![Les géants de la Tech sont invités en grande pompe au Palais de l'Elysée ce mardi par le chef de l'Etat.](https://static.latribune.fr/full_width/2376514/ai-intelligence-artificielle.jpg)
Vitrine du salon VivaTech qui se tient à Paris jusqu'à samedi prochain, l'intelligence artificielle (IA) occupe les esprits. Pour le meilleur, avec l'espoir de faire de la France un champion de cette technologie d'avenir... Et pour le pire : va-t-elle détruire des millions d'emplois sur le sol français, comme le craignent certains experts ? Alors qu'Emmanuel Macron recevait mardi les talents de la tech à l'Elysée pour préparer le sommet international sur l'IA qui se tiendra à Paris en 2025, les géants de la Tech seront présents en force à l'événement organisé Porte de Versailles pour vanter en grande pompe les mérites de cette technologie. Mais les inquiétudes restent vives dans les entreprises et le monde du travail. L'annonce en septembre dernier de la fermeture de 218 postes en France et plusieurs centaines dans le monde par la société Onclusive avait provoqué une vague de sidération. Abasourdis, les salariés avaient appris cette nouvelle par un message de la direction générale lors d'une visioconférence. Les travailleurs en col blanc avaient rapidement compris qu'une grande partie de leurs tâches de veille médiatique serait réalisée désormais par une intelligence artificielle.
Neuf fois après cette annonce fracassante, les craintes sont loin d'être retombées. L'envolée spectaculaire des modèles d'intelligence artificielle générative pourrait avoir des conséquences en cascade sur l'économie et dans le marché du travail. Face à ces vastes bouleversements, plusieurs économistes et juristes ont tenté d'apporter des éléments de réponse lors d'un séminaire organisé à Bercy ce mardi 21 mai sur le thème de l'intelligence artificielle et de l'emploi.
Un impact macroéconomique très incertain
L'économie européenne connaît actuellement un décrochage face aux Etats-Unis et à la Chine. En première ligne dans la guerre Ukraine, la croissance du Vieux continent a certes connu une légère embellie au premier trimestre 2024 mais les menaces d'une stagnation demeurent. Parmi les inquiétudes figurent en premier lieu l'inexorable chute des gains de productivité. Les promoteurs de l'intelligence artificielle avancent que l'amélioration de cette technologie pourrait apporter de formidables gains de productivité.
Mais les économistes présents lors du séminaire restent très circonspects. « La prudence amène à penser qu'on ne sait pas. À partir de la moitié des années 90, de nombreux auteurs reconnus nous disaient que les TIC (technologies de l'information et de la communication) allaient apporter un regain de la croissance de la productivité inédit depuis la seconde révolution industrielle. Ce n'est pas du tout ce qui est arrivé. Aux Etats-Unis, il y a un épuisement des gains de productivité depuis la Seconde guerre mondiale » a déclaré Gilbert Cette, économiste spécialiste du marché du travail et proche d'Emmanuel Macron.
« Peu de recul » en France
Dans les économies de service, « il est toujours plus compliqué de mesurer la productivité que dans les économies industrielles », ajoute Céline Antonin, économiste à l'OFCE. «Les premières études micro montrent que l'IA peut avoir un impact positif sur la productivité. Sur l'impact macroéconomique, il est plus difficile à mesurer car on a peu de recul », ajoute l'enseignante. S'agissant de l'activité, certains scénarios sont très optimistes avec « une croissance explosive » aux Etats-Unis.
Quelques économistes disent « que l'IA pourrait entraîner 1,5 point de croissance par an sur les dix prochaines années ». D'autres économistes comme Daron Acemoglu estime que l'IA pourrait générer « seulement 1 à 2 points de croissance du PIB au total aux Etats-Unis car il pense que beaucoup de tâches ne sont pas automatisables ». Pour l'économiste de Sciences-Po Paris, ces fortes divergences dans les scénarios « illustrent de grandes incertitudes car on ne sait pas encore l'ampleur du déploiement de l'IA dans l'économie». Au début du printemps, la Commission sur l'intelligence artificielle avait remis au président de la République un rapport sur des recommandations à suivre pour cette technologie. Interrogés par La Tribune, plusieurs économistes ont jugé les prévisions du rapports « optimistes ».
Les PME françaises à la traîne
Les changements provoqués par l'intelligence artificielle sont d'autant plus incertains que peu d'entreprises ont vraiment fait le pas d'investir dans ce type d'outil. Dans une enquête dévoilée ce mardi 21 mai par Bpifrance, seules 9% des PME et TPE tricolores affirment qu'elles ont investi dans l'intelligence artificielle au cours des trois dernières années, et seulement 2% l'ont fait de manière régulière.
Autant dire que le retard français est particulièrement criant. Compte tenu du poids des PME dans le tissu productif français, ce faible pourcentage souligne le fossé entre les petites entreprises et les grands groupes parfois adeptes de l'intelligence artificielle dans leur organisation. S'agissant de l'avenir, 18% des répondants affirment qu'ils prévoient d'accélérer leur investissement dans l'intelligence artificielle mais les deux tiers ne savent pas encore s'ils vont le faire. C'est d'ailleurs dans ce domaine que les dirigeants hésitent le plus à investir dans les cinq prochaines années.
Financement : l'Europe en retard
L'autre point d'incertitude évoqué lors du séminaire concerne le financement. Les Etats européens affichent pour l'instant « un retard », ont pointé les économistes. Dans une étude très documentée dévoilée la semaine dernière, les économistes de l'OFCE ont mis en avant le déficit d'investissement de l'Europe en matière d'innovation et de recherche et développement. Et les perspectives sont loin de s'arranger compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent à nouveau en Europe avec le retour des règles financières de la Commission européenne après la parenthèse du Covid. « Pour combler ce retard, il est nécessaire pour les pays de la zone euro de stimuler leurs gains de productivité horaire en adoptant une politique plus ambitieuse d'innovation, de concurrence, de flexisécurité et de formation professionnelle. Ces politiques sont d'autant plus cruciales qu'elles sont nécessaires pour réussir la transition technologique (automatisation, numérisation, IA) et écologique de nos économies », a expliqué l'économiste Sébastien Bock du centre de recherches, contacté par La Tribune.
S'agissant de la France, les chercheurs préconisent « d'accroître l'efficacité des dépenses en ciblant mieux les dispositifs d'incitation à l'innovation. Par exemple, la France a mis en place le crédit d'impôt recherche (CIR), un des dispositifs de soutien à l'innovation les plus généreux de l'OCDE. Cependant, son efficacité est limitée car ses critères d'accès ne tiennent pas compte de la taille des entreprises, favorisant ainsi les grandes entreprises qui auraient investi même sans ce dispositif ». Chasse-gardée des grands groupes, cette niche fiscale est remise en question tous les ans lors des débats budgétaires. Mais rares sont les gouvernement à avoir remis en cause le crédit d'impôt recherche.