La pandémie a provoqué un flot de démissions important aux Etats-Unis. Après les confinements, des millions de salariés ont quitté leur poste dans la plupart des grands secteurs économiques. En France, les départs se sont multipliés suscitant de vives inquiétudes dans les milieux dirigeants tout au long de l'année 2022. Après ces vagues de démissions, certains observateurs ont évoqué « des épidémies de flemme » et de « la grosse fatigue ». D'autres ont évoqué une déferlante de « désertions ». Mais tous ces vastes mouvements pourraient bien révéler d'autres phénomènes plus complexes.
Dans un vaste dossier dévoilé ce jeudi 29 juin, l'Insee et la Dares (la direction statistique du ministère du Travail) ont passé au crible la mobilité des salariés entre 2018 et 2022. Résultat, les travailleurs ont davantage quitté leur poste après la pandémie pour retrouver un autre emploi. La part des salariés restant dans la même entreprise a baissé de près de deux points entre 2018 et 2022. Une grande partie des mouvements « résulte surtout de départs vers d'autres secteurs », indique l'institut de statistiques.
En revanche, peu ont démissionné du marché du travail en se retrouvant au chômage ou en devenant inactif.
« Il s'agit d'une grande rotation plutôt qu'une grande démission », a déclaré Dorian Roucher, sous-directeur de l'emploi et marché du travail à la Dares.
Sans surprise, les plus jeunes sont davantage concernés par les mobilités entre les entreprises ou entre secteurs.
L'agroalimentaire, les services privés et l'hébergement restauration en première ligne
Parmi les secteurs ayant enregistré les plus fortes mobilités figurent en premier lieu l'industrie agroalimentaire (+2,7 points), les services privés non-marchands qui comprennent la santé et l'action sociale (+2,7 points) ou encore l'hébergement restauration (+2,2 points). Pressés par les difficultés de recrutement avant la pandémie, tous ces secteurs essaient de redoubler d'efforts pour embaucher de la main d'oeuvre en proposant des horaires compatibles avec la vie familiale ou des hausses de salaires par exemple. Mais ces leviers ne semblent pas suffire.
A quelques jours du début de la saison estivale, beaucoup de restaurateurs sont en manque de bras pour assurer les services et la cuisine durant l'été. Dans le commerce (2,1%) et la construction (2%), les mobilités sont certes moins élevées mais restent légèrement supérieures à la moyenne de tous les secteurs (1,9%). Dans les services financiers, la part de mobilité n'a quasiment pas bougé entre la période pré-crise sanitaire et 2022.
La plupart des salariés se dirigent vers le tertiaire
Dans leurs différentes enquêtes, les statisticiens ont retracé la trajectoire des mobilités. Parmi ceux qui ont claqué la porte de leur entreprise, près d'un salarié sur cinq est parti vers les services aux entreprises. Viennent ensuite le commerce ou encore les services non-marchands. En revanche, très peu ont rejoint les secteurs industriels. Alors que la France veut se réindutrialiser, cette orientation vers les services est une mauvaise nouvelle pour les chefs d'industrie confrontés à la pénurie de main d'oeuvre.
Des démissionnaires qui restent dans le marché du travail
Au final, la plupart des démissionnaires sont très loin d'avoir déserté le marché du travail tricolore.« En 2022, il y a eu un niveau de démissions historique de personnes en CDI dans l'économie. Mais ces démissionnaires n'ont pas quitté le marché du travail. Il y a plus 7 salariés sur 10 qui sont en emploi un an après avoir quitté leur poste », a affirmé Dorian Roucher interrogé par La Tribune. Au sortir du Covid, « beaucoup de travailleurs ont cherché à changer de poste pour améliorer leur situation professionnelle. Le niveau de démission rappelle la hausse du pouvoir de négociation des salariés que la France a connu à la fin des années 90 et en 2007. Il y avait de nombreuses démissions pour trouver de meilleures conditions de travail », poursuit le statisticien.
Reste à savoir si l'embellie sur le marché du travail va se poursuivre. Un retournement de l'emploi freinerait les velléités de mobilité de nombreux salariés.