Energie : un « monde nouveau » si difficile à prévoir ?

POLITISCOPE. On se souvient tous du slogan « En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées », lancé fin 1974. En cette « rentrée » de septembre, du côté du gouvernement, comme des responsables économiques, l'heure est même à la panique. Sur le départ, Jean-Bernard Lévy, le PDG d'EDF, dénonce désormais l'ouverture totale au marché du secteur énergétique. Et la France va livrer du gaz d'origine russe à l'Allemagne en contrepartie de livraisons d'électricité allemande fabriquée à partir de charbon.
Marc Endeweld
(Crédits : DR)

Ces derniers temps, en France, on se croirait parfois dans le film américain « Retour vers le futur ». Et notamment sur le front de l'énergie. L'air du temps ressemble à s'y méprendre à l'ambiance qu'a connu le pays après le premier choc pétrolier de 1973, survenu en pleine guerre du Kippour, lorsque l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) avait décidé d'un embargo pétrolier sur les nations occidentales soutenant Israël. C'était l'époque des grandes campagnes d'économies d'énergie auprès des Français. On se souvient tous du slogan « En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées », popularisé par un sport publicitaire lancé alors par « l'Agence des économies des énergies », lancée fin 1974.

Après des années de croissance assurée, les fameuses « trente glorieuses », la France se réveillait dans la douleur face à un premier basculement du monde. Et le pays prenait déjà des mesures drastiques d'économies d'énergie pour faire face. Limitation des vitesses sur les routes, chauffage plafonné à 20°, instauration de l'heure d'été... Il y a seulement quelques mois pourtant, en pleine campagne présidentielle, peu de responsables politiques et quasiment aucun candidat à la présidentielle annonçaient alors la couleur.

Le 7 mars, Bruno Le Maire , le ministre de l'Economie, osait un timide avertissement : « Nous devons prendre conscience que nous entrons dans un monde nouveau », déclarait-il en appelant d'ores et déjà les Français à « faire un effort » sur leur consommation d'énergie, notamment en baissant d'un degré le chauffage chez eux. Mais le débat ne portait pas encore sur la situation catastrophique d'EDF et de son parc nucléaire, et les positions écologistes sur le climat étaient encore rarement entendus dans le monde politico-médiatique, malgré la mobilisation d'une partie de la jeunesse. La Tribune ces derniers mois avaient pourtant à de multiples reprises lancé l'alerte... et sans attendre l'invasion russe de l'Ukraine.

Alors, en cette « rentrée » de septembre, fini l'insouciance. Du côté du gouvernement, comme des responsables économiques, l'heure est même à la panique. Sur le front de l'énergie, tous les signaux sont au rouge. Des chercheurs suisses ont envisagé pour leur pays le scénario noir de coupures d'électricité allant jusqu'à 4 heures par jour au cours de l'hiver prochain. Par un contact, on apprend qu'un ancien haut cadre d'EDF est allé acheter un groupe électrogène dans une grande enseigne de bricolage pour passer les prochains mois... Et le gouvernement, un peu comme lors de la crise Covid, tente de montrer qu'il est mobilisé tant bien que mal sur la question.

Cette semaine, c'est le site internet Ecowatt, lequel permet aux Français de connaître la situation de la consommation d'électricité en France à l'instant T et pour les trois jours à venir, qui est mis en avant par Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, qu'elle présente lors d'une conférence de presse comme « le bison futé du système électrique ». Oui, vous avez bien lu, on parle désormais d'un « bison futé »... Puisqu'on vous dit qu'En France, on a des idées !

Et comme souvent, on justifie ces déclarations en invoquant les « événements », que l'on pense à l'été étouffant que la France a connu, avec la multiplication des feux de forêts (que nombre de pays avaient pourtant dû affronter les années précédentes...), ou à l'aggravation de la situation internationale entre la guerre en Ukraine ou la montée des tensions un peu partout sur le globe (comme la récente agression de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie qui ne provoque guère de commentaires...).

Imprévoyances

L'explosion des prix du gaz et de l'électricité n'a pourtant pas attendu ces « événements ». Cela fait en réalité près de dix-huit mois que ces prix de l'énergie ont commencé à exploser, et ce, bien avant la survenue de la guerre en Ukraine. Dès le printemps 2022, en pleine campagne présidentielle, le prix de l'électricité sur le marché européen se négociait déjà à 300 euros le mégawattheure contre 20 habituellement à cette période, comme une figure de l'énergie me le confie dans mon livre « Guerres cachées. Les dessous du conflit russo ukrainien » (Seuil, juin 2022). Et cette montée des prix du gaz survenue dès l'été 2021 coïncide alors avec une baisse discrète des livraisons de gaz effectuée par le géant russe Gazprom. À l'époque, cette donnée, n'avait suscité aucun débat, ou aucune décision. Pas question de lancer de « sobriété énergétique » à quelques mois de la présidentielle, pas question de réfléchir à la stratégie énergétique de la France dans un contexte géopolitique de plus en plus assombri depuis... 2019, au moins.

Résultat, les prix sur le marché dans les semaines suivantes ont continué leur envolée, et on se retrouve avec des prix négociés au-delà des 1000 euros désormais... Cette situation montre encore une fois que nos gouvernants quels qu'ils soient ont de plus en plus de mal à percevoir l'avenir sur le long terme. Leur manque d'anticipation est criant. « Gouverner, c'est prévoir. Ne rien prévoir, ce n'est pas gouverner, c'est courir à sa perte » : cette formule que l'on attribue à Adolphe Thiers est plus que jamais d'actualité. Après des années de fric facile de la finance et de libéralisation des marchés de l'énergie, ces derniers n'ont pris des décisions qu'à courte vue.

Le procès de la libéralisation du marché européen de l'énergie

Cette semaine, lors d'une audition à l'Assemblée Nationale, c'est le PDG d'EDF lui-même, Jean-Bernard Lévy regrettait désormais l'ouverture totale au marché impulsée ces dernières années par l'Union Européenne du secteur énergétique... Comme à l'université d'été du Medef fin août, celui qui dirige encore pour quelques semaines l'électricien national ne mâche pas ses mots : « Oui, le marché européen aujourd'hui donne l'impression d'être un petit peu au bout du modèle qui a été mis en place il y a vingt ou vingt cinq ans, et on voit bien qu'il y a eu un certain déni de la part des instances communautaires au tout début de cette crise après l'invasion de l'Ukraine, mais avec ce qui s'est passé cet été sur les prix, l'effet de ces prix sur les consommateurs, les opinions publiques, les représentants dans le monde politique, on voit bien qu'aujourd'hui dans une certaine urgence, les instances communautaires sont en train de se préoccuper de savoir s'il ne faut pas procéder à des changements radicaux du modèle européen (...) Le tout marché, on en voit les limites aujourd'hui  ». Et le PDG d'EDF de faire remarquer que le court terme du marché ne permet pas aujourd'hui de donner des « signaux d'investissement sur le long terme ». À la faveur de cette conjonction de crises, assisterait-on au grand retour de l'économie politique ? Cette matière dont les Français depuis le XVIIIème siècle, épris de colbertisme, ont été si friands...

En attendant, l'Europe apparaît bien faible et brouillonne. Alors que le chancelier allemand Olaf Scholz avait obtenu il y a quinze jours de Siemens un déblocage de la situation sur Nord Stream 1 (alors que le groupe allemand avait des difficultés pour livrer une turbine à Gazprom pour le bon fonctionnement du gazoduc comme celle ci se trouvait en maintenance au Canada), rappelant au passage que les sanctions internationales à l'encontre de la Russie ne concernaient pas encore directement les importations de gaz, l'Allemagne comme la France ont dû se résoudre à accepter un plafonnement des prix du gaz sur le marché européen, un plafonnement mis en place par la Commission européenne et imposé par les États-Unis pour éviter que la Russie profite de l'envolée des prix du gaz...

L'annonce de ce plafonnement par Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, eut un effet immédiat : l'ire de Vladimir Poutine, qui a alors annoncé la fermeture du robinet du gaz pour la France et l'Allemagne. En Allemagne pourtant, la puissante industrie de la Chimie, pilier de l'économie avec la construction automobile, a un besoin vital de ce gaz, et va se retrouver rapidement face à des pénuries. Quelques jours auparavant pourtant, Emmanuel Macron et Olaf Scholz étaient tombés d'accord sur une solution d'urgence : la France s'est engagée à fournir une partie de ses stocks de gaz (d'origine russe...) à l'Allemagne en contrepartie de livraisons d'électricité allemande fabriquée à partir de charbon. Quand on vous dit que c'est « retour vers le futur »...


Marc Endeweld.

Marc Endeweld
Commentaires 5
à écrit le 17/09/2022 à 3:27
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Après les slogans politiques, fort peu utile, il faudra laisser la place a ceux qui font vraiment les choses. Mais il faut aussi leur laisser le temps. En 1973 une voiture comme la Citroën DS (version DS21) consommait facilement 12 litres au 100 km. ...

le 18/09/2022 à 9:08
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La très grande majorité des lampes à LED sont fabriquées en Chine, qu'elles soient de marque de distributeur ou d'un grand fabricant d'éclairage.On nous dit que sa durée de vie est de 50 000 à 100 000 heures soit 2083 à 4166 jours.J'ai un carnet ou j...

à écrit le 16/09/2022 à 19:51
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"Seul les plus feignasses utilisent l'énergie exogène pour se la "taper" ! Dicton en cours d'utilisation! ;-)

à écrit le 16/09/2022 à 13:30
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J'espère qu'après cet épisode de précarité énergétique, les médias arrêteront définitivement de nous bassiner avec le réchauffement climatique, et que les responsables européens arrêteront aussi. Parce que depuis quelques années, ça devenait vraiment...

le 16/09/2022 à 14:32
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Ça vous perturbe l'évolution du climat dans un sens d'instabilité croissante ? (dit réchauffement pour faciliter l'élocution) La précarité énergétique pour cause d'évènements divers, de dysfonctionnements (hérités du passé, la corrosion ça agit petit...

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