La question ultra-sensible de l'utilisation des pesticides risque-t-elle de contrarier les efforts du gouvernement pour apaiser les agriculteurs en colère ? Le scénario n'est pas à exclure au vu du déroulé du Comité d'orientation et de suivi (COS) qui s'est tenu lundi 12 février dans l'après-midi au ministère de l'Agriculture.
Les défenseurs de l'environnement sont vent debout contre l'une de concessions du gouvernement aux principaux syndicats agricoles, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (Fnsea) et les Jeunes agriculteurs : à savoir la mise « à l'arrêt » du troisième plan Ecophyto, visant à réduire l'utilisation de pesticides, mais aussi la mise en place d'un « nouvel indicateur », qui, selon eux, biaiserait complètement les résultats. Conviées au COS, avec quatre ministres (le ministre de l'Agriculture, la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, le ministre de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires et la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche), ainsi que des élus et des représentants des agriculteurs et de l'industrie, huit ONG environnementales ont finalement claqué la porte avant le début de la réunion.
L'objectif maintenu, l'indicateur discuté
« L'invitation qui nous a été envoyée jeudi dernier ne contenait ni ordre du jour ni documents de travail en préparation de cette réunion », déplore l'une d'entre elles, Générations futures, dénonçant un manque de « volonté de travailler dans une logique de concertation et d'écoute ».
Et la demande des ONG de lire en début de séance une déclaration commune a été réfutée par le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau.
« Nos ONG lui ont alors remis (le texte, ndlr) avant de quitter la salle », ajoute l'association, tout en souhaitant « un échange au plus vite avec le Premier Ministre et les ministres concernés afin de renouer le dialogue avec la société civile (...) ».
Les explications du gouvernement à la presse tout de suite après le COS ne semblent pas suffire pour apaiser la colère. L'exécutif assure en effet ne pas vouloir abandonner l'objectif du plan Ecophyto de réduire de 50% l'utilisation des pesticides d'ici à 2030 par rapport à 2015-2017. Mais il envisage de mesurer l'atteinte de ce résultat par un indicateur différent de celui historiquement utilisé dans le cadre d'Ecophyto, le Nodu (« nombre d'unités dose »).
Lire: Pesticides: la controverse sur le bon indicateur au cœur de la révision du plan Ecophyto
Or, issu d'une concertation, celui-ci est considéré par l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) comme le seul scientifiquement fiable pour mesurer l'utilisation des pesticides -bien que susceptible d'améliorations. Les défenseurs de l'environnement font de son maintien une « ligne rouge » à ne pas dépasser.
« Nos organisations ne peuvent cautionner ce probable retour en arrière de 15 ans, balayant en quelques jours des mois et même des années de travail collectif où nombre de parties prenantes ont œuvré pour la réussite du plan - au premier rang desquels nos ONG, les instituts de recherche ou encore les paysans et paysannes portant l'agroécologie », déclarent les ONG.
« Pas le bon tempo »
Problème : le gouvernement est pressé. Il y a dix jours, lorsqu'il a réussi à convaincre les agriculteurs d'arrêter leur mouvement qui pendant deux semaines ont bloqué les routes françaises, il a immédiatement été prévenu par la Fnsea que les agriculteurs attendaient rapidement une traduction des promesses en actions concrètes. Et dimanche 11 février au soir, Arnaud Rousseau, le président du principal syndicat agricole, lui a remis un coup de pression.
« On n'est pas dans le bon tempo (...), il faut accélérer le tempo », a-t-il déclaré sur BFMTV. « Personne n'a intérêt à nous balader. Parce que s'il n'y a pas de rendez-vous, à la fin on reviendra », a-t-il mis en garde.
Le président de la Fnsea, qui préside aussi Avril, grand groupe alimentaire français, s'est notamment offusqué de ne plus avoir échangé, depuis les promesses de Gabriel Attal, avec le Premier ministre ou le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau.
« Quand il n'y a pas de réunion programmée, pas de coup de fil passé, oui ça nous inquiète », a-t-il expliqué.
Cette sommation intervient 13 jours avant le Salon international de l'agriculture (SIA). Prévue à Paris entre le 24 février et le 3 mars, cette grande messe agricole annuelle est , traditionnellement, l'occasion pour les politiques de profiter du capital sympathie de ce secteur économique. Les dernières années, Emmanuel Macron y a passé des journées entières. Le risque qu'en 2024 l'accueil soit radicalement différent est réel et redouté.
« Nous on a mis des propositions très concrètes sur la table (...). Si on se moquait de nous, évidemment que ça ne pourrait pas se passer dans les conditions classiques de l'accueil du président de la République le premier samedi d'ouverture du salon », a d'ailleurs précisé Arnaud Rousseau.
« Aller vite, le plus vite possible »
Un rendez-vous en haut lieu est en vérité prévu, le 13 février à Matignon, a précisé le cabinet du Premier ministre lundi 12 février. La FNSEA et son syndicat jumeau, les Jeunes Agriculteurs, y seront reçus par Gabriel Attal, en présence de Marc Fesneau et de sa toute nouvelle ministre déléguée, Agnès Pannier-Runacher.
Mais de crainte que cela ne suffise pas à rassurer les les agriculteurs, le même jour, le ministre de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire s'est aussi empressé de prendre la parole sur le travail de simplification normative promis par le gouvernement aux agriculteurs :
« On s'y est attelé il y a moins de 15 jours, on a déjà beaucoup avancé en moins de 15 jours, et je vous assure que dans 15 jours on aura diablement avancé. En tous cas on aura fait en un mois ce qui n'a pas été fait en 30 ans », a affirmé Marc Fesneau, lors d'une visite au salon Wine Paris & Vinexpo Paris.
Un peu plus tard dans la matinée, son cabinet a improvisé un briefing avec la presse afin de fournir plus de détails sur la concrétisation des engagements pris. Au niveau local, chaque préfecture de départements a déjà échangé avec les organisations agricoles afin d'identifier des arrêtés à revoir ou des modifications réglementaires à suggérer à l'exécutif, a précisé le cabinet de Marc Fesneau, en soulignant qu'un travail de « compilation » est d'ailleurs en cours au Masa.
Au niveau national, le gouvernement a affirmé être en train d'élaborer un « volet simplification » et un « volet souveraineté alimentaire » qui viendront enrichir le projet de loi sur le renouvellement des générations déjà annoncé en décembre. Marc Fesneau espère le soumettre au Conseil d'Etat avant la fin du mois de février, et obtenir une adoption par le Parlement avant juin. Le Masa a aussi répété que 124 procédures pour assurer le respect des lois Egalim, visant à protéger le revenu des agriculteurs, ont été lancées la semaine dernière.
Quant au niveau européen, la France reste engagée sur le travail de simplification, ainsi que sur l'obtention de dérogations à certaines règles environnementales de la politique agricole commune (Pac). Un Conseil des ministres de l'Agriculture est prévu la dernière semaine de février.
« Le tempo fixé par le premier ministre est (d'aller) vite, le plus vite possible », a assuré aussi le cabinet de Marc Fesneau.
Le plan Ecophyto sera aussi finalisé avant le SIA, promet le gouvernement, et ce malgré les contestations auxquelles il est confronté.
Macron va rencontrer les syndicats
Le message des agriculteurs a été entendu. Le chef de l'Etat va recevoir dans les prochains jours l'ensemble des syndicats agricoles, à commencer par la Coordination rurale et la Confédération paysanne mercredi, avant la FNSEA et les Jeunes agriculteurs « la semaine prochaine », a indiqué l'Elysée lundi soir, confirmant une information de BFMTV. Ces rencontres, prévues « comme chaque année » avant le Salon de l'Agriculture selon l'Elysée, seront les premières entre le chef de l'Etat et les organisations représentatives des agriculteurs depuis le début de la crise.