L'égalité homme-femme ! On pourrait se dire que le thème est éculé, maintes fois abordé. On pourrait s'attendre aussi à ce que Marlène Schiappa, qui a souvent porté ces questions au sein du gouvernement, soit en première ligne.
Que nenni ! Ce sont deux ministres, plus discrètes, Agnès Pannier Runacher, ministre déléguée à l'industrie, et Elisabeth Moreno, ministre déléguée chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, la diversité et l'égalité des chances, qui ont choisi, de concert, de publier un ouvrage sur le sujet.
Le livre " Femmes, Ministres, et Féministes", publié chez Point d'Orgue, surprend par sa fraîcheur, sa sincérité, les confidences que ces deux ministres délivrent sur leur parcours personnel, sur leurs espoirs aussi pour les générations à venir.
Dans la première partie, on découvre des personnalités aux chemins professionnels passionnants, qui ont souvent dû faire preuve de volontarisme et d'abnégation pour vivre leurs ambitions dans des milieux masculins. Leurs carrières, aussi exceptionnelles soient-elles, illustrent pleinement les difficultés que les femmes rencontrent pour s'imposer, se faire respecter, progresser dans la hiérarchie. Pour mener à bien vie professionnelle et vie personnelle aussi, sans culpabilité. Celle que les femmes nourrissent d'elles-mêmes mais aussi celle que la société a vite fait de leur renvoyer...
Des inégalités qui se poursuivent
Reste que, le diagnostic, rappelé dans l'ouvrage, fait toujours aussi froid dans le dos. Si l'on s'en tient au milieu du travail, les chiffres sont affligeants : 30 % des femmes déjà harcelées ou agressées sexuellement sur leur lieu de travail, un écart salarial à compétences et poste égal en France qui reste à égal 9 %, une retraite des femmes encore inférieure de 42 % par rapport à celle des hommes, une seule femme patronne d'entreprise du CAC 40 etc, etc
Sans compter que la pandémie de Covid a encore ancrée ces différences, quand elle ne les a pas creusées. Les femmes ont ainsi été plus exposées aux pertes d'emplois que leurs homologues masculins. En matière de télétravail, elles sont souvent perdantes, ne disposant pas de conditions matérielles correctes - ainsi, seules 58 % des femmes en télétravail peuvent s'isoler dans une pièce dédiée contre 74 % des hommes- etc etc.
20 propositions
La suite de l'ouvrage est une liste de propositions. Certaines ont déjà été formulées, notamment promouvoir l'accès aux options scientifiques et techniques pour les filles, renforcer la place et la visibilité des femmes dans l'espace public, culturel, et médiatique, ou encore améliorer la participation des femmes dans les chambres de commerces, syndicats, organisations patronales, qui restent des univers très masculins ... etc.
D'autres sont plus innovantes, comme travailler sur la "masculinisation" des métiers, en réaménageant le temps de travail de certaines professions (comme les agents de propreté), et en faisant en sorte que ce critère soit considéré dans l'attribution des appels d'offres de la fonction publique ...Ou encore renforcer les critères de mixité dans la prise de décision des investisseurs et des banques privées, notamment pour encourager les établissements financiers à mieux soutenir des projets féminins, pour que les femmes entrent aussi plus facilement dans les organigrammes des fonds d'investissement etc etc...
Des préconisations qui, pour certaines, auront dû mal à être effectives ?
On reste toutefois sur notre faim. Comment rendre concrètes ces préconisations ?
Les politiques publiques peuvent aider à les mettre en place, mais elles connaissent aussi leurs limites. Car ces évolutions sont aussi culturelles, sociétales, et le gouvernement ne peut pas tout face aux changements de mentalités.
Ainsi, comment intervenir dans les entreprises ? Influer le cours des choses n'est pas aisé, car ce sont les employeurs qui gardent la main sur les salaires, les conditions d'embauche, d'évolutions etc. Et la loi a vite fait d'être - consciemment ou inconsciemment- contournée.
Par exemple, Agnes Pannier-Runacher et Elisabeth Moreno prônent une adaptation des modes de travail des femmes au monde post-covid, notamment en matière de télétravail... mais elles ont conscience que ces changements ne peuvent pas toujours faire l'objet de législation, et viendront surtout du rapport de forces qui pourra s'instaurer entre salariés et employeurs. Ainsi expliquent - elles : " On ne peut pas décider d'une règle commune pour toutes les entreprises qui restent très différentes.... Reste que dans de nombreux métiers, la principale difficulté aujourd'hui concerne le recrutement. De fait, pour attirer des talents, les entreprises vont devoir offrir aux salariés, notamment aux femmes, des conditions de travail satisfaisantes."
Un livre éminemment politique
Enfin, on notera que le moment de cette publication n'a rien d'anodin. Ces ministres sont des fidèles d'Emmanuel Macron, qui veulent par leur opus mettre en avant l'action du président sur ce quinquennat, fut-il en demi-teinte, sur ces questions d'égalité. Par exemple, dans le milieu professionnel, ce quinquennat aura instauré un index d'égalité mais qui est loin d'avoir réussi à rééquilibrer les choses.
Ce livre se veut aussi un pavé dans la mare dans cette campagne, alors que d'autres prétendants - officiels, cette fois- dans la course à l'Elysée se positionnent volontiers en contre-pied de ces évolutions.