Il y a trois ans, Nicolas Sarkozy espérait encore pouvoir revenir un jour au pouvoir. C'était l'époque de l'affaire Benalla. En coulisses, la tension montait déjà entre le groupe Bolloré et l'Elysée. Dans les médias, Alexis Kohler devenait une cible de choix. Et il y eut aussi l'irruption des Gilets jaunes. À cette époque, le publicitaire Jacques Séguéla, compagnon de route de Nicolas Sarkozy, avait d'ailleurs inventé un nouveau slogan pour son ami : « Si c'est le chaos, c'est Sarko ». On connaît la suite de l'histoire : Nicolas Sarkozy fut condamné par la justice dans l'affaire des écoutes et pour le dossier Bygmalion. Depuis, sa lune de miel avec le président Emmanuel Macron ne s'est jamais démentie.
Les deux hommes n'ont cessé de s'appeler ces derniers mois : « Macron appelle Sarko tous les jours », nous assure un proche de l'ancien président. Par ses conseils, Nicolas Sarkozy espère pousser son avantage. Des circonscriptions réservées à ses proches pour les prochaines législatives ? Vendu ! « C'est en fait acté depuis plusieurs mois », explique notre source sarkozyste. L'idée de nommer Christine Lagarde à Matignon ? Le président n'a pas dit non. « Elle ne te fera pas d'ombre », a dit en substance Sarko au chef de l'État. « Comment la nommer en pleine lutte des classes, c'est impossible ! », persifle une de ses collègues chez LR. Et puis, il y a d'autres noms qui circulent sur la place de Paris pour Matignon. Parmi les macronistes pur jus, les noms de Julien Denormandie, d'Elisabeth Borne ou même... d'Alexis Kohler sont les plus souvent cités.
Le secrétaire général de l'Elysée est effectivement omniprésent dans l'organisation de la campagne. C'est lui qui fut à la manœuvre pour assurer le ralliement d'Éric Woerth. Et il y a un mois, une réunion au sommet s'est tenue à l'Elysée entre Nicolas Sarkozy et Emmanuel Macron en présence d'Alexis Kohler. Alors, Sarkozy « croit être au centre du jeu mais Macron n'en a pas besoin sur le plan politique », tacle une figure de la droite française. Pour autant, entre les deux hommes, les liens sont davantage structurels que politiques. Ils partagent un héritage commun : celui de la cohabitation Balladur-Mitterrand. Et ils ont des proximités communes comme avec Bernard Arnault ou David de Rothschild. Et puis, en cas de coup dur, une figure macroniste a été jusqu'à laisser entrevoir à Nicolas Sarkozy « le recours au droit de grâce ». Sur ce dernier point, un proche de l'ancien président n'y croit pas : « Vous verrez, une fois au pouvoir, Emmanuel Macron se foutra de sa gueule comme il l'a fait avec tout le monde, et dira en s'excusant faussement : "Nicolas, j'ai fait le maximum" ».
L'élastique du « en même temps » se tend
Encore faut-il que l'actuel président soit réélu. Si les sondages semblent se creuser en sa faveur, la plupart sont tout de même inquiétants pour l'ancien disrupteur en chef. Alors, ce dernier fait feu de tout bois, notamment auprès des électeurs de gauche, multipliant les clins d'œil, à l'image du recul apparent sur le report de l'âge de départ en retraite. Au point d'irriter au cœur de sa base de droite, et de laisser indifférente la gauche qui n'est pas dupe de déclarations non suivies d'engagements clairs. L'élastique du « en même temps » finirait-il par craquer ? « Macron navigue à vue. Il fait capitaine de pédalo », juge ainsi « Jacques Sisteron », notre gorge profonde qui fut au coeur du dispositif de campagne d'En Marche en 2017. Et elle ajoute : « À trop vouloir faire travailler la poutre, les copropriétaires qui prennent la charpente sur la tête pensent à raison que le maître d'œuvre n'y est pas pour rien ».
Peu importe pour les élus de droite comme issus du PS qui se bousculent au portillon de la future grande maison macroniste, ce rassemblement censé remplacer En Marche. L'ancienne conseillère de Nicolas Sarkozy, Emmanuelle Mignon serait d'ailleurs bien placée pour prendre la présidence de ce futur grand parti, raillé par certains comme un futur « parti unique ». À droite pourtant, certains ne sont pas prêts à franchir le Rubicon. D'autres, comme Jean-François Copé, proposent un accord entre LR et la future majorité macroniste : « Le score de Macron va tout déterminer. S'il fait 58%, il va nous snober. Vous allez voir, il aura déjà préparé son gouvernement, et il va tout d'un coup changer de numéro de téléphone, il va nous ghoster », s'irrite un ponte chez LR. Au sein de l'ancien parti de Nicolas Sarkozy, on frôle la crise de nerf collective. « On a tout perdu. On est en mode AA, alcooliques anonymes. Au sein du parti, c'est chacun pour soi, chacun est devenu auto-entrepreneur. Les législatives vont être une boucherie », se désespère la même source.
Pourtant, tous ces acteurs restent suspendus à l'issue du second tour de la présidentielle. Car au sein du microcosme parisien, ils sont de plus en plus nombreux à parler ouvertement d'une victoire possible de Marine Le Pen, et à parier sur un tel scénario, souvent par intérêt et sans crainte particulière... En privé, certains responsables politiques des partis traditionnels, qui se verraient bien se refaire une santé en devenant de futures forces d'opposition à Marine Le Pen, comme certaines figures des milieux économiques, se disent que cela ne serait pas une si mauvaise chose : une telle configuration permettrait au moins de dégager Emmanuel Macron.
L'establishment parisien non macroniste tenté par un moment Trump ?
« Effectivement, il n'y a plus de digue. Regardez les débats à la télévision qui se demandent si Marine Le Pen est vraiment d'extrême droite ! » s'inquiète ainsi un proche conseiller du président, qui s'en indigne : « Tous ces gens préfèrent parier sur le chaos pour leur destin individuel ». Et de citer l'exemple du président des Républicains de l'Aube, François Baroin, qui n'a pas appelé cette année à voter pour Emmanuel Macron pour faire barrage à Marine Le Pen, comme il l'avait pourtant fait en 2017. Cette posture du « ni ni » est un calcul politique pour tenter de ne pas tout perdre lors des législatives qui s'annoncent périlleuses.
Mais d'autres parient plus ouvertement sur une victoire de Marine Le Pen pour leur permettre d'ouvrir le jeu politique dans les prochaines années. L'establishment parisien non macroniste serait-il tenté par un moment Trump ? Emmanuel Macron serait pris ainsi à son propre piège, celui de préférer un débat avec l'extrême droite plutôt qu'avec ce qu'il reste de la gauche, pour pouvoir se placer comme seul rempart au chaos. Certes cette stratégie pourrait lui permettre de gagner une nouvelle fois le gros lot. Encore faut-il que les digues ne lâchent pas entre temps...