Déterminé à mener une nouvelle réforme de l'assurance-chômage, le Premier ministre Gabriel Attal a confirmé son objectif de modifier les droits des chômeurs à l'automne prochain. Critiqué par les syndicats et dans les rangs de la majorité, le chef du gouvernement a tenté d'éteindre l'incendie en proposant une mission sur la taxation des rentes dans l'économie. Mais cette opération déminage pourrait ne pas suffire à calmer les attaques des oppositions contre la gestion des finances publiques jugée « insincère».
Dans ce contexte troublé, le député (Renaissance) et économiste Marc Ferracci n'est pas favorable à une baisse de la durée d'indemnisation des chômeurs actuellement étudiée à Matignon. L'ancien conseiller très influent d'Emmanuel Macron et de l'ex-Premier ministre Jean Castex propose d'agir sur la durée d'affiliation des salariés et de remettre à plat le système de bonus-malus pour lutter contre les contrats courts. Inspirées des réformes Hartz appliquées en Allemagne dans les années 2000, ces propositions risquent de mettre le feu aux poudres chez les syndicats et le patronat.
LA TRIBUNE- Le Premier ministre a annoncé une réforme de l'assurance-chômage pour l'automne prochain. Dans les rangs de la majorité, plusieurs voix s'élèvent contre une nouvelle baisse de la durée d'indemnisation. Quelles sont vos pistes de travail ?
MARC FERRACCI- Une réforme de l'assurance-chômage peut avoir du sens au moment où les tensions de recrutement restent extrêmement fortes. L'assurance-chômage fait partie des leviers pour y répondre. La meilleure piste serait de réformer la durée d'affiliation plutôt que la durée d'indemnisation. L'idée serait d'augmenter le nombre de mois de travail nécessaires pour obtenir des droits de chômage. Agir sur la durée d'affiliation produit des effets plus rapides sur l'emploi que la durée d'indemnisation.
Pourquoi toucher à la durée d'affiliation serait-il un levier efficace ?
La durée d'affiliation permet de toucher des gens déjà en emploi. Ils sont plus employables que des chômeurs de longue durée qui arrivent au bout de leur indemnisation. Le marché du travail s'est stabilisé. Le taux de chômage ne baisse plus. Il me semble préférable d'agir sur la durée d'affiliation par souci de cohérence.
Concrètement, quelle serait la durée d'affiliation minimum pour ouvrir des droits ?
En France, la durée d'affiliation est plus favorable que dans d'autres pays. Il faut travailler six mois sur 24 contre 12 mois en Allemagne. La France pourrait se rapprocher de l'Allemagne.
Le calendrier de cette réforme vous paraît-il pertinent sachant que l'on ne connaît pas encore les résultats des précédentes réformes comme l'ont souligné certains syndicats et économistes ?
Il est faux de dire que l'on ne connaît pas les effets des réformes. La réforme de 2021 qui contenait un allongement de la durée d'éligibilité de 4 à 6 mois et l'introduction du bonus-malus pour les entreprises qui abusaient des contrats courts a été évaluée par la direction statistique du ministère du Travail (Dares). Cette étude indique que cette réforme a eu des effets positifs car le passage de 4 à 6 mois a amélioré le niveau de l'emploi.
La durée en emploi s'est allongée pour ceux qui ont vu leur durée d'affiliation augmenter. Le bonus-malus a produit des effets positifs avec une baisse des taux de séparation pour les secteurs concernés. Le nombre de fins de contrats a baissé, ce qui a entraîné une diminution de la précarité. La réforme de 2023 qui a diminué la durée d'indemnisation n'a pas encore été évaluée, mais il existe de nombreuses études qui montrent que baisser cette durée accroît le retour à l'emploi. Pour autant, il me semble qu'une nouvelle baisse de la durée d'indemnisation ne doit pas être la priorité.
Durcir les règles de l'assurance chômage favorise-t-il le retour au plein emploi ?
Le retour au plein emploi est une stratégie globale. Cette stratégie doit améliorer le taux d'emploi des seniors. C'était l'objectif de la réforme des retraites. Cela passe également par l'amélioration de l'emploi des jeunes. La réforme de l'apprentissage produit des résultats. Elle a fait baisser le chômage des jeunes de 21% à 16% depuis 2017. La réforme du lycée professionnel va permettre aux jeunes d'avoir un meilleur taux d'insertion. Aujourd'hui, le taux d'insertion est trop faible. Il faut mieux connecter les lycées professionnels au marché du travail.
La réforme France Travail doit permettre de mieux aider les gens éloignés de l'emploi en leur proposant un accompagnement renforcé. L'assurance-chômage vient s'ajouter à l'ensemble de ces réformes. C'est une réforme qui ne doit pas avoir pour but premier de faire des économies. Le premier objectif est d'améliorer le niveau et la qualité de l'emploi. Je propose pour cela de généraliser le système du bonus-malus pour lutter contre les contrats courts.
Augmenter la durée d'affiliation ne va-t-il pas à l'encontre du principe d'une réforme contracyclique défendue par le chef de l'Etat ?
Non, je ne pense pas. Le principe de contracyclicité consiste à dire que lorsque le marché du travail s'améliore, il est moins difficile de trouver un emploi. Cela peut justifier de baisser la durée d'indemnisation. Lorsqu'on augmente la durée d'affiliation, c'est une manière d'envoyer un signal aux personnes en emploi. Ce n'est pas la même logique que de baisser la durée d'indemnisation. La contracyclicité n'empêche pas d'agir sur le paramètre de la durée d'affiliation.
Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a plaidé pour une reprise en main de l'assurance chômage par l'Etat. Quelle est votre position sur l'avenir de ce système assurantiel ?
Je pense qu'il faut un nouvel équilibre entre l'Etat, les partenaires sociaux et le Parlement. C'est une anomalie démocratique que la représentation nationale n'ait pas son mot à dire sur les grandes règles de l'assurance-chômage comme la contracyclicité. Cela nécessite de réformer la gouvernance de l'assurance chômage. Je ne suis pas sûr qu'il faille donner à l'Etat tous les leviers de l'assurance-chômage. Les partenaires sociaux ont une légitimité, ils peuvent conserver un rôle.
Mais dans tous les pays qui ont une assurance-chômage, les partenaires sociaux ont un rôle seulement consultatif dans la définition des règles. Le Conseil d'analyse économique a montré dans une étude qu'il n'y avait qu'en France que les partenaires sociaux décident des règles de l'assurance-chômage, même si depuis 2018 ils négocient dans un cadre plus contraint. Le gouvernement envoie un document de cadrage pour orienter les négociations. Mais à la fin, ce sont toujours les partenaires sociaux qui décident. C'est une spécificité française.
Propos recueillis par Grégoire Normand