Le répit aura été de courte durée pour le gouvernement. Après des chiffres de croissance meilleurs que prévus au premier trimestre et une légère accélération de l'emploi, l'exécutif va encore devoir déminer le terrain budgétaire. Dans ses conclusions dévoilées ce jeudi 23 mai, le Fonds monétaire international (FMI) a étrillé une nouvelle fois la trajectoire budgétaire de l'exécutif.
« Malgré un ralentissement de la reprise en 2023, l'économie française reste relativement résiliente face au resserrement des conditions financières et à l'affaiblissement de la demande extérieure de la zone euro », a déclaré Manuela Goretti, cheffe de mission pour la France au FMI, lors d'un point presse ce jeudi.
Et d'ajouter : « Les autorités françaises ont mis l'accent sur le rétablissement des marges de manœuvre budgétaires, mais des efforts supplémentaires significatifs seront nécessaires dès 2024 pour parvenir à 4,9% de déficit. » Dans ce contexte, la France pourrait passer en procédure de déficit excessif au mois de juin.
La note de l'agence Standard and Poor's met la pression
Au mois d'avril, l'exécutif a échappé aux remontrances des agences Moody's et Fitch. Mais les inquiétudes devraient à nouveau gagner les couloirs de Bercy dans les prochains jours. La très influente agence de notation Standard and Poor's doit remettre son bulletin de notes à la fin du mois de mai.
A quelques jours des élections européennes, une sanction ou une note, assortie d'une perspective négative, pourrait plonger la majorité présidentielle dans l'embarras face à ces adversaires politiques prêts à sauter sur l'occasion pour tirer à boulets rouges sur la stratégie budgétaire du gouvernement Attal.
Pourquoi un tel écart entre les prévisions du FMI et de l'exécutif ?
Dans une note de 8 pages, le FMI a donc dégradé sa prévision de déficit pour 2027 à 4,5%, contre 4,3% en avril dernier. De son côté, le gouvernement anticipe dans le Programme de stabilité, envoyé à Bruxelles au printemps, de ramener le solde des comptes publics à 2,9% du produit intérieur brut (PIB) d'ici la fin du quinquennat.
Pourquoi un tel différentiel entre le scénario du gouvernement et celui de l'institution internationale ? Les économistes pointent notamment l'absence de documentation des économies à réaliser. « Les principales mesures de revues et d'économies en dépenses qui sous-tendent l'ajustement prévu restent à identifier ».
Le gouvernement a certes annoncé un décret de 10 milliards d'euros de coupes budgétaires pour 2024 en février dernier, mais il reste encore 10 milliards d'euros à trouver pour cette année, et 20 milliards d'euros en 2025. Au total, le ministre des Comptes publics, Thomas Cazenave, a évoqué 50 milliards d'euros de coupes à réaliser d'ici la fin du mandat d'Emmanuel Macron pour parvenir à ramener le déficit en deca de 3%. Pour 2024, le FMI estime que de nouvelles mesures de l'ordre de 0,4 point de PIB seront nécessaires, contre 0,3% annoncé dans le programme de stabilité pour parvenir à l'objectif de déficit de 4,9%.
En dépit des vastes débats sur le manque de recettes fiscales en France, l'institution de Washington n'a pas évoqué de hausses d'impôts lors de sa présentation. La mission préconise de se concentrer sur « des mesures ciblées visant les dépenses courantes ». Le FMI prône également « un meilleur ciblage des allocations chômage » et « des dispositifs de soutien aux travailleurs et aux entreprises qui pourraient générer des économies ».
Pas de reprise avant 2025
Sur le front de la croissance, les économistes du Fonds ne s'attendent pas à de véritable « reprise » avant 2025. « La croissance du PIB réel devrait progressivement atteindre 1,3% en 2025 contre 0,8% en 2024 », a affirmé Manuela Goretti. C'est « une légère révision à la hausse pour cette année» par rapport à avril. Au début du printemps, le FMI tablait sur 0,7% en 2024 et 1,4% en 2025. Là encore, il s'agit certes d'une révision favorable pour l'exécutif, mais ce sont des estimations bien inférieures à celles de janvier (1% en 2024 et 1,7% en 2025). Sur le moyen terme, l'organisation internationale table sur un croissance potentielle annuelle de 1% compte tenu du vieillissement de la population française.
Concernant l'inflation, elle devrait ralentir à 2,3% en 2024 et 1,8% en 2025, soit un niveau inférieur à la cible de la Banque centrale européenne (2%). D'ailleurs, le gouvernement compte sur l'assouplissement de la politique monétaire pour redonner du souffle aux entreprises et aux ménages après une hausse inédite de taux depuis l'été 2022 et la fin du « Quantitative easing » (assouplissement quantitatif ou rachat de titres de dette, ndlr).
Pressées par des conditions financières plus strictes, beaucoup de sociétés et de familles ont réduit la voilure sur leurs dépenses de consommation et leurs projets d'investissements. Mais les mesures de rigueur budgétaire annoncées par l'exécutif pourraient également peser sur la croissance de l'activité tricolore déjà atone.
Un marché du travail « robuste » mais une productivité en berne
S'agissant de l'emploi, les économistes soulignent que les performances du marché sont restées « robustes », mais pointent la faible productivité restée en deçà de son niveau d'avant crise sanitaire. Juste après la pandémie, la croissance de l'emploi a dépassé pendant plusieurs trimestres la croissance du PIB de l'économie tricolore. Dans certains secteurs comme l'industrie, le niveau de la production est même resté inférieur à 2019 alors que le nombre d'embauches a augmenté dans le même temps.
Cela signifie qu'il faut plus de personnel pour produire moins de valeur ajoutée. Ce phénomène a fait plonger la productivité de l'emploi en France. Les économistes évoquent les nombreuses aides à l'apprentissage et l'embauche de personnel moins qualifié pour répondre aux tensions de recrutement, particulièrement élevées dans le secteur manufacturier. Mais une partie de cette érosion de la productivité dans la plupart des pays riches reste bien mystérieuse pour de nombreux économistes.
A l'Elysée, le chef de l'Etat compte sur le déploiement de l'intelligence artificielle (IA) dans l'économie pour rebooster la productivité. Mais là encore, des économistes proches d'Emmanuel Macron ont exprimé des doutes sur l'impact de l'IA sur la productivité au travail. En effet, une partie des contenus générés par les logiciels d'intelligence artificielle peuvent exprimer des informations fausses ou comportant de nombreux biais. Ce qui, au final, allongerait le temps de travail nécessaire à la vérification. Avec des gains de productivité atones, l'économie française devrait encore tousser dans les mois à venir.