En dépit du virus, Bercy tente d'accélérer le plan de relance

Empêtré dans une crise sanitaire à rallonge, le gouvernement a annoncé un renforcement du fonds de solidarité et un allongement des remboursements pour les prêts garantis par l'Etat, la veille d'un renforcement du couvre feu. Les services de Bercy doivent jongler depuis des mois entre les mesures d'urgence et les dispositifs de relance. Une gageure dans ce contexte sanitaire dégradé.
Grégoire Normand
(Crédits : Reuters)

Le ministère de l'Economie navigue en eaux troubles. Le dernier tour de vis annoncé par Jean Castex jeudi soir sur la généralisation d'un couvre-feu sur l'ensemble du territoire à 18 heures complique la tâche des fonctionnaires et agents en charge de la mise en oeuvre du plan de relance. Lors de la présentation du dernier rapport d'activité 2019/2020 de la direction générale des entreprises (DGE) ce vendredi 15 janvier, le haut-fonctionnaire et responsable Thomas Courbe a rappelé l'immense liste des tâches qui attend ses équipes après "une année 2020 hors norme".

"Nos trois priorités sont la crise, la relance et les chantiers structurels entamés avant la crise. Pour une partie de l'économie, on reste dans une logique de gestion de crise. Il s'agit d'étendre les dispositifs de soutien aux entreprises qui subissent les contraintes sanitaires. En parallèle, d'autres pans de l'économie tournent à plein régime ou fonctionnent bien. Il s'agit par exemple de l'industrie" a-t-il rappelé lors d'une réunion avec des journalistes.

Si le gouvernement maintient sa prévision de croissance à 6% en 2020, la Banque de France dans sa dernière note de conjoncture s'attend à une perte de PIB d'environ 7% pour le mois de janvier après un dernier trimestre 2020 en territoire négatif.

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11 milliards d'euros du fonds de solidarité en 2020

La propagation du virus partout en Europe au début de l'année 2020 a précipité l'économie française dans une violente et durable crise. La persistance du virus oblige les autorités a prolongé sans cesse les mesures d'urgence dans le contexte de cette pandémie à rallonge. Si le début de la campagne de vaccination a donné des lueurs d'espoir dans les milieux économiques et financiers, le durcissement des mesures d'endiguement dans la plupart des pays européens et la saturation des services sanitaires dans les zones les plus affectées repoussent sans cesse le début d'un rebond économique durable et solide. Face à ces périls, la direction de Bercy a été fortement mobilisée pour gérer le fonds de solidarité. "Sur l'évolution du fonds de solidarité, nous cherchons dans une telle période à mieux couvrir les entreprises les plus touchées, et mieux les accompagner en sortie de crise" signale Thomas Courbe.

Au total, ce sont 11 milliards d'euros qui ont été accordés aux entreprises, indépendants et entrepreneurs en 2020. Et cette enveloppe pourrait encore gonfler avec les dernières annonces de Bruno Le Maire jeudi soir. L'entourage du ministre a indiqué que "les entreprises du secteur S1 bis (viticulteurs, pêcheurs en mer, centrales d'achats alimentaires,...) perdant au moins 70% de leur chiffre d'affaires, auront le droit à une indemnisation couvrant 20% de leur chiffre d'affaires 2019 dans la limite de 200.000 euros par mois. Ces entreprises pourront bénéficier de cette aide à compter de décembre 2020, quelle que soit leur taille." Le locataire de Bercy a également annoncé la prise en charge jusqu'à 70% des frais fixes pour les entreprises fermées administrativement et ayant un chiffre d'affaires supérieur à 1 million d'euros. Cette aide exceptionnelle s'ajoutera à l'aide du fonds de solidarité. Elle sera plafonnée à 3 millions d'euros sur la période de janvier à juin 2021.

Un plan de relance sollicité surtout par les industriels

Le plan de relance présenté début septembre par le gouvernement doté d'une enveloppe de 100 milliards d'euros a en partie été élaboré par la direction générale des entreprises. Sur le calendrier des mesures, Thomas Courbe assure que "paradoxalement, la mise en oeuvre du plan de relance est en avance dans certains secteurs. Les dispositifs sur l'industrie fonctionnent très bien. Le plan de relance est très territorialisé avec des projets d'investissement. Nous prévoyons un renforcement des mesures pour l'industrie dans les mois à venir. Dans l'industrie, les dirigeants sont relativement confiants dans l'avenir. 6.500 PME industrielles ont fait appel à ce plan de relance." Au total, 394 projets ont été financés représentant 372 millions d'euros d'aides et 1,5 milliard d'euros d'investissements industriels fin novembre indique le rapport. "Dans la relance, on veut éviter les effets d'aubaine. Le taux de sélectivité est d'environ 30%. On refuse environ 70% des projets. Il faut un levier d'investissement public. Cet effet de levier de l'investissement public est estimé entre 4 et 5" a-t-il ajouté.

Il reste que si l'industrie a fortement sollicité les services de Bercy, ce secteur demeure relativement épargné par rapport aux services. En effet, la plupart des travaux des économistes depuis le début de la crise montrent que ce sont les services qui sont frappés de plein fouet par cette maladie infectieuse. Or, le poids du tertiaire dans l'économie tricolore est colossal. A l'inverse, l'industrie est en perte de vitesse depuis des décennies. Et la somme d'1,5 milliard d'euros ne devrait pas suffire à compenser l'effondrement du tissu industriel.

Surtout, la situation dans l'industrie est très contrastée comme le montrent les différentes enquêtes de conjoncture. Si la chimie et l'agroalimentaire se portent bien, l'aéronautique et l'automobile traversent une sérieuse tempête. Cette crise pourrait ainsi entraîner de profondes mutations et de vastes dégâts dans l'appareil productif hexagonal.

Une centaine de dossiers sélectionnés pour les relocalisations

La pandémie a mis un coup de projecteur sur les faiblesses du moteur industriel français et la dépendance de l'économie tricolore à l'égard de l'étranger sur des produits sensibles tels que les masques, le gel ou certains médicaments. Les pénuries flagrantes de certains produits ont ravivé les débats sur les relocalisations. Sur ce point, Thomas Courbe a affirmé qu'un travail a été engagé sur "les relocalisations de produits critiques en France. Au printemps, nous avons travaillé avec quelques cabinets de conseils. Trois grands secteurs ont été sélectionnés. Il s'agit de la santé, l'électronique et l'agroalimentaire. Depuis septembre, on a reçu 1.000 projets de relocalisation. Une centaine ont déjà été sélectionnés. Il n'y a pas de modèle économique pour tout relocaliser mais il y a un modèle économique pour atteindre une rentabilité pour des produits critiques à l'échelle de l'Europe." Ces annonces laissent sceptiques certains économistes. Lors d'une audition mercredi 13 janvier par la commission des affaires économiques du Sénat, le chef économiste de Natixis est apparu peu convaincu sur les relocalisations.

"J'ai des doutes sur les effets du plan de relance. Je ne crois pas du tout à la réindustrialisation. C'est plutôt l'inverse. Les entreprises vont chercher à refaire leurs marges. Elles devraient aller dans des régions où les coûts sont plus faibles. Une vague de délocalisations devrait avoir lieu dans une partie de l'Europe à salaire faible. Il est possible de subventionner des relocalisations mais le mouvement spontané devrait être des délocalisations."

> Lire aussi : "Plutôt que la relocalisation, l'enjeu est sûrement plus celui de la réindustrialisation"

Des appétits étrangers bien aiguisés pendant la pandémie

La pandémie a ouvert l'appétit des pays et entreprises étrangères. La direction située dans les locaux du ministère des Finances a constaté "une hausse de la prédation entre mars et mai avec un doublement du nombre de menaces mensuelles de prédation lors de cette période sur les entreprises de santé et de l'électronique notamment. Au total en 2020, 270 alertes ont été qualifiées de menaces sur des entreprises stratégiques par l'administration. Si la France a renforcé récemment son arsenal pour se protéger de tels appétits, elle n'est pas à l'abri comme l'a récemment montré l'affaire Carrefour.

Grégoire Normand
Commentaire 1
à écrit le 16/01/2021 à 10:14
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Avant on avait des pompiers pour éteindre les incendies de ce genre, maintenant on n'a plus que des comptables néolibéraux, partout... et tout crame. "Mitterand à Chirac: "Après nous il n'y aura plus que des comptables." Au secours.

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