Crédit d'impôt recherche : un maximum de 2.000 emplois créés par an, la niche peine à convaincre

Quinze ans après la mise en oeuvre du crédit d'impôt recherche, les économistes de la direction générale du Trésor estiment que cette niche fiscale évaluée à environ 6 milliards d'euros chaque année a eu un impact "faible" sur l'activité et l'emploi.
Grégoire Normand
(Crédits : Reuters)

La pandémie a jeté une lumière crue sur le retard de la France dans la course mondiale aux vaccins. Au mois de septembre, le géant pharmaceutique Sanofi a annoncé qu'il stoppait le développement de son vaccin ARN messager. Le laboratoire français, malgré des résultats intermédiaires favorables, considère que son vaccin arriverait trop tard sur le marché, alors que 12 milliards de doses de vaccins anti-Covid par d'autres fabricants, américains, européens ou chinois, auront inondé les différentes économies sur la planète. Malgré les efforts budgétaires consentis par la France, la recherche française est restée à la traîne des grandes puissances.

Pourtant, l'industrie pharmaceutique fait partie des grandes bénéficiaires du crédit d'impôt recherche (CIR). Selon les derniers chiffres du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, une partie importante du crédit d'impôt octroyé (13%) est fléchée vers les grandes firmes de la pharmacie. Dans ce contexte, une nouvelle étude du Trésor présentée ce mardi 19 octobre à Bercy dresse un bilan en demi-teinte d'une des plus importantes niches fiscales de l'économie française évaluée à 6,5 milliards d'euros en 2018. "En France, le soutien public à la Recherche et Développement privée est l'une des plus importantes des pays de l'OCDE. Le crédit d'impôt recherche fait figure de pilier central [...] La réforme de 2008 aurait eu un effet faible sur l'activité et l'emploi" a déclaré Claire Le Gall, économiste au Trésor et l'une des auteurs de ce travail lors d'une réunion. Pour rappel, le calcul du crédit d'impôt recherche est basé sur les dépenses en recherche et développement des entreprises depuis 2008. Auparavant, son calcul s'appuyait à la fois sur le volume et sur la hausse de ces dépenses. La réforme du quinquennat Sarkozy a mis fin au critère d'accroissement. Les règles d'éligibilité se sont donc considérablement assouplies.

Entre 20.000 et 30.000 emplois en quinze ans

Les résultats de l'étude de l'équipe du Trésor qui a travaillé sur la réforme de ce dispositif enclenché sous le mandat Sarkozy montrent un maigre effet macroéconomique près de 15 ans après sa mise en oeuvre. "Les effets sur la hausse de la productivité mettent du temps à se matérialiser. Au bout de 15 ans, cette réforme aurait eu un impact de 0,2 à 0,5 point de PIB et de 20.000 à 30.000 emplois" a affirmé Claire Legall. Ce qui représente, en moyenne, entre 1.300 et 2.000 emplois chaque année crées. Le crédit d'impôt recherche destiné à faciliter l'embauche d'ingénieurs ou de techniciens de recherche peine à faire ses preuves.

A plus long terme, cette réforme débattue permettrait de créer 60.000 emplois et booster l'activité à hauteur de 0,8 point de PIB. Les conséquences sur l'emploi demeurent difficiles à mesurer indique un récent rapport parlementaire mené par le député Pierre Henriet (LREM). Evidemment, les répercussions économiques de ce dispositif peuvent varier selon le modèle utilisé par les chercheurs mais les résultats ne montrent pas de différences de taille sur la croissance ou le marché du travail.

Des effets hétérogènes selon la taille des entreprises

Lors d'un précédent rapport dévoilé en juin dernier, la Commission Nationale d'Évaluation des Politiques d'Innovation sous l'égide de France Stratégie avait montré des effets très hétérogènes selon la taille des entreprises. Les auteurs soulignaient que les effets étaient "significatifs pour les entreprises de moins de 250 salariés mais non pour les plus grandes entreprises." L'étude de l'institut des politiques publiques (IPP) associée au rapport du CNEPI "ne voit pas d'impact positif sur la performance économique des entreprises de plus de 250 salariés" pointe Claire Legall.

Si l'efficacité du crédit d'impôt recherche est plus visible pour les PME et les TPE, un certain nombre d'entre elles expriment néanmoins des difficultés à se l'approprier.

"Les petites entreprises ne disposent pas nécessairement de l'expertise nécessaire en interne, à la différence des grandes entreprises, pour apprécier si leurs opérations de recherche présentent bien les caractéristiques requises et sont bien éligibles, ce qui leur impose de recourir à des cabinets de conseil. De ce fait, le recours au CIR s'avère plus coûteux pour les petites que pour les grandes entreprises" poursuivait le rapport parlementaire précité.

S'agissant des possibles "effets d'aubaine", la cheffe économiste du Trésor, Agnès Bénassy Quéré, interrogée par La Tribune explique "qu'en matière de politique publique, il y a toujours des effets d'aubaine. Est-ce qu'il y en a beaucoup ? Le doute est permis pour des grands groupes et beaucoup moins pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les PME" explique-t-elle.

Des dépenses de recherche privées en hausse

La plupart des résultats de la littérature économique repris dans la note du Trésor montrent que le crédit d'impôt recherche a eu un impact surtout à l'échelle microéconomique. Les études mettent l'accent sur "un effet d'additionnalité du dispositif à partir de sa réforme en 2008, un euro de CIR conduisant à un euro de dépense supplémentaire en R&D privée. La réforme du CIR aurait contribué à augmenter les dépenses en R&D privée de la France" explique la direction de Bercy. Outre cette hausse des dépenses de recherche du secteur privé, le CIR peut générer des effets chez les entreprises qui ne font pas de recherche. "La recherche et développement génère des externalités positives. La Recherche et Développement permet de traduire les innovations en procédure et oblige les autres entreprises à se positionner" ajoute Claire Le Gall.

Une explosion de la dépense fiscale, la France à la traîne

Mis en oeuvre en 1983, sous le premier septennat de François Mitterrand, le crédit d'impôt recherche a connu une forte montée en puissance après la réforme de 2008. Les économistes de Bercy rappellent que les créances fiscales sont passées de 1,8 milliard d'euros à 6,5 milliards d'euros en 2018.

En dépit de cette explosion de la dépense fiscale, la France reste à la traîne des pays développés en matière de recherche et développement. En 2018, l'Hexagone dépensait en moyenne 2,2% de son PIB dans la recherche contre 2,42% dans l'OCDE. L'économie tricolore se situe bien loin derrière l'Allemagne (3,1%) ou encore le Japon (3,28%). "Le retard en dépense intérieure de recherche et développement de la France s'explique notamment par la dépense intérieure en R&D des entreprises (DIRDE) qui s'établissait, en 2018, à 1,44 % de PIB en France contre 1,72 % de PIB en moyenne des pays de l'OCDE" précisent les économistes du Trésor. Dans le même temps, la France consacre une part importante de dépense publique par rapport aux autres pays de l'OCDE. "En 2017, le financement public à la R&D privée (soutien direct et incitation fiscale) représente 0,4 % du PIB en France contre 0,21 % du PIB aux États-Unis et 0,07 % en Allemagne" indique l'étude.

Une niche fiscale préservée

Cette niche fiscale, malgré les alternances politiques, a traversé les quatre dernières décennies en connaissant quelques réformes d'ampleur (2008) ou des ajustements. La réforme de la fiscalité internationale accélérée depuis l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche a suscité des doutes dans certains milieux économiques et financiers en France. Face aux craintes des entreprises bénéficiaires, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a assuré que le crédit d'impôt recherche à la française serait maintenu. En attendant l'accord du G20 à la fin du mois en Italie, certains risquent de retenir leur souffle.

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Grégoire Normand
Commentaires 7
à écrit le 20/10/2021 à 12:15
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ce que dit réellement l'étude : l'effet sur l'activité à court terme de la réforme du CIR de 2008 est faible puisque les gains économiques de la R&D mettent du temps à se matérialiser.

à écrit le 20/10/2021 à 10:21
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d’après l’Etat de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France publié en avril 2021, les effectifs de chercheurs en entreprise sont passés de 148 000 à 189 000 entre 2011 et 2018. cela ne semble pas anodin. par ailleurs, l...

à écrit le 20/10/2021 à 8:13
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Quand on voit que CARREFOUR le touche on se doute que ça doit être une belle arnaque ce truc encore hein, certainement pour rechercher des méthodes marchandes pour nous vendre encore plus de produits dont on a encore moins besoin ! ^^

à écrit le 20/10/2021 à 6:24
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tout le monde a compris que la conclusion de l'etude a ete deposee sur le bureau de celui qui devait la realiser pour conclure qu'il faut en finir avec le CIR.......sinon quand on a fait des stats et qu'on a un minimum d'honnetete intellectuelle, on ...

à écrit le 19/10/2021 à 19:33
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Quand on surtaxe les entreprises et on leur rend la vie impossible une petite compénsation de 6,5 milliards n'est qu'un detail (nous avons 80 miliards d'allocations familiales...). Evaluer si un dispositif marche est très fificile dans ce contexte p...

le 19/10/2021 à 20:37
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C'est beaucoup plus la médiocrité de nos dirigeants qui est responsable de cela.

à écrit le 19/10/2021 à 19:32
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Quand on surtaxe les entreprises et on leur rend la vie impossible une petite compénsation de 6,5 milliards n'est qu'un detail (nous avons 80 miliards d'allocations familiales...). Evaluer si un dispositif marche est très fificile dans ce contexte p...

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