Ce n'est pas la drôle de guerre, ou la grande vadrouille, mais cela y ressemble beaucoup : la « campagne » présidentielle de 2022 a des faux airs de « sauve-qui-peut général » pour la classe politique, comme me le fait remarquer Jacques, spécialiste du « et de droite et de gauche », et qui connaît une bonne partie des secrets de la macronie depuis la campagne de 2017. Dernier épisode en date : celui des premiers ralliements à Emmanuel Macron.
Les jeux sont-ils déjà faits ?
Ce véritable « mercato » qui ne dit pas son nom est pour le moins indécent alors qu'il intervient en dehors de tout débat de fond politique et avant même que le président daigne officialiser sa candidature. Pour ces transfuges, peu importe « la ligne » du futur mandat présidentiel d'Emmanuel Macron, l'essentiel est de faire partie de la team. On n'est décidément plus dans la guerre des classes, mais bien dans la guerre des places. Comme si la politique se résumait à un vaste jeu de massacres façon Battle Royale, le film d'horreur japonais.
Dans cette optique, il est clair qu'à force de profiter de l'éparpillement des candidatures bien à droite et bien à gauche, Emmanuel Macron, pas encore officiellement déclaré candidat, joue sur du velours vis-à-vis des responsables politiques de droite et de gauche : dans les dîners en ville à Paris ou dans les couloirs du pouvoir, les jeux sont déjà faits pour beaucoup : Emmanuel Macron sera encore président de la République en mai.
La nomenklatura se partage le magot
Résignation pour les uns, enchantement et soulagement pour les autres : tous font en tout cas référence aux sacro-saint « sondages » qui donnent toujours une longueur d'avance à Emmanuel Macron (même si, sans que l'on y prenne garde, les intentions de vote en sa faveur se réduisent de semaine en semaine). Ces sondages donnent des cauchemars aux « petits » candidats qui plafonnent dans les intentions de vote, comme Anne Hidalgo, la maire de Paris, qui poursuit sa campagne supplice et dénonce, impuissante, cette « course aux petits chevaux » dont se délectent journalistes, sondeurs et... responsables politiques.
En attendant d'avoir (enfin) un vrai débat sur le fond et sur l'avenir de la France, cette lutte des places montrent le spectacle désolant d'une nomenklatura politique qui donne l'impression de se partager le magot sans en avoir rien à faire des Français et de leurs votes.
Parmi les premières prises de guerre d'Emmanuel Macron, on a donc Éric Woerth, ancien ministre du Budget et du Travail de Nicolas Sarkozy. Ce pilier de la droite française connaît nombre de ses secrets : ancien trésorier de l'UMP et trésorier du candidat Sarkozy en 2007, il est mis en examen pour « complicité de financement illégal de campagne électorale » dans le cadre de l'affaire Sarkozy-Kadhafi, mais également dans le cadre de l'affaire Tapie. Mais avant de subir les projecteurs de la presse et de la justice, Woerth fut le président de l'Agence pour le développement de l'Oise (ADO) avec comme adjointe la trésorière occulte du RPR, Louise-Yvonne Casetta.
Woerth, une ancienne connaissance de Macron
Ancien maire de Chantilly, député de l'Oise, président de la commission des Finances de l'Assemblée Nationale, Éric Woerth connaît bien les affaires d'argent dans le monde politique. Aujourd'hui, on dit de lui qu'il rêverait du privé et d'être nommé par Emmanuel Macron à la tête d'une grande entreprise publique ou en lien avec l'État. Point de maroquin ministériel pour ce transfuge de la droite, l'heure est au business pur.
À ceux qui s'étonnent du ralliement d'Eric Woerth à Emmanuel Macron, il est nécessaire de revenir 20 ans en arrière pour comprendre : durant toute son ascension, l'actuel président a bénéficié de la « filière de l'Oise », comme je le relate dans mon livre L'Emprise. Il y a vingt ans, quand Emmanuel Macron fait son stage ENA à la préfecture de Beauvais, il rencontre ainsi Hubert Monzat, alors sous-préfet de l'Oise, devenu directeur général de France Galop (dont le propriétaire est Édouard de Rothschild). Monzat fut le directeur de cabinet d'Éric Woerth à la maire de Chantilly ainsi que son conseiller spécial.
C'est à Beauvais qu'en 2002, Emmanuel Macron rencontre aussi Henry Hermand, cet industriel de la grande distribution et financier de Michel Rocard qui devient son mentor et lui ouvre rapidement tout son carnet d'adresse. Hermand possède ainsi une maison près de Chantilly, dont Eric Woerth a été le maire jusqu'en 2017. C'est aussi grâce à Hermand, et à son séjour dans l'Oise, que Macron rencontre l'ambassadeur Jean-Marc Simon, habitué de la françafrique et suppléant... du député Eric Woerth. De son coté, Hubert Monzat fait découvrir à Macron le petit monde des courses de chevaux et des paris sportifs. Lorsque ce dernier arrive à l'Elysée en 2017, l'ancien directeur de cabinet d'Eric Woerth devient un vrai « conseiller du soir » du jeune président. Il lui prépare ainsi un déplacement en Andorre en 2019.
Des transfuges traités en direct par l'Elysée
En attendant que d'autres ralliements de droite aient lieu, ou que Nicolas Sarkozy affiche son soutien à Emmanuel Macron, les regards se tournent désormais vers la gauche. C'est ainsi qu'Eduardo Rihan-Cypel, ancien député PS sous François Hollande, qui partage avec son ami Bruno Roger-Petit, et conseiller « mémoire » à l'Elysée, la passion commune du foot, a décidé de rejoindre « Territoire de Progrès », ce « mouvement », dirigé par Olivier Dussopt, dont l'une des fonctions initiales étaient d'assurer un « sas de décompression » et « un cordon sanitaire » aux éventuels transfuges de gauche vers la macronie, comme me le révèle Jacques.
C'est la raison pour laquelle le délégué général de « TDP », Xavier Iacovelli, ambitionne, auprès des journalistes, d'amener en macronie plusieurs poids lourds du PS, tels que François Rebsamen, Marisol Touraine, ou Claude Bartolone, et ce, dans un futur proche. Un challenge autrement plus difficile que le « cas » Rihan Cypel, Car si ce dernier fait le choix de rejoindre « TDP » et la macronie, c'est qu'il est assuré de récupérer son siège de député qu'il avait perdu en 2017... l'actuel occupant, Jean-Michel Fauvergue, LREM pur sucre et ancien patron du RAID, a déjà décidé qu'il ne se représenterait pas. « En réalité, TDP ne sert à rien, tout est traité en direct de l'Elysée », m'assure Jacques. Et ce n'est pas Iacovelli qui est réellement à la manœuvre, mais c'est Olivier Véran et Gabriel Attal, qui jouent le rôle des rabatteurs auprès des élus de gauche sur demande de l'Elysée.
Vers un gouvernement « d'union nationale » ?
Dans tous les cas, ce n'est pas une mais deux vagues de ralliements qui interviendraient dans les prochaines semaines : ceux qui afficheront leur soutien avec l'élection et ceux qui attendent encore avec le secret espoir d'être nommés dans un futur gouvernement « d'union nationale ». Parmi les noms évoqués par la macronie, nombre de jeunes pousses socialistes, comme Benoît Payan, le maire socialiste de Marseille, qui n'a cessé depuis son élection en deux temps de sympathiser avec Emmanuel Macron, mais aussi Mathieu Klein, le maire de Nancy, ou encore Michaël Delafosse, « l'atypique maire socialiste », tel que le présentait il y a quelques mois Le Figaro, qui s'extasiait de son combat contre l'insécurité et contre « les dérives communautaires ». Officiellement, ces trois-là soutiennent Anne Hidalgo, mais en coulisses, ils sont particulièrement courtisés par l'actuel pouvoir.
Bref, comme le dit Jacques avec une certaine amertume, « alors que la campagne d'Emmanuel Macron en 2022 a commencé avec le slogan "avec vous", elle va se terminer sur un entre nous ». Face à la défiance croissante des Français à l'égard de la classe politique, et à l'heure des « convois de la liberté », qui menace de déferler à paris ce samedi au point d'inquiéter le Préfet de Police, pas sûr que le calcul à courte vue des ralliements soit une si bonne chose pour le pouvoir, tant pour la prochaine élection qu'à plus long terme.