Pesticides : la controverse sur le bon indicateur au cœur de la révision du plan Ecophyto

Le gouvernement a promis aux agriculteurs de revoir l'indicateur historique du plan de réduction des pesticides, pour le remplacer par un outil de mesure européen. Mais ce dernier est fortement contesté.
Giulietta Gamberini
« En matière d'utilisation des produits phytosanitaires, deux indicateurs différents existent : un européen et un français. Comment est-il possible d'avoir des règles communes entre les divers pays d'Europe sans avoir les mêmes indicateurs ? Ce n'est pas satisfaisant, y compris du point de vue écologique », a déclaré à La Tribune dimanche le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu.
« En matière d'utilisation des produits phytosanitaires, deux indicateurs différents existent : un européen et un français. Comment est-il possible d'avoir des règles communes entre les divers pays d'Europe sans avoir les mêmes indicateurs ? Ce n'est pas satisfaisant, y compris du point de vue écologique », a déclaré à La Tribune dimanche le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. (Crédits : Reuters)

La décision du Premier ministre de mettre « à l'arrêt » le troisième plan Ecophyto, annoncée le 1er février pour calmer les agriculteurs en colère, a été une douche froide pour les défenseurs de l'environnement. Mais son intention de « mettre en place un nouvel indicateur » les a autant, voire davantage, tétanisés. D'autant plus que quelques jours plus tard, dans La Tribune Dimanche, le ministre de la Transition écologique, tout en relativisant la suspension de la stratégie française visant à réduire de 50 % l'usage des pesticides d'ici à 2030, confirmait la volonté du gouvernement de revoir son outil de mesure historique.

« En matière d'utilisation des produits phytosanitaires, deux indicateurs différents existent : un européen et un français. Comment est-il possible d'avoir des règles communes entre les divers pays d'Europe sans avoir les mêmes indicateurs ? Ce n'est pas satisfaisant, y compris du point de vue écologique », a déclaré Christophe Béchu.

Depuis son lancement en 2008, au lendemain du Grenelle de l'Environnement, le plan Ecophyto se fonde en effet, pour évaluer les progrès dans le recours en France aux produits phytosanitaires, sur le Nodu (Nombre de doses unités). Défini avec l'ensemble des parties prenantes, cet indicateur complexe revient à diviser la masse de substances phytopharmaceutiques vendues par une dose maximale homologuée par application et par substance.

Il mesure donc le « nombre moyen de traitements (annuels, ndlr) », explique sur son site le ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. Et il tient compte de l'efficacité de chaque substance, souvent liée à sa dangerosité, et des volumes qu'il en faut pour un même résultat, souligne Corentin Barbu, chercheur à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Entre 2009 et 2018, il est passé de 82 à 120,3 millions, mais il est revenu à 85,7 millions en 2021. Le gouvernement voudrait le réduire à 50 millions en 2030.

Les efforts pas assez pris en compte, selon les agriculteurs

« Le Nodu correspond parfaitement  aux objectifs du plan Ecophyto consistant, depuis ses origines, à réduire la dépendance de l'agriculture aux pesticides », estime François Veillerette, porte-parole de l'association de lutte contre les pesticides Générations futures.

Il est toutefois âprement contesté par les  producteurs de phytosanitaires comme par une grande partie des agriculteurs. « Essentiellement basé sur les volumes », le Nodu ne reflète en effet pas assez les efforts des agriculteurs ayant renoncé, du fait des évolutions réglementaires, aux substances actives les plus nocives, a déploré le 8 février l'association Phyteis, qui représente les principaux fabricants de pesticides en France. La hausse de 17% des tonnes de matières actives vendues par les adhérents de Phyteis entre 2021 et 2022 (de 55.400 à 64.898) serait donc « en trompe l'œil », puisqu'elle s'expliquerait « en grande partie par la croissance des ventes de matières actives utilisables en agriculture biologique (UAB) », selon l'association.

« Les UAB comptent ainsi pour près de la moitié de la hausse des volumes vendus entre 2021 et 2022 (...) et représentent plus du tiers des volumes de matières actives vendues à la distribution (37 %) », calcule Phytéis.

Des critiques déjà émises par les agriculteurs:

« En 20 ans, on a réduit de 46 % les quantités de substances actives utilisées en France et le Nodu ne reflète pas du tout cette réduction », regrettait le 18 janvier le président de l'Association générale des producteurs de blé et autres céréales (AGPB), Eric Thirouin, cité par l'AFP.

« A partir du moment où on remplace un produit efficace, mais considéré comme nocif, par un produit moins efficace, on est obligé de le passer plus souvent dans les champs. Calculer le nombre de doses utilisées, c'est fausser le résultat (...)», ajoutait-il.

La seule dangerosité prise en compte par le HRI1

C'est d'ailleurs pour faire retourner les tracteurs dans leurs fermes que le gouvernement a accepté de remettre en cause le Nodu et d'éventuellement le remplacer par le HRI1: un « indicateur de risque harmonisé » (Harmonised risk indicator for pesticides) prévu dans le cadre du règlement sur l'usage durable des pesticides (dit SUR), dont le projet vient tout juste d'être abandonné par l'Union européenne. Le HRI1 prend en compte la seule quantité de substances actives vendues annuellement, sans la rapporter à la dose maximale homologuée de chacune. Cette masse globale est toutefois pondérée  par quatre coefficients liés à quatre classifications toxicologiques (« substances actives pesticides à faible risque », « substances actives approuvées qui n'appartiennent à aucun autre groupe », « candidats à la substitution » et « substances actives non approuvées »): les substances classées dans les catégories les plus toxiques pèseront ainsi plus lourd dans l'ensemble.

Phyteis, tout en affirmant ne « pas soutenir un indicateur spécifique », salue l'effort de cet indice de « prendre en compte la dangerosité plutôt que le volume ». Comme les agriculteurs, l'association apprécie en outre son caractère harmonisé au niveau européen, qui éviterait toute « distorsion de la concurrence ».

Ne pas prendre en compte les doses homologuées, « une aberration »

Mais selon Corentin Barbu, le recours au HRI1 ne représenterait en rien un progrès, bien au contraire.

« La non prise en compte des doses autorisées pour chaque produit en fonction de leur activité est une aberration », estime-t-il.

Ainsi, puisque les quantités utilisés sont inversement proportionnelles à la dangerosité, le « HRI1 discrimine le plus fortement les pesticides utilisés en agriculture biologique. Mais même au sein des pesticides conventionnels, il existe un biais systématique en faveur des plus toxiques, dont la toxicité est systématiquement sous-estimée lorsque le HRI 1 est appliqué », note Générations futures. Pire: à cause d'un mécanisme rétroactif de révision des coefficients, « si un pesticide très toxique est interdit et remplacé par un pesticide tout aussi nocif, on considère qu'il s'agit d'une forte réduction des pesticides », dénonce l'ONG.

Sans compter deux autres problèmes majeurs:

« Les coefficients ne correspondent à aucune réalité matérielle. De  plus, 80% des produits sont classés comme « substances actives approuvées qui n'appartiennent à aucun autre groupe »: on leur applique donc le même coefficient malgré d'importantes différences en termes de toxicité par unité de masse », déplore Corentin Barbu, qui évoque un écart de parlais d'écart de 1 à 1.000.

Des substances chimiques synthétiques de l'agriculture conventionnelle et des substances naturelles utilisées par l'agriculture biologique se retrouvent dans le même groupe.

« Les coefficients de dangerosité sont trop faibles (...). L'usage de pesticides dangereux homologués à faibles doses peuvent ainsi donner un indicateur plus faible que l'usage de pesticides à bas risque employés en plus grande quantité homologuée (...) », ajoute Générations Futures.

Enfin, puisque le règlement SUR a finalement été abandonné, le HRI1 n'est plus destiné à devenir rapidement un indicateur commun aux pays de l'UE, observe François Veillerette: l'argument de l'harmonisation est affaibli.

Une baisse tant de l'utilisation que du risque

Et si la meilleure solution était alors de fusionner les deux indicateurs?

« Il n'existe pas d'indicateur parfait », reconnaît le président de Phyteis, Yves Piquet.

« Abandonner le Nodu est d'autant plus absurde qu'il peut être amélioré », souligne Corentin Barbu.

Puisque même des substances utilisées en agriculture biologique, comme le soufre et le cuivre, sont toxiques, et qu'en plus la notion de toxicité évolue, « il faut garder l'objectif de réduire l'usage des pesticides, mesuré par le Nodu », estime François Veillerette. Mais « il faudrait mesurer séparément tant la baisse de l'utilisation que celle du risque », plaide-t-il.

Selon Corentin Barbu, ce dernier doit tout d'abord être simplifié, notamment en ce qui concerne l'utilisation dans le calcul des doses maximales homologuées. Une telle simplification rejoindrait des propositions formulées par l'agence environnementale allemande dans un rapport public permettant l'élaboration d'un Nodu européen, plaide-t-il.

Afin de prendre en compte aussi la dangerosité, le Nodu peut en outre être calculé sur différents groupes de produits, note le chercheur: en séparant par exemple les produits bio. Le plan Ecophyto prévoit d'ailleurs de calculer un Nodu spécifique pour les produits les plus dangereux: les cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction, dits CMR1et CMR2. Entre 2009 et 2020, les premiers ont baissé de 88%, et les deuxièmes de 40%.

« On pourrait utiliser des indicateurs spécifiques mesurant la toxicité pour l'eau, les animaux, etc. », ajoute Corentin Barbu.

Une alternative serait de reprendre les classifications utilisées dans le HRI1, tenant compte de la dangerosité des produits, mais de calculer le Nodu pour chacune d'entre elle, afin de tenir compte des doses maximales homologuées. Le résultat serait moins précis qu'en enrichissant le Nodu, « mais ce serait mieux qu'utiliser un HRI1 de base », selon le chercheur.

Une révision de l'objectif?

Ce dernier estime d'ailleurs qu'au lieu de l'indicateur, ce serait plutôt l'objectif ou les moyens d'Ecophyto qui devraient être revus.

« Au fur et à mesure qu'on abandonne les substances les plus efficaces mais dangereuses au profit de celles moins dangereuses mais moins efficaces, les volumes utilisés augmentent. L'objectif devient donc de plus en plus difficile à atteindre », reconnaît-il.

Avec le Nodu, une baisse de l'usage des pesticides de 50% par rapport à la période 2015-2017 est donc « très difficile, si l'on ne transforme pas aussi nos modes de consommation et les filières alimentaires dans leur ensemble », reconnaît Corentin Barbu. Une baisse de 20% serait « plus atteignable ».

Giulietta Gamberini

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Commentaires 6
à écrit le 10/02/2024 à 12:32
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Nous savions que la défense de l'environnement par ce gouvernement n'était qu'une "posture", du green washing. Avec les concessions faites aux agriculteurs de la FNSEA, FDSEA et de la Coordination rurale nous sommes confortés. Ces agriculteurs, éleve...

à écrit le 10/02/2024 à 11:49
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Le seul élément qui pourrait faire changer les méthodes des agriculteurs est le consommateur. SI ce dernier réduisait significativement sa consommation de produits agricoles conventionnels au profit des produits "Bio", la remise en question serait in...

le 10/02/2024 à 11:56
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"Le seul élément qui pourrait faire changer les méthodes des agriculteurs est le consommateur. " Définitivement non ensuite tu peux t'opposer à 2500 ans de penseurs européens mais faut argumenter un minimum, merci. "La notion de libre arbitre a été i...

à écrit le 10/02/2024 à 11:41
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C'est pas l'UE qui décide c'est BAYER qui paye les dirigeants européens pour décider, donc pas de surprise à venir, après eux le déluge. Nos dirigeants sont faibles.

à écrit le 10/02/2024 à 11:27
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Les agriculteurs devraient y réfléchir à deux fois car ils sont quand même les premières victimes en développant des maladies liées aux produits de traitement : peau , poumon, gorges, sang , neurologique etc... et comme toujours malheureusement pour ...

le 10/02/2024 à 11:40
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@ldx - Bien relayée par la FNSEA.!

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