Frédéric Valletoux (FHF) : « L'État n'a pas été assez vigilant pour tirer les leçons de la première vague de COVID-19 »

Alors que la deuxième vague de contamination de la Covid 19 se lève, Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France FHF et maire (Agir) de Fontainebleau, est inquiet : cette nouvelle étape de la crise sanitaire va être plus difficile à gérer qu'au printemps. Il redoute l'impact sanitaire sur les autres patients que les Covid qui vont souffrir de la désorganisation des soins. Il estime enfin que le Ségur de la Santé a manqué d'ambition politique et que le PLFSS ne tient pas les promesses financières faites à l'hôpital public.
Frédéric Valletoux, Président de la Fédération hospitalière de France FHF, maire (Agir) de Fontainebleau et président du Conseil de surveillance du centre hospitalier de Sud Seine-et-Marne
Frédéric Valletoux, Président de la Fédération hospitalière de France FHF, maire (Agir) de Fontainebleau et président du Conseil de surveillance du centre hospitalier de Sud Seine-et-Marne (Crédits : DR)

Les annonces d'Emmanuel Macron de reconfinement nocturne avec le couvre-feu en Île-de-France et 8 métropoles vont-elles dans le bon sens pour les hôpitaux ?

Frédéric Valletoux : Ces annonces reflètent l'inquiétude face aux indicateurs de contamination qui repartent à la hausse. Elles ont l'avantage de mettre en œuvre des mesures graduées selon l'intensité des situations dans chaque métropole et territoire, contrairement aux mesures prises au printemps. Les nouvelles mesures annoncées par Emmanuel Macron ont pour objectif d'endiguer cette deuxième vague mais il faudra qu'elles soient appliquées de manière cohérente et responsable. Dès la fin de la première vague, la FHF avait pourtant proposé des pré-requis pour éviter d'en revenir à une telle situation : nous demandions notamment une plus grande transparence sur les projections épidémiologiques afin de poser une règle générale sur les capacités de réanimation. Nous avions également préconisé la mise en place de circuits COVID / non-COVID dans l'ensemble des établissements afin de garantir la continuité des soins hors coronavirus. Il nous semblait enfin essentiel de prendre en compte les besoins des professionnels de santé et l'organisation de renforts pour garantir congés et reprise d'activité. Alors oui, ces mesures vont dans le bon sens. Elles arrivent sans doute un peu tard et ne se substituent pas à aux mesures que je viens de citer qui auraient dû être prises dès l'été par les autorités sanitaires.

Les hôpitaux sont-ils bien préparés à l'arrivée de cette deuxième vague de contamination ?

Oui, car la question cruciale du manque d'équipements de protection est résolue, les stocks ont été reconstitués. Mais l'État n'a pas été assez vigilant pour tirer toutes les leçons de la première séquence, peut-être par manque de retour d'expérience. Aujourd'hui, beaucoup de questions sur lesquelles on aurait pu avancer en préparation de cette rentrée n'ont pas été traitées. Je pense à la coordination entre la médecine de ville et la médecine hospitalière, ou entre les hôpitaux et les cliniques.

Je pense aussi à la doctrine que l'on aurait dû mettre en place pour clarifier la question des déprogrammations : quels types de patients et d'interventions doit-on reporter en priorité ? Comment organiser cette vague de déprogrammation qui a déjà commencé en Île-de-France ? Même si les hôpitaux feront face, il ne faut pas oublier la fatigue des personnels, à qui il faut rendre hommage et qui font du très bon travail. Ils ont déjà beaucoup donné, lors de la première vague puis cet été, pour soigner les patients dont on avait dû reporter les interventions au printemps, lorsque nous avions besoin de concentrer tous les efforts sur les patients COVID.

Quels ont été les effets pervers de ces déprogrammations mises en œuvre au printemps dans les hôpitaux ?

J'en vois deux : la perte de chance au niveau médical pour les patients et une forte dégradation financière pour le budget de nos établissements qui était déjà en berne. Au printemps, les établissements de santé étaient dans l'incapacité d'anticiper la rapidité de la propagation de ce nouveau virus. Ils évoluaient dans la crainte de ce qui s'était passé en Lombardie où les hôpitaux étaient totalement débordés et triaient les patients à l'entrée. Pour éviter d'en arriver là et comme le prévoit le plan blanc, nos établissements ont déprogrammé toutes les opérations qui n'étaient pas des urgences avérées. Mais cette déprogrammation a interrompu le suivi de nombreux patients, notamment ceux qui ont des maladies chroniques. Certains ont même renoncé aux soins. Cet été, les médecins les ont retrouvés dans un état de santé moins bon que lorsqu'ils étaient suivis régulièrement. Certains avaient même développé des pathologies secondaires. C'est donc le premier effet pervers qui par voie de conséquence en a créé un deuxième : celui de la perte de revenus pour les établissements de santé. Nous estimons le coût de ces déprogrammations à 2 milliards d'euros.

En tant que Président de la FHF, quelles sont vos inquiétudes actuelles sur la situation des hôpitaux ?

Je constate la grande inquiétude des hospitaliers sur une deuxième vague qui risque d'être plus difficile à gérer que la première. Cette difficulté est due à quatre raisons. D'une part, la première vague était concentrée sur quelques régions qui ont pu bénéficier du renfort du personnel soignant de régions moins touchées. Mais aujourd'hui, beaucoup de métropoles et de régions connaissent des chiffres de diffusion importants et elles risquent d'avoir plus de mal à trouver des renforts. Deuxièmement, si les hôpitaux ont beaucoup déprogrammé au printemps, ils l'ont payé par la suite et les médecins souhaitent limiter ces déprogrammations. Cet automne, il va falloir faire cohabiter la poursuite de certaines activités médicales avec les filières COVID où les patients doivent être isolés pour éviter toute contamination. Il n'y aura pas d'hôpital 100% COVID et cela va être compliqué. Troisièmement, les épidémies saisonnières comme la grippe entraînent traditionnellement un taux d'occupation de 80 % des services de réanimation. Si la diffusion du coronavirus se poursuit, il va falloir augmenter significativement les capacités des services de réanimation.

Mais avec moins de renforts, cela va être difficile. Cette augmentation de la capacité n'implique pas seulement des lits et des respirateurs, mais aussi du personnel formé capable de suivre les patients 24H/24H avec une moyenne de cinq professionnels par lit. Enfin, il y a sans doute moins de personnels dans les hôpitaux aujourd'hui qu'au début de l'année. Même si c'est loin d'être un phénomène massif, cela reste une réalité qui vient donc rajouter une difficulté supplémentaire, sans compter que les taux d'absentéisme sont plus élevés sous l'effet de l'usure due au pic du printemps, au rattrapage de l'été et au redémarrage de l'automne. Tous les ingrédients sont là pour comprendre cette angoisse chez les hospitaliers.

Et quelles sont vos inquiétudes en tant que maire de Fontainebleau et président du Conseil de surveillance du centre hospitalier de Sud Seine-et-Marne ?

Je constate que nous avons aussi peu d'informations aujourd'hui qu'au printemps dernier. Au début de la pandémie, on pouvait le comprendre car l'appareil statistique et les prévisions avaient besoin de se mettre en place. Mais huit mois après, il n'y a pas plus de dialogue entre les autorités de santé et les élus locaux, alors même que le Gouvernement affirme la primauté du lien entre les préfets et les maires. Je préside le Conseil de surveillance d'un hôpital travaillant pour tout le Sud de la Seine-et-Marne, soit plus de 150 000 habitants. Je n'ai strictement aucun chiffre et aucune visibilité sur la situation du virus sur ce territoire. Au niveau local, les Agences régionales de Santé (ARS) sont de nouveau en retrait et les préfets semblent reprendre la main sur la gestion de la crise sanitaire. Pour les élus locaux, comment savoir quelle est l'autorité de référence sur la gestion de la pandémie ? Il y a un vrai flou sur le sujet.

Le Ségur de la Santé n'a-t-il pas amélioré la capacité des hôpitaux à faire face à cette nouvelle vague ?

Le Ségur de la Santé a traité certains problèmes de fond et de maux structurels de notre système hospitalier. Il a travaillé sur les professionnels, sur l'attractivité des métiers en remontant les grilles de salaires, sur l'attractivité des postes pour que les soignants et les professionnels du médicosocial aient des carrières plus intéressantes. Tout cela est positif quand l'hôpital et les EHPAD (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, ndlr) publics ont tant de mal à recruter. Le Ségur répond à une crise globale de l'hôpital sur des sujets esquivés depuis trop longtemps par les gouvernements successifs. Il aura malheureusement fallu cette crise majeure pour que l'Etat agisse enfin sur le manque d'attractivité des métiers de la Fonction publique hospitalière sur lequel la FHF alerte depuis de nombreuses années.

Cependant, le Ségur a mis de côté des points qui avaient pourtant été évoqués comme des priorités par le Président de la République. Ce sont toutes ces mesures que nous avions formulées dans notre « New Deal pour la santé » et que nous avions proposées au gouvernement afin de répondre à l'ambition d'un « plan massif pour l'hôpital » annoncé par le Président de la République pendant la crise COVID. Le Ségur a donc consciencieusement oublié la simplification et le recul de la bureaucratisation de notre système de santé. Il a aussi manqué d'ambition politique pour s'atteler à quelques réformes qui seraient indispensables à sa sauvegarde. C'est le cas de l'amélioration des dépenses de santé, alors qu'Emmanuel Macron estimait en 2018 que 30% de ces dépenses étaient inutiles. Sur un budget de 220 milliards d'euros par an, ces 30% ne sont pas anecdotiques.

Je pense que notre système de santé ne souffre pas d'un manque de budget, mais d'une mauvaise répartition des dépenses. Les recadrer sur une pertinence médicale était un objectif du plan Ma santé 2022. Mais cela implique de revoir la répartition des budgets en touchant aux revenus de certains et à des situations acquises autour de dépenses inutiles. Ce sujet n'a pas avancé depuis 2018. Le Ségur peut renforcer l'appareil hospitalier à long terme mais la crise du printemps aurait imposé des réponses d'urgence et une réflexion sur l'amélioration des points faibles en cas de rebond de l'épidémie plusieurs mois après.

Vous dénoncez un projet de loi de Financement de la Sécu PLFSS impliquant une nouvelle cure d'austérité pour l'hôpital à un moment vraiment mal choisi. En quoi l'hôpital est-il à nouveau lésé ?

Avant la crise sanitaire, les mouvements des services d'urgence avaient conduit le Gouvernement à annoncer un plan pluriannuel d'urgence pour les hôpitaux. Le plan s'engageait à revaloriser l'objectif des dépenses pour les hôpitaux ONDAM (Objectif national de dépenses d'assurance maladie, ndlr) de 2,4 % minimum par an pour les trois ans à venir. Or, une fois les dépenses exceptionnelles liées au COVID neutralisées (surcoûts COVID et mesures financières RH liées au Ségur), l'ONDAM hospitalier est loin de cette augmentation promise. Alors qu'elle aurait impliqué 2 milliards d'euros supplémentaires en 2021, elle se résume à 1,2 milliard dans le projet de loi. Cela met l'hôpital dans la même situation que celle où il se trouve chaque année depuis 15 ans, avec des augmentations de recettes moins importantes que les augmentations de charges.  

Propos recueillis par Florence Pinaud

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