
La pandémie a fait disjoncter les circuits de l'économie tricolore. Après un printemps catastrophique et un été meilleur que prévu, l'activité est à nouveau atrophiée par la seconde vague de contaminations et le durcissement des mesures de confinement. Face à ce choc sans précédent, le gouvernement a annoncé des batteries de mesures d'urgence depuis le printemps et annoncé un plan de relance pour 2021. Pour tenter d'y voir plus clair, les économistes de l'Institut des politiques publiques (IPP) et du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) ont tenté d'évaluer les conséquences désastreuses de cette pandémie sur l'économie française et les réponses apportées à la crise par le gouvernement. Il apparaît que le plan de relance annoncé en grande pompe à la rentrée par le gouvernement pourrait manquer sa cible.
"Les mesures d'aides d'urgence en 2020 ont permis d'amortir le choc pour les entreprises et les ménages au prix d'une hausse de la dette publique qui est rendue possible par des taux d'intérêt bas et l'intervention de la banque centrale. Les mesures du plan de relance méritent plus de discussion : si les investissements publics semblent bien appropriés, des questions émergent sur l'impact à attendre de la baisse des impôts de production. Les estimations du gouvernement d'une hausse de la croissance potentielle de 0,5 point semblent très optimistes, d'autant plus que le financement pérenne de ces baisses n'a pas été pris en compte."
Face aux réserves et aux critiques, le gouvernement a rendu public ce lundi 16 novembre un tableau de bord sur l'exécution des mesures de "France relance".
Le plan de relance vise surtout les grandes entreprises
Lors de la présentation du collectif budgétaire 2021 aux allures de plan de relance, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire a fortement insisté sur la nécessité de doper la compétitivité des entreprises. Sans réelle surprise, l'exécutif entend poursuivre sa politique économique de l'offre entamée depuis le début du quinquennat Macron en baissant la fiscalité sur les entreprises. En 2021, les impôts de production devraient diminuer d'environ 10 milliards d'euros. Dans le détail, la principale baisse concerne la contribution économique territoriale (CET). Elle est composée de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, -7,2 milliards d'euros), de la cotisation foncière sur les entreprises (CFE, -1,5 milliard) et de la taxe foncière sur les propriétés bâties acquittée par les entreprises (-1,75 milliard d'euros).
Dans leurs travaux, les économistes ont montré que le plan de relance du gouvernement va finalement peu toucher les entreprises les plus exposées au choc du Covid-19. Il va ainsi cibler les grandes entreprises capitalistiques, plutôt dans le secteur manufacturier. Cet effet devrait s'amplifier avec la diminution de l'impôt sur les sociétés programmée depuis 2017. Si des grands groupes comme Renault, PSA, Air France ou Airbus ont annoncé des baisses d'effectifs et des fermetures de sites depuis le printemps, des milliers de TPE et PME - qui représentent une part majoritaire du tissu productif français - sont amplement fragilisées par le second confinement et n'abordent pas cette période dans la même situation financière.
Elles risquent de passer à côté des mesures de relance du gouvernement qui fait le pari d'un redémarrage par l'offre alors que les entreprises font actuellement part d'un manque de débouchés et d'une baisse des carnets de commandes et que l'Insee a parlé d'un risque sur la demande dans son point de conjoncture de septembre.
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Les mesures d'urgence ont bien ciblé les petites entreprises
L'annonce du confinement au mois de mars par le président Macron a entraîné un plongeon record de l'activité. En seulement quelques heures, des millions d'établissements et d'enseignes ont fermé leurs rideaux et ont envoyé leurs salariés chez eux. Il reste que le choc sur les entreprises a été très hétérogène et la stratégie à mettre en place par l'exécutif s'est révélée très périlleuse avec quatre projets de loi de finances rectificatifs afin d'ajuster au mieux les mesures d'urgence.
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L'examen de cet arsenal par les chercheurs indique que ces aides (chômage partiel, prêts garantis par l'État, fonds de solidarité, exonérations et reports de cotisations) "ont bien ciblé celles dont l'activité avait le plus baissé ainsi que celles en plus grande vulnérabilité financière [...]. Les aides, en particulier les PGE et les exonérations de cotisations patronales, ont touché les entreprises les plus fragiles financièrement". En revanche, les dispositifs mis en œuvre dans l'urgence ont moins aidé les grandes entreprises capitalistiques et les plus productives.
La situation préoccupante des ménages modestes
La propagation du virus sur l'ensemble du territoire n'a pas affecté les ménages français de la même façon. Si certaines catégories socioprofessionnelles ont pu télétravailler (cadres, professions intellectuelles supérieures) et maintenir leur activité, d'autres ont dû rapidement se mettre en activité partielle ou ont perdu leur emploi (CDD, saisonniers, intérimaires). Ainsi, les ménages les plus modestes ont enregistré "une baisse significative de leur consommation et de leur épargne, et une augmentation de leur endettement, à l'occasion des premiers mois de la crise", expliquent les économistes de l'Institut des politiques publiques.
Si les répercussions de la pandémie sur le marché du travail ont mis du temps à se propager, elles sont désormais bien visibles dans les chiffres de la statistique publique. Le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) a bondi de 1,9 point au cours du troisième trimestre pour atteindre 9% de la population active, soit une hausse trimestrielle inédite en 45 ans selon l'Insee. Et la hausse des bénéficiaires du RSA est estimée entre 8,7% et 10% entre le mois de mars et la fin août.
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Des mesures d'urgence jugées positivement pour les ménages
Les réponses d'urgence pour amortir le choc sur le revenu des ménages sont jugées positivement au niveau global. "Les aides exceptionnelles aux bénéficiaires des aides sociales ont ciblé les ménages les plus modestes, et le fonds de solidarité pour les entreprises, en apportant une aide forfaitaire aux indépendants, a contribué à soutenir plus fortement les ménages les plus modestes en proportion de leurs revenus", expliquent les auteurs. La montée en puissance du chômage partiel et sa prise en charge à 100% par l'État pour les salariés au SMIC ont permis d'atténuer les pertes de revenus.
En revanche, les classes moyennes, qui ont connu une moindre prise en charge, ont enregistré une perte de revenus plus importante que les plus modestes et les catégories aisées moins exposées à l'activité partielle. "La perte de revenu disponible en raison du passage en activité partielle de mars à juillet 2020 est en moyenne de 0,39 % pour les ménages dont le revenu disponible était avant crise à la médiane (centième 50 de niveau de vie", précise le laboratoire.
Pour 2021, les effets des mesures socio-fiscales présentées dans le collectif budgétaire sont bien plus limités et certaines devraient d'abord profiter aux catégories aisées. Ainsi, la baisse de la taxe d'habitation pour les 20% des ménages qui y sont encore soumis va profiter aux 20% des ménages situés dans les plus hauts revenus.
Reconfinement : un choc moindre qu'au printemps
La multiplication des foyers de contamination à la rentrée et la saturation des services de réanimation ont incité les autorités à prendre des mesures restrictives avec la mise en œuvre d'un couvre-feu d'abord dans les grandes métropoles puis dans 54 départements, et le confinement pour au moins un mois. Selon les calculs des économistes des deux centres de recherches, le choc du second confinement serait compris entre un tiers et deux tiers du choc du premier confinement. La perte d'activité est évaluée entre -10% et -20% par rapport à un mois de novembre ordinaire. Au printemps, la mise sous cloche rapide et brutale de l'économie française avait provoqué un électrochoc cataclysmique dans la chute de l'activité estimée à environ -30%. Des pans entiers des services et de l'industrie avaient été paralysés en seulement quelques jours. Pour ce second confinement, l'ouverture des écoles et des crèches et des mesures de restriction plus souples ont permis à un plus grand nombre de salariés de retourner à leur poste sur site ou en télétravail.
En outre, beaucoup d'entreprises étaient beaucoup mieux préparées qu'au premier confinement. Les économistes parlent notamment d'un effet d'apprentissage. Au final, les statisticiens estiment que le produit intérieur brut de la France pourrait chuter selon un scénario optimiste à -8,6% et un scénario plus sombre à -11% avec un deuxième confinement entraînant une perte d'activité de -20% en novembre et en décembre. Ces projections restent soumises à de nombreux aléas comme le prolongement ou non du confinement, l'évolution de l'épidémie, la situation des hôpitaux.
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