C'est un peu l'invité surprise de ce début de campagne. Depuis des semaines, tous les médias faisaient de l'immigration le sujet numéro 1 de la future confrontation présidentielle. Zemmour par ci, Zemmour par là... Et soudain, début octobre, une énième hausse des prix de l'énergie vient jouer les trouble-fêtes. Cela fait pourtant des mois qu'ils montent dangereusement. Pour les abonnés du gaz, les tarifs ont bondi de près de 60 % sur un an !
Nouvelle douche froide, Engie a annoncé dès le 1er octobre une nouvelle hausse du tarif réglementé de 12,6 %, par rapport au barème en vigueur applicable depuis le 1er septembre. Il s'agit de la plus forte hausse constatée depuis 2013. Cette flambée des prix intervient au plus mauvais moment, quelques semaines avant la période hivernale où les foyers ont besoin de se chauffer. En urgence, le gouvernement a décidé de mettre en place un « bouclier tarifaire » en gelant à partir du 1er novembre le Tarif régulé de vente (TRV) proposé par l'opérateur historique Engie.
Une décision prise dans l'urgent, car durant de longs mois, personne du coté du pouvoir n'a trouvé alarmante la situation. Et pour cause : l'augmentation des tarifs a profité aux opérateurs dont l'Etat est actionnaire, comme EDF ou Engie, deux entreprises fortement endettées, mais via la TVA, cela a permis également d'augmenter les recettes fiscales. Ce qui a amené Xavier Bertrand, candidat à la présidentielle, à s'emparer du sujet : « Toutes les augmentations de l'électricité et du gaz ont provoqué l'augmentation des taxes, c'est-à-dire ce qui rentre dans les poches de l'État », s'est irrité le président des Hauts-de-France qui souhaite représenter la France périphérique, celle des Gilets Jaunes, lors de sa campagne, estimant par ailleurs que l'État ne devrait pas faire « semblant d'être généreux en ne remboursant que 580 millions d'euros avec le chèque énergie ».
« Il y en a marre de leur com' », a flingué Xavier Bertrand, ajoutant à son argumentaire cette sentence : « Les caisses de l'État se remplissent parce que le porte-monnaie des Français se vident. » Si les recettes évoquées par Bertrand (2 milliards) sont sans doute moins importances qui ne le dit, le candidat de droite tape là où ça fait mal : le gouvernement n'a pas du tout anticipé durant de longs mois l'impasse de cette hausse des prix pour les Français.
Sur le front de l'approvisionnement en gaz, la situation est d'ailleurs alarmante en Europe. C'est la Commission de régulation de l'énergie (CRE), une autorité administrative indépendante chargée de fixer les prix, qui le dit : « La France ne dispose pas de gaz sur son territoire et importe 99 % de sa consommation de gaz naturel, elle est donc exposée, comme le reste de l'Europe, aux variations des prix de marché européens et mondiaux », rappelle-t-elle dans son dernier communiqué. Le dossier du « mix énergétique » va-t-il enfin être mis sur la table de la présidentielle ?
Car au delà du gaz, les prix montent également sur le front de l'électricité. Si les particuliers restent encore relativement protégés du fait des tarifs réglementés, la mise en place prochaine d'une « tarification dynamique » pourrait changer la donne. Et pour les industriels électro-intensifs, comme la sidérurgie, la chimie, l'agroalimentaire, et l'industrie du papier, tout juste sortis de la crise du covid 19, c'est également une très mauvaise nouvelle, d'autant que pour ne rien arranger, certains font déjà face à une hausse des cours mondiaux des matières premières). Même si une partie de leur approvisionnement est assurée par des contrats de long terme, le reste de leurs fournitures se fait à partir des prix de gros (parfois près de 50 % de leur consommation). Et là, cela fait très mal, car en quelques mois, le prix de gros de l'électricité est passé de 15 euros à 152 euros pour une livraison en 2022 ! Un grand pays industriel comme l'Italie a d'ailleurs décidé de mettre en urgence 5 milliards d'euros sur la table pour aider ses industries à faire face à ces augmentations fulgurantes.
Concernant les particuliers, le montant du tarif réglementé devait augmenter de 12 %, (186 euros) en février 2022, date de la révision annuelle des tarifs réglementés de l'électricité, qui concernent 23 millions de clients d'EDF. Rappelons que dix autres millions ont souscrit une « offre de marché » (non régulée), auprès d'EDF, ou de l'un de ses concurrents. Pour limiter cette hausse prochaine, le gouvernement a décidé de la limiter à 4% pour les abonnés (62 euros)...
Mais comment expliquer une telle situation dans un pays où 70 % de l'électricité est produite grâce au nucléaire ? C'est que la CRE prend en compte dans son calcul du tarif réglementé, le prix de l'électricité sur ce marché de gros. Et là, la situation devient catastrophique. Car l'Union Européenne impose une taxe carbone, fixée par le marché, sur le prix de l'électricité, quelque soit vos sources d'énergie. Et cette variable sur le prix de gros européen peut donc faire augmenter la facture d'électricité des Français alors que cette énergie dans l'Hexagone est à quasi 90 % décarbonée...
Jusqu'en 2017, les prix des quotas CO2 étaient bas et ne pesaient pas vraiment sur la facture d'électricité. Mais ce n'est plus le cas désormais, le C02 connait depuis plusieurs mois une ascension importante. Pour ne rien arranger, certains professionnels du secteur soupçonnent une manipulation des cours sur le CO2, la Chine est régulièrement pointée du doigt, sans qu'il n'y ait de preuves pour étayer cette analyse : « Les Chinois ont intérêt à rendre l'industrie européenne moins compétitive », critique l'un d'eux.
L'ironie de l'histoire est qu'EDF, en difficulté financière, bénéficie de ce système en exportant des quantités importantes de sa production d'électricité sur le marché européen. « Le producteur national se nourrit de la situation européenne », raille un observateur. Aujourd'hui, la France demande, là encore, en urgence, à ses partenaires européens, de revoir les règles du marché. « Cet alignement des tarifs de l'électricité sur le gaz n'est pas le bon moyen de fixer le juste prix », déclare Bruno Le Maire. C'est tout de même un peu tard de constater que les règles européennes en matière d'énergie peuvent totalement à l'encontre des intérêts des citoyens français.
Et à quelques mois de la présidentielle, cette tension sur les prix de l'énergie pourrait faire basculer l'élection dans une autre dimension, d'autant plus que le quinquennat a été marqué par la révolte des Gilets Jaunes, qui n'oublions pas, a démarré sur le prix du carburant. En 1789, le prix du pain avait une variable non négligeable dans la survenue de la Révolution. Peut-être que dans quelque mois un collaborateur d'Emmanuel Macron lui répondra : « Mais c'est une révolte ? — Non, Sire, c'est une révolution ! ». À l'origine, c'était le duc de la Rochefoucauld qui avait répondu en ces termes à Louis XVI. En politique, il ne faut jamais oublier le principe de réalité.