Emmanuel Macron a attendu, longtemps, mais il est désormais pleinement dans l'arène politique de la campagne présidentielle. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que le début de sa campagne est pour le moins bousculé par « l'affaire McKinsey », suite à la publication d'un rapport sénatorial qui a révélé que l'État avait dépensé plus d'un milliard d'euros en 2021 auprès de cabinets de conseil privés pour le guider dans son action. Dès dimanche, le président candidat réagissait à la télévision avec une certaine fébrilité : « s'il y a des preuves de manipulation, que ça aille au pénal ! », s'est il exclamé devant Francis Letellier, le journaliste de France 3 qui l'interviewait. Mais cela n'a pas suffi : la polémique enfle, elle gronde sur les réseaux sociaux, l'indignation gagne du terrain dans l'opinion.
Au sein de la macronie, le malaise est palpable, l'inquiétude s'installe. Car à une dizaine de jours du premier tour, cette polémique tombe au plus mal. Elle réactive le procès du mélange des genres entre public et privé qui a déjà entaché bon nombre d'épisodes du quinquennat. Pour éteindre l'incendie, le gouvernement a convoqué une conférence de presse.
C'est Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques, et Olivier Dussopt, ministre délégué chargé des comptes publics, qui s'y sont collés. « Aucun cabinet de conseil n'a décidé d'aucune réforme, la décision revient toujours à l'Etat », a tenté de convaincre ce dernier. La polémique reprit pourtant de plus belle dès le lendemain avec de nouvelles révélations de Médiapart : le site d'investigation révèle que McKinsey a réalisé des prestations pro bono, sans contrat ni rémunération, pour Emmanuel Macron lorsqu'il était ministre de l'économie entre 2014 et 2016.
Plusieurs membres du cabinet de conseil américain ont par ailleurs participé, tout aussi gracieusement, au lancement d'En Marche et au début de sa campagne. Justement, dans son rapport, le Sénat estimait que ces missions gratuites peuvent « être "récupérées" pour les besoins de la stratégie commerciale des cabinets de conseil ».
Pour Emmanuel Macron, cette polémique est d'autant plus dangereuse que Marine Le Pen, la candidate d'extrême droite monte de jour en jour dans les sondages. Plus inquiétant encore, les remontées du terrain au ministère de l'Intérieur sont particulièrement pessimistes sur l'état de l'opinion à l'égard du président sortant. En déplacement à Fouras, en Charente-Maritime, le chef de l'État a pourtant tenté de faire bonne figure, confiant aux journalistes : « On va continuer de se battre jusqu'à la dernière seconde ». Et d'ajouter : « Je n'ai jamais banalisé le Front national (...) il y a un tandem d'extrême droite, que je combats ». Une manière de sonner le tocsin auprès des électeurs abstentionnistes. Car dans le cas d'un second tour Emmanuel Macron / Marine Le Pen, le principal ennemi du président sortant sera l'abstention des électeurs... de la gauche.
D'autant plus qu'avec le surgissement d'Éric Zemmour lors de cette présidentielle, Marine Le Pen a réussi à se banaliser auprès des Français sans faire plus d'effort. La candidate du Rassemblement National ne fait plus autant peur qu'en 2017. Pire, la défiance à l'encontre du président de la République semble submerger toute autre considération. « Le front anti-Macron est plus puissant que le front pro-Macron. Marine Le Pen ne fait plus peur alors qu'Emmanuel Macron inquiète. Et le poids des mécontentements accumulés durant cinq ans pourrait provoquer un séisme, c'est-à-dire l'élection de Marine Le Pen », estime une figure de la droite française.Celle-ci a d'ailleurs compris très tôt dans la campagne qu'elle avait intérêt à jouer la carte du rassemblement et du dépassement.
Cette attitude de « force tranquille » est totalement assumée dans les rangs du RN. Il y a un mois, Marine Le Pen prenait clairement ses distances avec Éric Zemmour, jugement que le journaliste avait un « projet de guerre civile, de division, de brutalité ». En gardant son cap, la candidate du RN a fin par s'imposer face à Éric Zemmour et Valérie Pécresse.
De son côté, Emmanuel Macron a cru pouvoir mener une campagne Blitzkrieg, préférant s'investir depuis le début de l'année dans la présidence européenne et se concentrer sur son action diplomatique en pleine guerre russe en Ukraine. Ces derniers jours pourtant, le président sortant s'aperçoit un peu tardivement qu'il a pris du retard face à une Marine Le Pen qui n'a cessé d'enjamber sa qualification : « Elle fait une campagne de second tour, et une fois qu'elle y sera, elle en appellera à l'union nationale. Tandis que Zemmour, son problème, c'est l'union des droites, elle, son sujet, c'est le rassemblement des Français », analyse un proche des Républicains. Dans ces conditions, le maitre des horloges réussira-t-il à retrouver la maitrise du tempo en cette fin de campagne ?
Marc Endeweld.