
Cette crise continue de chambouler le gouvernement. Dans un exercice inédit depuis le début de son arrivée à Bercy en 2017, le ministre de l'Economie, des Finances et de la relance, Bruno Le Maire s'est dit prêt, ce mardi lors de ses "voeux digitaux" à la presse, à prolonger et à renforcer les mesures d'urgence prises en 2020 lors du confinement. Après une année 2020 cataclysmique, les indicateurs de l'épidémie et de la santé économique sont loin d'être au vert. Et la politique du "quoi qu'il en coûte" annoncée par le président Emmanuel Macron en mars dernier pourrait bien se prolonger au cours de l'année 2021. "Le choix du 'quoi qu'il en coûte' était le seul choix responsable. Il a évité que la crise économique se transforme en crise sociale et politique [...] Le rétablissement des finances publiques ne pourra et ne devra se faire que lorsque la crise sanitaire sera derrière nous. Avant, ce serait une faute économique et politique car cela ruinerait nos perspectives de relance".
Au printemps, lors du début du confinement, le ministre en charge de l'Economie espérait dans ses interventions avec les journalistes que la mise sous cloche de l'économie allait permettre à l'activité de repartir rapidement et durablement. Près d'un an après l'arrivée du virus en Europe, ces espoirs ont été douchés par la persistance de cette maladie infectieuse aux effets ravageurs. Malgré cet électrochoc dans l'agenda des réformes, Emmanuel Macron a décidé de réunir lors d'un séminaire gouvernemental une trentaine de ministres ce mercredi afin de discuter "des grandes priorités" pour les six prochains mois.
Vers un report du différé pour les PGE des entreprises qui en font la demande
A l'annonce du second confinement, les banques se sont montrées conciliantes sur les modalités de remboursement des PGE. Ces derniers, accordés sur six ans, deviennent exigibles après une première année de différé, les emprunteurs pouvant alors choisir entre un remboursement immédiat ou un étalement jusqu'à cinq ans, ou mixer les deux.
Mais au fur et à mesure de la prolongation de la crise sanitaire, la Fédération française des banques (FBF) avait salué, en octobre dernier, la possibilité de distribuer des PGE jusqu'en juin 2021 et s'était engagée à ce que les banques proposent à leurs clients de nouveaux aménagements, selon la fameuse règle du « 1+1 +4 ». En clair, permettre une année supplémentaire de différé (seuls les intérêts et le coût de la garantie sont payés), en restant toutefois sur une durée maximale de six ans, pour respecter les contraintes européennes.
Toutefois, cette facilité était laissée à l'appréciation du banquier dans le cadre d'une discussion avec le client, selon sa situation et ses besoins. Dans un communiqué, la CPME a notamment dénoncé "la frilosité de certaines banques". Le changement aujourd'hui est que cette demande de report soit acceptée pour tous les chefs d'entreprises qui en font la demande. C'est le changement souhaité par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, sous pression notamment de certains commerces qui voient leurs espoirs de réouverture prochaine s'envoler avec la crainte d'un troisième confinement. Et c'est le changement déjà accepté par plusieurs grandes banques, comme BNP Paribas, le groupe BPCE (Banques populaires et Caisses d'Epargne) ou bien le Crédit Mutuel.
Des négociations sont clairement engagées entre le secteur bancaire et Bercy pour généraliser cet assouplissement des PGE et une réunion était même prévue ce mardi en fin d'après-midi. « les discussions sont bien parties et il existe de grandes chances pour qu'elles aboutissent d'ici la fin de la semaine, c'est-à-dire que les demandes de report d'un an de la période de différé soient acceptées par toutes les banques pour tous leurs clients qui en feront la demande », avance une source bancaire.
Mieux, les grandes banques souhaitent même être plus proactives auprès de leurs clients, notamment ceux qui n'ont pas souhaité souscrire un PGE ou dans les secteurs les plus touchés. Ce qui pourrait se traduire à un rebond de la production de PGE, qui après un démarrage en trombe en mars et avril, s'est progressivement tarie. A la fin 2020, quelque 130 milliards d'encours ont été distribués, mais seule une partie a été réellement consommée par les emprunteurs. De plus, les moratoires peuvent être également prolongées, mais à la discrétion des banques.
Les PGE relèvent des mesures d'urgence. Le projet porté par Bercy pour renforcer les quasi-fonds propres des entreprises est davantage une mesure de relance et de soutien. Là aussi, Bercy plaide pour un assouplissement, notamment en déplafonnant le montant de sa garantie. Pour mémoire, il s'agit pour les banques de distribuer des prêts participatifs, dont 90% des encours seraient cédés à un fonds collectif, qui bénéficierait d'une garantie partielle de l'Etat, entre 20 et 30%, pour attirer les grands collecteurs d'épargne. Ce dispositif est attendu pour la fin du premier trimestre, sous réserve du feu vert de Bruxelles.
Vers un renforcement du fonds de solidarité
Le fonds de solidarité qui se limitait au début à une somme de 1.500 euros pour les indépendants est devenu un instrument de soutien massif pour les entreprises. Lors de son intervention, Bruno Le Maire a expliqué qu'il allait renforcer cette enveloppe. pour tenir compte de la situation des entreprises de plus grande taille en difficulté. "Vous savez tous qu'il y a des restaurateurs dans les grandes métropoles qui ont plusieurs restaurants et le plafond de 200.000 euros qui est en fait un plafond à 800.000 sur quatre mois ne leur suffit pas. Nous sommes prêts à aller plus loin sur ce plafond pour tenir compte des charges fixes de groupes hôteliers ou de groupes de restauration pour lesquels le plafond à 200.000 euros est insuffisant". Il souhaite également travailler sur une possible extension du champ d'application pour certains domaines comme "les viticulteurs, les commerces de gros de boisson ou les commerces de gros alimentaire
qui n'ont plus les débouchés dans la restauration ou dans l'hôtellerie".
"Atteindre la croissance la plus élevée en 2021"
Les défis qui attendent Bruno Le Maire sont nombreux. "En 2021, le plus dur est devant nous? Les prochaines semaines vont être difficiles. Il faudra faire face" a-t-il prévenu devant les journalistes présents en visioconférence. "Il faut faire preuve de résistance mais nous pouvons engager la reconquête économique avant la fin de l'année. Nous allons pouvoir enregistrer un rebond économique à partir du second semestre 2021" a-t-il poursuivi.
Après une récession historique d'environ 9% en 2020, le gouvernement maintient sa prévision de croissance du PIB à 6% en 2021 malgré un dernier trimestre en recul. Ce qui pourrait peser sur l'activité du premier trimestre 2021. "L'enjeu est d'avoir la croissance la plus élevée en 2021. Nous prévoyons 6% de croissance. C'est le chiffre le plus élevé depuis 50 ans" a ajouté le ministre de la Relance. Ce chiffre reste néanmoins soumis à des enjeux de taille. "La rapidité de la vaccination, les risques liés à l'apparition d'un nouveau virus et d'un nouveau ralentissement économique chez nos voisins doivent être pris en compte".
Les lenteurs de la vaccination pointées par de nombreux observateurs risquent en effet de repousser encore une fois le début d'une reprise rapide et durable. En outre, chaque semaine de retard représente un manque à gagner important pour l'économie tricolore. Selon l'économiste et président du conseil d'analyse économique (CAE) Philippe Martin, une semaine de retard représente environ 2 milliards d'euros de PIB en moins.
Un plan de relance suspendu à l'évolution de l'épidémie
Le plan de relance de 100 milliards d'euros lancé par le gouvernement à la fin de l'été 2020 prend du retard. En effet, la dégradation de la situation sanitaire à l'automne et le durcissement des mesures d'endiguement du virus ont obligé les autorités à repousser leur stratégie d'exécution même si Bruno Le Maire assure que "la relance fonctionne". Selon l'entourage du ministre, 10 milliards d'euros ont été décaissés en 2020 et 40 milliards sont prévus pour cette année. "En 2021, nous allons accélérer le plan de relance. En 2020, 485.000 jeunes ont été inscrits en apprentissage. En ce qui concerne la digitalisation des PME, il y a une telle demande que nous avons été obligés de pousser les fonds à 700 millions d'euros contre 280 millions prévus initialement. Enfin sur les relocalisations, 700 projets ont été sélectionnés pour une enveloppe de 3,4 milliards d'euros". Face à la recrudescence de l'épidémie, le gouvernement de Jean Castex avait dû gonfler son enveloppe pour les mesures d'urgence d'environ 20 milliards d'euros au dernier trimestre dans un quatrième budget rectificatif.
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De nouvelles chaînes de valeur
La pandémie a mis en relief les faiblesses du système productif français et la dépendance de l'économie hexagonale à l'égard des pays asiatiques pour se fournir en masques, gel hydroalcoolique et produits pharmaceutiques. En outre, les points forts de l'appareil productif tricolore à l'export ont été mis à mal par cette maladie infectieuse. "La France dégage des excédents commerciaux sur seulement trois secteurs (L'aéronautique, le luxe et les vins). La crise nous oblige a recréer des nouvelles chaînes de valeur dans la santé, l'intelligence artificielle ou le quantique par exemple". Vendredi dernier, lors d'un déplacement en Essonne, le Premier ministre Jean Castex a donné le détail des 20 milliards d'euros en faveur des investissements d'avenir.
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Vers un prolongement du chômage partiel après mars
Dans le contexte du prolongement de la pandémie, le ministre des Finances s'est montré ouvert à un allongement de la prise en charge maximum du chômage partiel au delà du mois de mars. "Nous sommes prêts, avec Élisabeth Borne, à donner le maximum de visibilité aux entreprises pour les mois qui viennent sur le maintien de l'activité partielle à 100%", a-t-il affirmé.
Là encore, le gouvernement a revu sa stratégie sur l'activité partielle. Alors qu'il avait prévu de réduire la prise en charge pour les entreprises, l'Etat et l'Unedic assure toujours un soutien conséquent dans le financement du chômage partiel même si le nombre de salariés dans cette situation s'est considérablement réduit. Beaucoup d'économistes redoutent les conséquences dramatiques de la fermeture du robinet des aides sur les entreprises et l'emploi. Dans une récente évaluation, l'économiste de l'OFCE, Eric Heyer expliquait que les faillites en 2021 pourraient entraîner la destruction d'environ 175.000 emplois.
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"Un troisième confinement coûterait cher à la France"
Les tensions sur le système hospitalier à la fin de l'année 2020 et l'arrivée de virus variants britannique ou d'Afrique du Sud sur le territoire hexagonal a relancé les débats sur un troisième confinement. En Europe, quelques Etats ont décidé de reconfiner leur population ou de mettre en oeuvre de nouvelles mesures drastiques d'endiguement. De son côté, le gouvernement a changé sa stratégie. Après avoir imposé un confinement strict et généralisé au printemps 2020, l'exécutif préfère dorénavant cibler les territoires en première ligne et en ajustant les mesures sans vraiment donner d'échéance de réouverture. Lors de son intervention, Bruno Le Maire a exprimé des réserves. "Sur la question du reconfinement, tout cela va dépendre de la situation sanitaire et comment le virus circule. Ce n'est pas à moi de faire des recommandations sanitaires. Un troisième confinement coûterait cher à l'économie française même si on a vu en novembre dernier que l'on pouvait mieux concilier vie économique et protection sanitaire". A l'issue du conseil de défense sanitaire mercredi, un nouveau durcissement des couvre-feu pourrait être annoncé pour des territoires jusque là épargnés.