C'est presque devenu un rituel pour les Français. Alors qu'Emmanuel Macron doit s'exprimer à 20 heures pour annoncer de nouvelles mesures, beaucoup de dirigeants dans les milieux économiques et financiers retiennent leur souffle. Entre la nécessité de ralentir la propagation de l'épidémie et la préservation du tissu productif, le chef de l'Etat joue un numéro périlleux d'équilibriste depuis le printemps 2020.
L'accélération des contaminations dues au variant Delta inquiète particulièrement la communauté scientifique. Ce week-end, le ministre de la Santé Olivier Véran a tiré la sonnette d'alarme en annonçant que la France se trouvait "au départ d'une nouvelle vague" épidémique de Covid-19, redoutant une répercussion prochaine sur les hôpitaux, faute d'une vaccination suffisante. Pour l'exécutif, la baisse du rythme de la vaccination dans la population et la virulence de ce variant assombrissent l'agenda économique et social de la fin du quinquennat, déterminante pour la prochaine élection présidentielle.
Un scénario semblable à l'été 2020 ?
Il est encore difficile d'avoir une vision solide à ce stade du déroulement de la saison estivale. Au ministère de la Santé, on redoute un scénario semblable à l'été 2020. "La charge hospitalière pour l'instant n'augmente pas, mais il va se passer la même chose que l'été dernier, c'est-à-dire que les jeunes vont contaminer les moins jeunes, et, parce que tout le monde n'est pas vacciné, vous allez avoir une augmentation de la pression sanitaire, une augmentation des cas graves et des hospitalisations", a développé le ministre en charge de la Santé.
Sur le plan économique, la plupart des indicateurs sont au vert. La Commission européenne a révisé ses prévisions de croissance à 6% pour l'année 2021. Quant à l'Insee, les conjoncturistes tablent sur la même hausse du produit intérieur brut (PIB) cette année malgré un premier semestre sous contraintes sanitaires. Pour cet été, certains économistes sont même plus optimistes que lors de l'été 2020 marqué par un pic d'activité après un creux historique au second trimestre de la même année. C'est par exemple le cas de l'économiste en chef de Oddoe Securities Bruno Cavalier. Il estime dans une récente note que "la reprise sera plus diffuse et solide qu'à l'été 2020".
"Certes, il y a des variants contagieux qui circulent, mais à ce jour, il ne semble pas qu'ils soient plus mortels que le virus de départ, ni que les vaccins soient moins efficaces à en empêcher les formes graves. Le risque sanitaire demeure, mais ce n'est plus un risque économique si l'on n'a pas à redouter l'embouteillage des hôpitaux."
La grande différence avec l'année dernière est que la campagne de vaccination n'avait pas encore commencé. En outre, des économistes ont rappelé "l'effet d'apprentissage" d'un grand nombre de secteurs depuis le début de la pandémie.
Il reste que beaucoup de segments de l'économie tournent encore en sous régime. Les récentes enquêtes de conjoncture de la Banque de France ont montré que le niveau d'activité était encore inférieur à celui d'avant crise.
"Selon la Banque de France, cet écart serait de 2% en juillet, vs 4% au T2 et 5% au T1. Il devrait se combler durant les mois d'été, sans toutefois que la normalisation soit achevée dans tous les secteurs. Même si les restrictions ont presque toutes été levées, certaines branches continuent en effet d'opérer sous la normale. C'est le cas de l'hôtellerie-restauration, car une partie de la demande (touristes internationaux, voyages d'affaires) reste déprimée" a ajouté Bruno Cavalier. Le marasme provoqué par les différentes vagues dans certains secteurs risquent de peser à moyen terme sur les capacités de rebond comme dans l'hôtellerie-restauration ou l'événementiel par exemple.
Un plan de relance chamboulé par la pandémie
Le calendrier du plan de relance de 100 milliards d'euros annoncé à l'été 2020 ne cesse d'être chamboulé par les vagues épidémiques à répétition. Si le gouvernement affirme que le rythme de décaissement de cette enveloppe est assuré, l'exécution des crédits est sans cesse repoussée par les longues périodes de confinement. Au début de l'été, le gouvernement a dû présenter un nouveau budget rectificatif de l'ordre de 20 milliards d'euros supplémentaires, dont 15,5 milliards d'euros de mesures d'urgence.
A la rentrée, le budget 2022 "doit poursuivre la mise en œuvre du plan de relance avec des mesures spécifiques pour soutenir massivement l'économie. Le budget 2022 finance la transition : il s'agit de retrouver le chemin de la soutenabilité tout en déployant le plan de relance, sans prendre des mesures de redressement des finances publiques qui seraient brutales ou excessives" a indiqué dans un récent entretien à La Tribune le ministre en charge des comptes publics Olivier Dussopt. Face aux craintes d'une réduction trop rapide des aides, il a répondu "ce n'est évidemment pas un projet de loi de finances d'austérité, bien au contraire."
Un agenda des réformes très serré
Lors d'un déplacement au début du mois de juin dans le département du Lot, le Président de la République a relancé les débats sur la réforme explosive des retraites. Mise sur pause par la pandémie, ce grand chantier fait l'objet d'âpres débats au sein de la majorité. Entre des ministres comme Bruno Le Maire qui poussent pour accélérer le calendrier et d'autres personnalités qui freinent à l'instar de François Bayrou, la décision d'Emmanuel Macron demeure très attendue.
Sauf que l'agenda des réformes s'est considérablement rétréci avec la multiplication des variants. Même si le calendrier de l'élection présidentielle n'est pas encore arrêté, il ne reste plus que quelques mois à l'exécutif pour mener "cette mère des réformes" qualifiée ainsi par Macron. En outre, la plupart des partenaires sociaux ont exprimé leurs réticences à lancer un tel programme à quelques mois de la campagne pour le scrutin présidentiel. A l'issue d'une réunion à l'Elysée la semaine dernière, les syndicats et les représentants du patronat ont clairement fait savoir qu'ils n'étaient pas prêts à rouvrir ce dossier politiquement inflammable.