Comment les conséquences économiques de la guerre en Ukraine pèsent sur la présidentielle

Les atrocités de la guerre en Ukraine ont provoqué de la sidération chez un grand nombre de Français. A l'approche du scrutin présidentiel, beaucoup d'électeurs s'inquiètent des retombées économiques possibles du conflit. Après une campagne atone, beaucoup de spécialistes et d'instituts de sondages tablent sur une abstention record.
Grégoire Normand
(Crédits : Reuters)

À la veille du premier tour du scrutin, la situation politique de la France est plongée dans un épais brouillard. Après deux longues années de pandémie et l'invasion de la Russie en Ukraine à la fin du mois de février, la campagne présidentielle a laissé un goût amer à de nombreux Français. Lancée à l'automne 2021, la bataille entre les candidats est restée à la peine. "La guerre en Ukraine est venue tout changer. Les perspectives économiques ont drastiquement changé [...] Dans ce contexte très incertain, il y a une hausse de la peur de la stagflation et des craintes de récession. Les conséquences de la guerre en Ukraine peuvent donner un coup de grâce à l'économie mondiale", a déclaré l'économiste en cheffe du cabinet Oxford Economics, Daniela Ordonez, en charge de la France lors d'un séminaire ce vendredi 8 avril.

Alors que les pays occidentaux durcissent leurs sanctions à l'égard de la Russie, la plupart des instituts de prévisions ont déjà fortement dégradé leurs chiffres de croissance pour 2022. La perspective d'un embargo sur l'énergie russe devrait faire grimper la facture des Français, déjà gonflée par les récentes poussées de fièvre inflationnistes. Dans ce contexte, les répercussions économiques de la guerre pourraient avoir une incidence sur le comportement des électeurs dimanche prochain. "La guerre en Ukraine a d'abord bénéficié à Macron dans les sondages. Marine Le Pen et Jean- Luc Mélenchon ont grimpé en flèche. Ils articulent leur discours de campagne autour du pouvoir d'achat. Eric Zemmour et Valérie Pécresse ont été distancés en délaissant le thème du pouvoir d'achat", a souligné l'économiste.

Les Français redoutent les conséquences économiques du conflit

Il faut dire que ces dernières années ont été marquées par une succession de crises particulièrement graves. Au printemps 2020, le chef de l'Etat Emmanuel Macron annonçait un couvre-feu sur l'ensemble du territoire français. En seulement quelques heures, de nombreux secteurs ont dû arrêter leurs activités tandis qu'une partie des Français se précipitaient dans les gares et sur les routes à l'approche d'un confinement strict et sévère. Deux ans après, les craintes sur la crise sanitaire ont laissé la place à l'anxiété provoquée par les effets de la guerre en Ukraine. "Les conséquences de la guerre en Ukraine ouvrent clairement un espace pour Marine Le Pen, " explique à La Tribune, le politologue et spécialiste des droites radicales au CNRS et à Science-Po Paris, Gilles Ivaldi.

La hausse des prix des carburants, la flambée des matières premières, les difficultés d'approvisionnement ont alimenté la colère sociale ces dernières semaines. Pour tenter d'éteindre l'incendie, le gouvernement a déployé tout un arsenal de mesures depuis l'automne estimé à environ 30 milliards d'euros mais plusieurs économistes ont pointé le manque de ciblage de certaines mesures sur les ménages les plus modestes comme la ristourne de 15 centimes d'euros sur les prix des carburants ou le chèque inflation qui vise 38 millions de personnes.

En passant au scalpel les programmes du Rassemblement national et celui de Reconquête, le parti d'Eric Zemmour, le chercheur estime que "cette guerre donne plus de force au programme de Marine Le Pen".  "Face aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine et des répercussions de cette dernière sur le pouvoir d'achat des Français, l'agenda social-populiste mis en avant par Marine Le Pen donne sans aucun doute à cette dernière un avantage auprès des catégories populaires, des ménages les plus modestes et, au-delà, auprès de classes moyennes directement affectées par la hausse du coût de la vie et des dépenses contraintes", explique l'enseignant.

"Un choc monstrueux sur le pouvoir d'achat des catégories populaires"

L'éclatement de la guerre aux portes de l'Europe a ravivé les peurs d'un élargissement du conflit aux autres pays de l'Union européenne. Face à ces risques d'escalade, les pays occidentaux ont tenté de soutenir l'Ukraine en livrant des armes et de l'aide humanitaire sans intervenir militairement sur le territoire. En dépit des efforts diplomatiques menés depuis des semaines, l'armée russe semble déterminée à occuper le territoire ukrainien pendant encore un long moment d'après les spécialistes. "Le niveau d'incertitude est inégalé. Les milieux politiques estiment que le conflit va durer et il va être pénible", a déclaré l'économiste Patrick Artus lors d'une récente réunion avec des journalistes.

"Nous sommes dans une économie de guerre", a averti le conseiller de la Banque Natixis. Selon lui, ce type d'économie se caractérise par un très grand besoin de dépense publique, des raretés, de l'inflation. "Dans une économie de guerre, l'inflation disparaît de la cible des banques centrales. Les rôles de la politique monétaire et budgétaire s'inversent", rappelle-t-il. "Le pire scénario pour la zone euro est la hausse des prix de l'énergie. L'Europe enchaîne deux chocs". Pour l'économiste, "le choc sur le pouvoir d'achat des plus modestes est monstrueux".

Plusieurs travaux ces dernières semaines ont en effet montré que la succession des chocs inflationnistes avait des répercussions bien plus importantes sur les premiers déciles de la distribution en raison notamment du poids des dépenses de carburant dans le budget de ces ménages. "Les dépenses sont extrêmement hétérogènes entre les déciles mais aussi à l'intérieur des déciles. Sans surprise, les ménages vivant en zone rurale subissent plus les effets que ceux vivant dans les villes. Les ménages du premier décile sont en partie compensés du choc inflationniste. Malgré le ciblage du chèque énergie, le choc est encaissé par les plus pauvres", a récemment souligné l'économiste de l'OFCE, Raul Sampognaro, lors d'un point presse.

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Le spectre d'une abstention record

Les derniers résultats des instituts de sondages tendent à indiquer que l'abstention pourrait frôler dans certains cas le record du 21 avril 2002 établi à 28%. A l'époque, le candidat du Front National, Jean-Marie Le Pen, s'était retrouvé au premier tour du scrutin présidentiel à la surprise générale en passant devant le candidat du Parti socialiste Lionel Jospin. Même si l'abstention est loin d'être un phénomène récent, les derniers scrutins aux municipales (2020) et aux régionales (2021) ont montré une désertion historique des bureaux de vote. Le professeur de Sciences-Politiques à Montpellier Jean-Yves Dormagen interrogé par La Tribune parle même "d'un collapse démocratique."

Après une campagne jugée atone et très critiquée pour son absence de débat, "l'enjeu de dimanche prochain est de savoir si la présidentielle va résister à l'abstention ou si elle va être touchée elle aussi et jusqu'à quel point", ajoute l'enseignant. "La guerre en Ukraine a complètement écrasé la campagne électorale", ajoute Adelaïde Zufilkarpasic, directrice du département opinion chez BVA. A quelques heures du premier tour, le niveau d'incertitude culmine.

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Grégoire Normand
Commentaires 4
à écrit le 09/04/2022 à 9:37
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"beaucoup de spécialistes et d'instituts de sondages tablent sur une abstention record." Non ils l'espèrent, car si jamais les français se déplaçaient en masse le résultat de cette élection serait totalement imprévisible et ça ils n'aiment pas quand ...

à écrit le 08/04/2022 à 23:32
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@Jame L'heure n'est pas à la polémique, ni à la petite politique, encore moins aux petites phrases ou offusquations surjouees. Tout un chacun à ses problèmes, mais la guerre qui frappe à notre porte nous impose de donner une priorité à l'intérêt na...

le 09/04/2022 à 10:15
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Merci Valbel36.

à écrit le 08/04/2022 à 20:15
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Pourtant les plus riches sous le quinquennat Macron , ont fait cartons pleins et il est prêt à en remettre une louche . Les politiques les plus riches ayant sévi à la tête de l'état ces 20 dernières années sont tous derrière lui pour un sauve qui peu...

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