Leurs couleurs politiques ne laissent planer aucun doute quant à leur positionnement dans l'opposition. Mais c'est un cri du cœur contre une forme extrême de la précarité qu'ont lancé Jeanne Barseghian, maire (EELV) de Strasbourg, Nathalie Appéré, maire (PS) de Rennes, Grégory Doucet, maire (EELV) de Lyon, Pierre Hurmic, maire (EELV) de Bordeaux, et Eric Piolle, maire (EELV) de Grenoble. Ce 15 février, ils ont décidé d'attaquer l'Etat en justice pour son manquement à l'obligation de mise à l'abri des personnes contraintes de dormir à la rue.
« L'hébergement d'urgence repose sur un système inadapté, insuffisant, inefficace et surtout absolument indigne », a déclaré Jeanne Barseghian. « Notre pays compte 330.000 personnes sans abri et 3.000 enfants dorment à la rue », a rappelé la maire de Strasbourg, reprenant les chiffres de la Fondation Abbé Pierre.
Des factures élevées, mais symboliques
Après les recours gracieux déposés en octobre 2023 auprès de leurs préfectures respectives, « auxquels l'Etat n'a fourni aucune réponse » selon Jeanne Barseghian, les cinq mairies attaquent cette fois en contentieux au tribunal administratif. « Nos recours traduisent les dépenses mises en œuvre pour faire face aux besoins, qui explosent. A Strasbourg, au-delà des 600 places d'hébergement pérennes gérées par la mairie, nous avons ouvert un gymnase pour accueillir 335 personnes dont la moitié d'enfants. La dépense pour la ville et le centre communal d'action sociale s'élève à 917.807 euros », a détaillé Jeanne Barseghian. A Rennes, la maire Nathalie Appéré a évalué la facture à 3,07 millions d'euros. « Nous n'y arrivons plus aujourd'hui. 28 enfants dorment encore dans la rue à Rennes, et 20 autres dans les écoles, dans des conditions non acceptables. La crise est systémique et structurelle », a fustigé l'élue bretonne.
A Grenoble, Eric Piolle n'a pas voulu calculer en détail la charge de l'hébergement d'urgence sur les finances publiques. « On dépense plus de deux millions d'euros mais ce qu'on demande, pour l'exemple, c'est le remboursement pour une famille », a indiqué l'élu. Soit 50.940 euros pour les frais hôteliers et de structure. « Nous voyons poindre une hiérarchisation des demandes d'hébergement d'urgence, ce qui est insupportable. Si vous êtes un homme seul, vous n'avez aucune chance au 115 », a observé Eric Piolle. « Ce que nous défendons, c'est l'inconditionnalité de l'hébergement d'urgence, la dignité et la justice sociale », a résumé Pierre Hurmic.
Les maires face à l'incompréhension des habitants
Pour étayer leur action en justice, les élus citent le code de l'action sociale et des familles. « L'hébergement d'urgence est une responsabilité de l'Etat. C'est une obligation de résultat qui est inscrite dans la loi », insiste Grégory Doucet. L'élu lyonnais reconnaît qu'il doit régulièrement faire face à l'incompréhension des habitants. « Régulièrement, on nous demande d'agir, en tant que maire », rapporte Grégory Doucet, qui jure que cette action concertée en justice par cinq maires écologistes et de gauche « ne constitue pas une démarche partisane » contre le gouvernement.
La démarche vise aussi, selon Jeanne Barseghian, à définir un autre mode d'entente avec l'Etat, dans une « gouvernance collégiale de hébergement d'urgence » qui associerait d'une autre manière les collectivités territoriales. Anne Hidalgo, maire (PS) de Paris, s'était jointe en octobre 2023 à ce même groupe d'élus en co-signant une tribune, publiée par le quotidien Libération. Elle fustigeait le sous-dimensionnement de l'action de l'Etat en faveur des personnes qui dorment dans la rue. L'élue parisienne est restée, cette fois, à l'écart.