne doit pas trouver des partenaires ?

La stratégie du Président de la République en matière d'énergie est très claire. C'est une stratégie étayée par le travail confié à RTE qui a associé 40 experts et interrogé 4000 personnes pour construire des scénarios d'électrification. Le constat, c'est que l'on va avoir besoin de beaucoup plus d'électricité. Si nos voitures, notre chauffage, nos usines fonctionnent à l'électricité, cela va augmenter le besoin de production. Pour répondre à cet enjeu, nous nous appuyons sur trois piliers, avec des programmes extrêmement ambitieux.

Le premier pilier, c'est l'efficacité énergétique. C'est pour cela que nous avons fait cet effort de rénovation thermique. C'est un énorme pilier, souvent sous-estimé.

Le deuxième pilier, ce sont les énergies renouvelables. On commence par exemple à sortir des projets d'éoliens marins de plusieurs gigawattheures. Ce sera, dans cette décennie, des compléments absolument essentiels pour augmenter notre production énergétique.

Le troisième pilier, c'est le nucléaire qui rentre en scène à partir de 2030, compte tenu des temps de construction et de mise en sécurité des installations. Ce que nous faisons aujourd'hui comme pari, c'est qu'il faut réinvestir sur les compétences. Ce qui se passe sur l'EPR montre qu'on a perdu de notre superbe en termes de compétences, de suivi de projet, et de sous-traitance. Nous l'avons fait dans le cadre du plan de relance. Nous avons accompagné une quarantaine d'entreprises de sous-traitance clé pour la filière nucléaire, pour leur permettre d'accélérer leur modernisation.

Nous avons déjà anticipé la nécessité de travailler sur la nouvelle génération de réacteurs, avec le plan France 2030. Nous mettons 1 milliard d'euros sur la table, pas pour construire des réacteurs, mais pour travailler sur des innovations de rupture, des réacteurs de plus petite tailles, en étant très ouverts sur les technologies. Pas nécessairement des technologies EDF, mais des technologies pouvant provenir d'acteurs émergents, français, étrangers, ou en consortium. Et puis, aujourd'hui, nous avons l'EPR, avec une technologie disponible que nous pouvons améliorer incrémentalement, qui est la technologie qui nous permet de sortir de nouveaux réacteurs à partir de 2030.

Le plan est construit de manière très logique, très pragmatique. Nous y sommes très attachés, il est construit sur des faits et des chiffres ; pas sur des dogmes et de l'idéologie.

PS. Précision : l'entretien vidéo a été réalisé mercredi 12 janvier, avant l'annonce par le gouvernement du plan pour limiter à 4% la hausse des prix de l'électricité via notamment le relèvement de 20 GW de la revente par EDF d'électricité à ses concurrents au tarif Arenh. Et avant l'annonce des 4 milliards d'euros d'investissements étrangers dans le cadre de Choose France.

Commentaires 14
à écrit le 19/01/2022 à 2:31
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L'enjeu pour la France n'est pas la parité (anti-méritocratique par définition) mais la réindustrialisation et l'innovation technologique. Merci de traiter des sujets réellement importants.

à écrit le 18/01/2022 à 10:17
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a lire la presse ce matin tout part en vrille exemplarité ! donneurs de leçons ! probité ! les mauvais bergers sont la ruine du troupeau en pleine crise sécuritaire et sanitaire

à écrit le 18/01/2022 à 10:16
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a lire la presse ce matin tout par en vrille exemplarité ! donneurs de leçons ! probité ! les mauvais bergers sont la ruine du troupeau en pleine crise sécuritaire et sanitaire

à écrit le 18/01/2022 à 9:55
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Son bilan : la vente de Alstom et le naufrage d'EDF.

à écrit le 18/01/2022 à 7:51
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Des nouveaux réacteurs en 2030 j'ai pas l'impression que ce soit gagné, ou alors il faut se dépêcher d'acheter sur étagère a l'étranger et surtout pas compter sur des émergents, prendre des boites qui savent faire, un modèle déjà existant. Donc elle ...

à écrit le 17/01/2022 à 20:46
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Voila c'est ça, la France n'est plus qu'un immense laboratoire et nous sommes des hamsters...

le 18/01/2022 à 8:08
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stop a la bêtise des ministres je suis en retraite et j'ai travailler a recycler les palstiques et ce jour j'apprend que l(on vas installer des usines americaine et canadiennes pour realiser ce recyclage alors que les brevets son francais

à écrit le 17/01/2022 à 20:22
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Comment peut on titrer la ministre la plus en vue???? une ministre d'industrie en pleine déconfiture!!! elle passe son temps sur des problèmes de parités alors que les entreprises cherchent des compétences. Evidemment, faudra t il payer à fort salair...

à écrit le 17/01/2022 à 18:46
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Les avancées sociétales sur le mariage pour tous, les droits des gays, les problématiques d'égalité hommes/femmes sont certes intéressantes, mais devant la déliquescence du service public, le massacre des entreprises publiques (SNCF) ou controlées pa...

le 18/01/2022 à 11:44
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oui pour passer la loi sur la PMA juste avant les vacances macron il est fort ! pour le reste c est un desastre !

à écrit le 17/01/2022 à 18:41
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Désespérant cette communication superficielle ; oui c est important la parité mais il faut se reconcentrer sur la réindustrialisation et ne pas pavoiser sur quelques exemples comme macron aime si bien le faire maisil faut regarder la réalité en face,...

à écrit le 17/01/2022 à 18:35
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Parité sur les médias entre athéisme et religion ,Parité au senat entre vieux et jeune , Parité entre ethnies ,communauté pour les députés ,Parité entre handicapés et valide dans les institutions ,Parité entre pauvre et riche dans les immeubles du 1...

à écrit le 17/01/2022 à 18:03
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Elle ferait mieux de s'occuper d'industries, de souveraineté et de relocalisations celle-là.

à écrit le 17/01/2022 à 17:53
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Je pense surtout qu'ils sont tous rincés les bons soldats néolibéraux et que maintenant en plus faut s'attaquer à la réélection qui ne semble de ce fait plus de leurs forces. C'est qu'on les a vu et entendu partout H24 à la télé et radio hein.

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