Le long chemin de la « réindustrialisation » de la France

POLITISCOPE. Malgré les bonnes nouvelles annoncées avec les nouvelles usines dans les Hauts-de-France, la route vers la nouvelle France industrielle dépeinte par le chef de l'Etat reste semée d'obstacles.
(Crédits : Reuters)

Jeudi soir, sur le plateau de l'émission « C ce soir » sur France 5, l'ancien député Bruno Bonnell, nommé l'année dernière « secrétaire général pour l'investissement chargé du plan France 2030 », mettait toute son énergie pour convaincre ses interlocuteurs que tout était encore possible en matière de « réindustrialisation » de la France. Fondateur des sociétés Infogrames et Robopolis, ce lyonnais s'y connaît en économie. Mais il a préféré utiliser une métaphore footballistique pour emporter l'adhésion de son auditoire. Admettant que la France n'a pas les moyens des États-Unis, Bruno Bonnell s'est comparé à Aimé Jacquet, l'ancien sélectionneur de l'équipe de foot de France qui a remporté la coupe du monde 1998. Sur le mode, « en France, on n'a pas de pétrole mais on a des idées ». Et qu'il était nécessaire que tout le monde s'y mette, et que toutes les bonnes énergies étaient les bienvenues.

Face à lui, le patron du PCF, Fabien Roussel, faisait la moue. En réponse, le communiste a rappelé que les délocalisations continuaient à tour de bras, que les usines continuaient de fermer, et qu'il était nécessaire que l'État investisse massivement dans l'industrie nationale comme... les Américains avec leur fameux IRA (pour Inflation Reduction Act) qui les amènent à subventionner considérablement leur industrie au nom de la transition écologique.

De fait, après la crise du Covid 19 et le début de la guerre en Ukraine, l'industrie européenne doit affronter une concurrence de plus en plus dure de la part de la Chine et des États-Unis. C'est justement pour faire face à ces défis que le président Macron a annoncé cette semaine un paquet de mesures pour assurer la « réindustrialisation » du pays. Devant un parterre d'industriels, il a ainsi affirmé : « Nous n'avons pas vocation à devenir les consommateurs de l'industrie américaine ».

Alors que l'urgence est là - les défaillances de PME se multiplient ces derniers mois du fait de l'augmentation des prix de l'énergie -, le chemin qu'il reste à parcourir est encore long. Ainsi, le plan « France 2030 », présenté par le président dès l'automne 2021, avec ses 54 milliards (dont 34 milliards de crédits), semble finalement assez modeste face aux 370 milliards de dollars de mesures de soutien à la politique industrielle verte des États-Unis.

Dans ce contexte, Emmanuel Macron a annoncé ce jeudi un nouveau crédit d'impôt, 700 millions d'euros dans la formation des « métiers en tension », une simplification des procédures et un bonus écologique ciblé sur les voitures européennes dont les conditions de mise en œuvre devront être précisées. « On va mieux prendre en compte l'empreinte carbone de la production de la voiture et soutenir les batteries européennes (...). Je ne veux pas que l'UE puisse aider des batteries qui ne sont pas faites en Europe », a-t-il expliqué, en appelant à ne pas reproduire « l'anti-modèle » des panneaux photovoltaïques. « On a aidé à l'achat des panneaux mais on a détruit notre filière de production européenne et cela a profité à la Chine », a poursuivi Emmanuel Macron.

Le président français n'hésite d'ailleurs pas à prendre ses distances avec Bruxelles en demandant une « pause réglementaire européenne » en ce qui concerne les objectifs environnementaux : « il faut mettre en œuvre ce qu'on a décidé et qu'on investisse massivement. » Cette affirmation risque de créer la polémique. Peu importe pour le président qui préfère avancer, coûte que coûte: « Si on poursuit les efforts, on a réparé les effets de la crise financière et post-financière en 2027», espère ainsi Emmanuel Macron, en pariant sur la création nette de 600 nouvelles usines entre 2017 et 2027.

Ces annonces prennent place dans une nouvelle séquence de communication pour un exécutif qui tente de faire oublier le dossier des retraites. Certes, au cours de la campagne présidentielle, le président avait déjà mis en avant la question de la « souveraineté industrielle » de la France, expression qu'il a commencé à employer pendant la crise Covid. En octobre 2022, il s'était ainsi déplacé à Belfort pour se féliciter de la tentative de rachat par EDF de l'activité des turbines Arabelle d'Alstom cédée à General Electric six ans plus tôt. Cette semaine, en plus de son allocution à l'Elysée, Emmanuel Macron a également donné une grande interview à Challenges et s'est déplacé hier à Dunkerque pour saluer l'ouverture d'une « gigafactory » de batteries électriques par le groupe taïwanais ProLogium Technology.

C'est justement cette semaine que le cabinet Ernst Young a décidé de communiquer pour expliquer que la France est le pays d'Europe qui attire le plus d'investissements directs étrangers (IDE) avec 547 nouveaux projets industriels en 2022. Malheureusement, cette « attractivité » de la France, promue notamment à travers les sommets Choose France (le prochain doit d'ailleurs se tenir lundi 15 mai à Versailles), ne se traduit pas par des créations massives d'emplois comme le souligne Ernst Young : « Les emplois apportés par les projets diminuent de 15 % entre 2021 et 2022. En moyenne, les investissements étrangers créent moins d'emplois en France (33 par projet) que dans le reste des principaux pays d'accueil des investissements étrangers en Europe (58 en Allemagne, 59 au Royaume-Uni) », indique le cabinet de conseil dans son étude, notamment parce que ces nouveaux projets sont principalement des extensions de sites industriels et peu de créations, et que la France attire moins de sièges sociaux que certains de ses voisins.

Ce ne sont pas les seules mauvaises nouvelles : en mars 2023, selon l'INSEE, la production manufacturière française était à un niveau inférieur de 0,3 % à son niveau de mars 2015. Si les chiffres mensuels montrent une faible hausse jusqu'à la crise sanitaire, c'est ensuite l'effondrement. Autre chiffre dramatique : entre le deuxième trimestre de 1974 et le dernier trimestre de 2022, la France a perdu 2,26 millions d'emplois privés dans l'industrie. Toutefois, depuis 2017, la chute vertigineuse des emplois industriels a laissé la place à un tassement.

L'histoire ne dit pas si François Bayrou, haut commissaire au Plan, était tenu au courant de la communication élyséenne, mais c'est cette même semaine qu'il a rendu son rapport sur le commerce extérieur. Et les chiffres sont édifiants : l 'année dernière, le déficit commercial français (163 milliards d'euros !)  a atteint un niveau record depuis 1949, période où le pays était dévasté par la guerre, à environ -7 % du PIB, selon ce nouveau rapport du Haut Commissariat au Plan. Autrement dit, en 2022, le pays a importé pour 163,6 milliards d'euros de plus qu'il n'a exporté. Soit presque le double qu'en 2021. Sur les 9 781 produits étudiés par le Haut-Commissariat, « les deux tiers sont en déficit » a expliqué François Bayrou, lors de la présentation de l'étude. « Le défi de la réindustrialisation de la France ne relève donc pas tant d'un rééquilibrage macroéconomique du solde courant que d'une réorientation des choix d'internationalisation de ses entreprises. À commencer par ses multinationales », insiste le Haut-Commissariat, qui reste toutefois flou sur la stratégie à adopter pour inverser la tendance. « Nous défendons l'idée qu'il faut une stratégie filière par filière », a indiqué François Bayrou, en regrettant que certaines récentes politiques publiques annoncées par le gouvernement ne se soient pas doublées d'un volet destiné à accroître la production de biens en France. On l'a dit, le chemin de la « réindustrialisation » reste long à parcourir.

Marc Endeweld.

Commentaires 20
à écrit le 14/05/2023 à 15:26
Signaler
Sujet? Valdunes, roues pour le rail, en danger. Toujours une riche idée les investissements chinois, c'est un peu comme cacher la poussière sous le tapis. Ca date de 2014, quand la SNCF, surendettée, avait lâché Valdunes. Il fallait surtout modern...

à écrit le 14/05/2023 à 11:04
Signaler
Nos usines n'étaient pas rentables, elles nous coûtaient de l'argent, nous avons passé 40 ans à tout transférer vers les pays asiatique ou des pays à faible coût de mains d'œuvres . Nous avons enrichi les bourses du monde entier. C'était la belle ép...

le 06/06/2023 à 8:28
Signaler
50 ans ! Vous etes bien optimiste. On peut a certaines periodes de l'annee visiter des sites industriels en Coree. Je vous encourage vivement a venir voir. Vous y verrez l'innnovation permanente tout comme au Japon. Votre sort est deja scelle.

à écrit le 14/05/2023 à 10:27
Signaler
L'indicateur d'évaluations de la puissance économique d'un pays est le PNB/hab, selon ce critère la France se classe au 27 ème rang mondial, si on ajoute le classement Pisa où la France n'est plus brillante on doit reconnaître que notre pays n'est ...

le 06/06/2023 à 8:32
Signaler
@Jason. Je plussoie. Lors du covid en pleine expansion et le faux debat sur l'anti-paludeen, on trouvait sans difficulte dans toutes les pharmacies de Seoul. Ici, point de penurie, au contraire, on fourni a volo.

à écrit le 14/05/2023 à 9:18
Signaler
"l'ancien député Bruno Bonnell, fondateur des sociétés Infogrames et Robopolis, ce lyonnais s'y connaît en économie." 2017: Le député du Rhône Bruno Bonnell était invité de RTL ce mercredi ; il a défendu l’optimisation fiscale tout en affirman...

à écrit le 14/05/2023 à 9:07
Signaler
"Bruno Bonnell, fondateur des sociétés Infogrames et Robopolis, ce lyonnais s'y connaît en économie. " Effectivement ,souvenir : Il y a quelques années, Infogrames faisait figure de modèle dans le monde de l'édition. Une compagnie française capab...

à écrit le 13/05/2023 à 19:56
Signaler
C'est pourtant simple si on veut être cohérent c'est industrialisation ou décroissance. Industrialiser avec des règles et des contrôles n'est pas non plus hors de portée.

à écrit le 13/05/2023 à 19:11
Signaler
Il sera impossible de réindustrialiser sans sortir du mécanisme européen de fixation des riz de l'électricité. Mais ça Macron ne la'avouera jamais, ce serait un reniement de son idéologie européiste. Le reste n'est que du vent.

à écrit le 13/05/2023 à 19:10
Signaler
Il sera impossible de réindustrialiser sans sortir du mécanisme européen de fixation des riz de l'électricité. Mais ça Macron ne la'avouera jamais, ce serait un reniement de son idéologie européiste. Le reste n'est que du vent.

à écrit le 13/05/2023 à 13:55
Signaler
"Macron des GOPE de l' UE" est tellement prévisible dans les discours bobards qu' il emprunte et restitue en sketch dans des postures affectées, ici dans une forme combattive en serrant ses petits poings à hauteur de poitrine que l...

à écrit le 13/05/2023 à 13:23
Signaler
Ne postulez pas à moins de deux smics ! c'est le minimum pour une industrie Charlie Chaplin !

le 13/05/2023 à 14:30
Signaler
cela doit faire 60 ans que vous n'avez pas mis le pied dans une usine.

le 14/05/2023 à 7:39
Signaler
@steph: Renseignez-vous, regardez des vidéos sur les machines et les usines. Une usine gère un flux de transformation, sur des séries plus ou moins grandes. Les poste de travail sont un des enjeux de l’automatisation ou de la robotisation. Un OS n’...

à écrit le 13/05/2023 à 13:20
Signaler
C'est bien La tribune ! Vous évitez désormais la censure absurde !

à écrit le 13/05/2023 à 11:12
Signaler
En etre reduit à profiter du travail du président des hauts de France qu'on aurait pu avoir comme président c'est pathétique.

à écrit le 13/05/2023 à 10:54
Signaler
Arretez de dire qu'il réindustrialise la France !! il vend la main d'oeuvre à des industries étrangères, chinoises qui plus est ! un comble ! VOila une caste qui a vendu les industries aux chinois et qui vend désormais ses esclaves, on dit main d'...

à écrit le 13/05/2023 à 10:16
Signaler
Mensonge : il vend les forces productives désormais habituées aux petits salaires niveau RSA aux industries étrangères... C'est un capot du capital ! un capot des camps de travail...

à écrit le 13/05/2023 à 9:32
Signaler
Réindustrialiser pourquoi faire ? Créer des emplois artificiellement, continuer à consommer, jouer la guéguerre de la concurrence et faire comme les autres ?! Continuer à "pédaler dans la semoule" en ayant l'impression d'avancer ?! Choisissez vos cr...

le 14/05/2023 à 7:29
Signaler
Reindustrialiser pour que les profs ou les syndicalistes puissent avoir des frittes et une PS4. C’est l’industrie qui exporte et donc assure le train de vie de la nation. Ça vous a échappé?

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.