Faut-il être fou pour devenir président de la République ?

POLITISCOPE. Face à la montée des tensions internationales, les Français au bord de la crise de nerf sont invités à voter dimanche. Avec la hausse de l'inflation, la thématique du pouvoir d'achat a pris le dessus sur les thèmes identitaires. Surpris par la dynamique Le Pen et Mélenchon, Emmanuel Macron le sait : il ne suffit pas d'avoir un grain de folie pour être président, il faut aussi avoir un peu de chance. Une chose est sûre : les Français sont inquiets et attendent un président qui leur apportera une forme d'apaisement après deux ans de crises.
(Crédits : SARAH MEYSSONNIER)

C'est un fait historique étrange : il y a un peu plus d'un siècle, au printemps 1920, le président américain Woodrow Wilson a donné l'ordre aux sénateurs démocrates américains de voter contre la ratification du traité de Versailles qu'il avait pourtant lui-même négocié, le faisant ainsi volontairement échouer. Action particulièrement étonnante pour celui qui avait travaillé sans relâche durant de nombreux mois à Paris pour jeter les bases de la future Société des Nations censée prévenir les guerres à tout jamais. Le président américain Woodrow Wilson avait-il perdu la raison ? C'est la question posée quelques années plus tard par Sigmund Freud et le diplomate américain William Bullitt dans un texte finalement publié dans les années 1960.

Au vu de l'actualité internationale, cette plongée historique tombe à pic : elle nous est proposée par le politologue et directeur de recherche au CNRS Patrick Weil, qui vient de publier un passionnant ouvrage intitulé justement Le président est-il devenu fou ? Le diplomate, le psychanalyste et le chef de l'État (Grasset, 25 euros). Patrick Weil a en effet retrouvé dans une bibliothèque américaine le manuscrit original de Freud et Bullitt sur la psychologie de Woodrow Wilson. Bullitt avait été sincèrement choqué par le comportement de son président, d'autant plus que le jeune diplomate avait participé aux négociations sur le traité de Versailles. Il en tira une conclusion radicale : il est urgent de mettre fin au régime présidentiel qui dépend bien trop d'un seul individu et de sa personnalité. Pour lui, seul un système de gouvernement parlementaire peut permettre de limiter de tels risques.

Bullitt reprit par la suite sa carrière de diplomate, devenant notamment ambassadeur à Paris et conseiller de Roosevelt. Régulièrement, les intuitions et analyses de ce brillant diplomate sur l'ordre international furent fulgurantes. En septembre 1939 déjà, il écrit : « À mes yeux, M. Hitler a déjà complètement perdu la guerre. J'imagine qu'il pense en finir assez rapidement avec la France et l'Angleterre pour se retourner contre les Bolchos et leur donner le coup de grâce. Mais cela ne se passera pas ainsi, les [Soviétiques] vont croître comme un cancer et pousser jusqu'à Berlin. Après quoi, il faudra en finir avec le Grand Khan Staline (...) comment ? »

Un siècle plus tard, les tumultes du monde s'imposent à nouveau aux Européens, perdus au milieu du nouveau choc des super puissances, celui entre la Chine et les États-Unis. Dans ce contexte particulièrement tendu, avec le retour des menaces d'hiver nucléaire, Patrick Weil remarque, non sans malice, que les interrogations du psychanalyste et du diplomate sont encore pertinentes : « Aujourd'hui encore, la question posée par Freud et Bullitt est plus que jamais d'actualité. Comment empêcher une personnalité instable d'accéder et de demeurer au pouvoir, de mener un pays et parfois le monde à la catastrophe ? »

Un président apaisant ?

Une chose est sûre : les Français attendent en priorité un président qui leur apportera une forme d'apaisement. Ainsi, durant cette campagne un peu particulière, celui qui est apparu le plus transgressif, voire franchement borderline, Eric Zemmour, semble avoir échoué dans son coup de poker. Ses déclarations tonitruantes et surtout son programme marqué par la peur et le rejet, axé principalement sur les questions de l'immigration ou de l'identité, sont apparus totalement en décalage face aux tumultes actuels du monde. Ses partisans se rassurent en pariant sur un « vote caché » qui ne serait pas comptabilisé par les différents instituts de sondage.

Les Français pourtant sont ailleurs : depuis plusieurs semaines, ils s'inquiètent principalement de leur « pouvoir d'achat », de la crise énergétique, des difficultés économiques à venir. De tout cela, Zemmour n'en a quasiment pas parlé au cours de sa campagne. Son obsession du « grand remplacement » a fini par le marginaliser au moment où Marine Le Pen faisait des problématiques sociales l'un de ses axes de campagne. Cette polarisation de l'électorat explique aussi l'autre dynamique de cette fin de campagne : celle de Jean-Luc Mélenchon.

Des Français au bord de la crise de nerf

Car derrière les sondages d'intention de vote, les enquêtes d'opinion qui s'intéressent au moral des Français sont bien plus riches d'enseignements. Et si une certaine dose de folie est sûrement nécessaire pour conquérir le pouvoir, les Français frôlent quant à eux la crise de nerf : selon le baromètre Odoxa, les trois quarts d'entre eux anticipent que 2022 sera une année de grandes difficultés économiques. Ce pessimisme a quasiment doublé depuis janvier dernier (passant de 42 % à 73%).

Les Français sont angoissés des conséquences économiques de la guerre en Ukraine, et de l'explosion des prix de l'énergie et des matières premières. Élément qui devrait inquiéter particulièrement Emmanuel Macron et ses équipes : 8 Français sur 10 dans cette enquête jugent négativement son bilan en termes de « pouvoir d'achat ». Cette thématique qui s'est invitée dans la campagne pourrait donc bien réserver quelques surprises dans les prochains jours... Emmanuel Macron le sait : il ne suffit pas d'avoir un grain de folie pour être président, il faut aussi avoir un peu de chance. Ce fut le cas en 2017. Qu'en sera-t-il en 2022 ?

Commentaires 14
à écrit le 08/04/2022 à 17:44
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C'est clair que vu le déchaînement ambiant de haine, d'intolérance et de violence du "bon peuple" dans notre pays, il n'y aura bientôt plus que des psychopathes comme candidats

à écrit le 08/04/2022 à 14:48
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..... L ' homme providentiel ( Music ) by SILMARILS .

à écrit le 08/04/2022 à 13:15
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Bon c'est un emploi à plein temps mais la cantine est bonne, voire même très bonne avec 80 personnes employées pour régaler tout ce petit monde avec du très haut de gamme. Et pour vous soulager vous pourrez faire appel à un cabinet...de conseil.

à écrit le 08/04/2022 à 12:16
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Nous autres, les populations européennes, subirons (et les subissons déjà, mais le pire est à venir) les contrecoups de cette hallucinante soumission aux dogmes antirusses, qui ont déjà détruit nos États autrefois souverains. Tant que les têtes de c...

à écrit le 08/04/2022 à 11:45
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Faut il être fou pour voter pour quelqu'un de fou ?

à écrit le 08/04/2022 à 11:07
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"Emmanuel Macron le sait : il ne suffit pas d'avoir un grain de folie pour être président, il faut aussi avoir un peu de chance." La chance d'avoir une vingtaine de membres d'un cabinet américain comme McKinsey pendant sa campagne électorale de 20...

à écrit le 08/04/2022 à 10:25
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Il faut être dingue pour être le représentant des usa en France, pays occupé et nous faire croire le contraire tous les jours dans une presse mainstream unanimement subventionnée par sa population.. F Asselineau "qui gouverne...

à écrit le 08/04/2022 à 9:30
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Le pouvoir vertical de nos présidents de la V ème république rend le poste plus exposé. Une seule personne décide , il est temps de rendre notre démocratie plus participative et favoriser la décentralisation.

le 08/04/2022 à 9:52
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Oui, le pouvoir est trop concentré dans les mains de ceux qui ne savent rien et prétendent de tout savoir. C'est à l'opposé des principes du libéralisme et de l'économie de marché basés sur le principe de la division du travail et de l'information et...

à écrit le 08/04/2022 à 9:28
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Il faut surtout faire de la politique autrement. Chacun peut se rendre compte combien ces autorités sont usées au bout de quelques années à concentrer tous les pouvoirs... C'est comme sur un bateau, pour durer il faut dormir et bouffer donc disposer ...

à écrit le 08/04/2022 à 8:59
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Une excellente question, je dirais qu'il faut avoir le sens du sacrifice non naturel et hautement important c'est sûr et certain. Sachant que nos président ne président plus rien qu'ils ne suivent plus que les feuilles de routes des marchés financier...

à écrit le 08/04/2022 à 8:38
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les fachos d'extreme gauche qui viennent avec leur apaisement reenchante, tout le monde a compris! 6 pieds sous terre dans la tolerance, on est apaise

à écrit le 08/04/2022 à 8:26
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au cas ou m macron soit reelu au 2 ieme tour sa vision de changement n'aura pas de valeur si au soir du 1er tour son score est inferieur a 30 pour cent ce n'est avec plus de 2francais sur 3 contre ses idees que celle ci peuvent etre appliquer chose...

à écrit le 08/04/2022 à 8:16
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Que ne feront pas pour un "jeton de présence" puisque le "Conseil" se charge du reste!

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