« Avec 8% d'inflation, il faut un 13e mois pour garder le même niveau de vie » (Valérie Rabault, député socialiste)

#REAix2022. Alors que le monde connaît un choc inédit depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, La Tribune a donné la parole aux grands décideurs de l'économie en direct des Rencontres d’Aix-en-Provence du 8 au 10 juillet. Que pensent les patrons des désordres économiques actuels ? Est-ce la fin de la mondialisation ? Comment faire face au retour de l'inflation qui fait remonter les taux d'intérêt et craindre des tensions sociales ? Comment mener dans le même temps les grandes transitions énergétique, écologique et économique ? Revivez ici le live vidéo de l’entretien avec Valérie Rabault, député socialiste et première vice-présidente de l'Assemblée Nationale, enregistré depuis notre studio installé au coeur du Davos provençal.
Philippe Mabille
(Crédits : DR)

Video de Valérie Rabault, député socialiste et première vice-présidente de l'Assemblée Nationale

Vous êtes économiste de formation, quelle est votre analyse de la situation actuelle avec la flambée de l'inflation ?

Les causes sont multiples. La création monétaire d'abord : la taille du bilan de la BCE, c'est 80% du PIB de la zone euro. La taille de celui de la FED, c'est 37% du PIB des Etats-Unis. On voit qu'on est dans un rapport de 1 à 2. Cette création monétaire, c'est du jamais-vu dans notre histoire récente. On ne sait pas la gérer. On ne sait pas si elle finance des bulles, si elle débouche sur de l'inflation ou si elle finance des vrais des projets, de la création de valeur. Sans doute un peu les trois. Mais dans quelle proportion ? Il vaudrait mieux ce soit surtout sur le troisième volet, mais il y a sans doute des bulles.

Il y a aussi ce qui se passe en dehors de l'Europe. Le ralentissement de la Chine pose des questions pour notre équilibre au sein de la zone Euro. L'Allemagne, pays vieillissant, exportait beaucoup vers l'Asie. Cela risque de freiner ses exportations, qui représentent 40% de son moteur économique. Et le 3ème levier, c'est que l'Allemagne avait conservé une industrie, ce qu'on n'avait pas su faire, mais elle l'a fait avec une énergie pas chère. Là, l'énergie va devenir chère. Cela crée une difficulté. Tout le monde tâtonne un peu. On n'a pas de recette miracle. La priorité, c'est d'arriver à endiguer la hausse des prix de l'énergie, parce que cela conditionne la consommation des ménages. Une fois qu'on aura fait ça, qu'on aura un peu bloqué cet aspect là, on y verra plus clair.

Est-ce que vous voterez la loi pouvoir d'achat ?

Je suis députée socialiste. La loi sur le pouvoir d'achat, je la voterai. Tout ce qui soutient le pouvoir d'achat des Français, même si on aurait fait différemment et qu'on peut avoir d'autres idées, est indispensable. Avec 8% d'inflation, il faut un 13ème mois pour garder le même niveau de vie. Le gouvernement agit de façon ciblé, mais cela coûte. J'ai demandé à Bruno Le Maire comment il envisage de financer tout cela.

Bruno Le Maire dit qu'il mobilisera les recettes supplémentaires imprévues de cette année.

Bruno Le Maire a zéro cagnotte, parce qu'à fin mai il était déjà à 80 milliards de déficit. Il oublie de parler des dépenses supplémentaires qu'il a eues. Quand l'énergie augmente, cela augmente pour les Français, mais aussi pour l'Etat, pour mettre du carburant dans les voitures des policiers... Il faut qu'il soit honnête, il n'a pas de cagnotte. Nous poserons la question du financement. On peut reparler de l'ISF, de la taxation des super profits sur l'énergie. Ce qui a été fait en Espagne. Quand on est face à une crise, on doit se retrousser les manches. On ne peut pas juste le faire via la dette, c'est trop facile, mais à un moment donné on se fait toujours rattraper.

Vous voulez un impôt exceptionnel ou pérenne pour financer cette crise ?

Je souhaite qu'on mette sur la table le financement de cette crise. Je suis pour le retour de l'ISF, je le dis chaque année. Mais aussi qu'on regarde d'un peu plus près les super profits.

Les super profits de TotalEnergies en France, ce n'est pas énorme.

On met cette question-là sur la table, un financement exceptionnel et il faut avoir une réflexion de plus long terme. Vous savez très bien qu'endiguer cette inflation suppose de revenir à une énergie moins chère, sinon on va toujours courir derrière les milliards et ce sera difficile de les attraper.

Vous votez la loi parce qu'il une urgence mais vous demandez des mesures de gauche.

J'aimerais que le gouvernement dise comment il la finance. Pour le moment, on a un silence poli. Cela ne fait pas une politique économique.

On va vite le savoir, car il y aura une loi de finances rectificative.

Il ne vous aura pas échappé que c'est la première fois qu'un gouvernement n'a pas transmis en avril sa trajectoire budgétaire à Bruxelles, alors que tout le monde est confronté à la même crise. En 2017, il y avait aussi eu une élection dans notre pays et elle avait été envoyée. Cela relève de l'irresponsabilité.

Vous agissez en responsabilité en votant ces mesures d'urgence, mais vous dites que ces mesures ne sont pas financées. C'est des mesures pour cette année. Quid de 2023, car certains économistes disent qu'on va garder une inflation de 3 à 5% pendant des années.

On change de monde, de paradigme. C'est un choc économique comme on n'en a jamais connu. La priorité, c'est de faire en sorte d'être en capacité de retrouver une énergie la moins chère possible. On a le nucléaire, mais sur les énergies renouvelables, les 27 s'étaient fixés des objectifs de production et le seul pays qui ne les a pas atteint, c'est la France. Je suis du Lot-et-Garonne, département très ensoleillé. Quand on construit des hangars, on n'a pas de panneaux photovoltaïques sur les toits. Il faut lancer une programmation. Je suis pour la planification écologique. Ce n'est pas un gros mot. C'est se dire où on va et qui fait quoi. Là, parfois, on a l'impression de tourner autour du rond-point sans jamais prendre une branche pour sortir. C'est indispensable, sinon on aura cette discussion l'année prochaine de la même façon.

Mélenchon a appelé à une marche pour le pouvoir d'achat en septembre. Y aura t-il un 4ème tour dans la rue ?

Il faut arrêter d'inventer après un 2ème tour, un 3ème, puis 4ème. Il faut une réflexion sur le pouvoir d'achat. Selon l'OCDE, c'est en France que les salaires ont le moins augmenté. L'Allemagne a fait un pas de géant en passant le salaire minimum de 9,6 à 12 euros de l'heure.

Il y a une part de responsabilité des entreprises pour le pouvoir d'achat ?

Oui, mais elles ne pourront pas tout payer, elles ont déjà le choc d'achat de l'énergie et des matériaux qui ont augmenté. En mai, la Commission européenne a publié une étude qui dit quels sont les pays abîmés structurellement et quels sont ceux qui le sont conjoncturellement. La France l'est structurellement. Ce que ne veut pas entendre le gouvernement. Quand elle renonce à faire la réforme de l'enseignement des maths, d'investir dans nos capacités de production, cela ne va pas. On voit que sur les médicaments la France est en retard, sur la production d'énergie renouvelable, elle est en retard. On va finir pas se retrouver en retard sur de nombreux sujets. Cette question de la création de valeur devrait être la priorité de la première ministre et je ne l'ai pas entendue en parler dans son discours de politique générale.

Est-ce que le gouvernement a trouvé le mode d'emploi d'une situation sans majorité absolue ?

La culture du compromis, on ne l'a pas en France. Il faudrait qu'on l'acquière un peu. C'est un moment un peu historique La 5ème République a été créée pour un parti majoritaire au pouvoir et une opposition qui a vocation à redevenir majoritaire. Là, on est face une situation où personne n'a la majorité.

Macron et Borne vous appellent au compromis.

Ils ne disent pas sur quoi. Ils nous disent, venez vers moi, sur mon programme. Ce n'est pas un compromis, c'est du débauchage. En Allemagne, dans le contrat de coalition, tout est écrit. C'est ça un compromis.

Vous parlez de situation historique, l'heure est grave ?

Les Français attendent que l'hôpital fonctionne mieux. Pour cela il faut se parler.
En 2011, j'avais écrit, avec Karine Berger, un petit livre : « Les 30 Glorieuses sont devant nous » et on avait imaginé une Première ministre qui n'avait pas de majorité et passait l'été à négocier un contrat avec 63 mesures. C'est ça qu'il faut faire.

Est-ce qu'ils savent le faire ?

Je pense que cette culture n'existe pas dans le monde politique. Encore moins dans le monde des cabinets qui ont tendance à faire croire aux ministres qu'ils sont tout-puissants. Mais ça, ça n'existe pas.

Quand c'est flou, il y a un loup dit le dicton. On vous proposé de prendre Matignon, vous avez refusé. Vous n'aviez pas confiance ?

Là, il y a beaucoup de loups...

Philippe Mabille
Commentaires 4
à écrit le 15/07/2022 à 13:59
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Cette femme politique me semble très lucide et très raisonnée. J'espère qu'elle aura un brillant avenir politique. Elle emploie des gros mots dans la bouche d'un politique mais qui sont comme une musique à mes oreilles : culture du compromis politiqu...

à écrit le 15/07/2022 à 11:01
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La mondialisation n'est que la suite logique d'une politique de l'offre par le biais de besoins artificiels!

le 15/07/2022 à 14:27
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Allez parler de besoins artificiels aux populations d’Asie, d’Afrique, du Moyen Orient, etc… vous verrez comment l’argument sera reçu. Apparemment vous êtes du côté de ceux qui ont accès à l’essentiel……

le 15/07/2022 à 23:05
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Comment avez vous devinez? Oui! J'ai un petit jardin et quelques poules!;-)

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