LA TRIBUNE- Quelle est la particularité de Chalon-sur-Saône en matière de développement économique ?
SÉBASTIEN MARTIN- Chalon-sur-Saône doit son développement à la croissance industrielle qu'elle a pu connaître depuis le milieu du 19ème siècle et jusqu'à aujourd'hui. L'industrie représente encore un emploi sur quatre. C'est le secteur qui fait que ce territoire peut avoir un destin positif. Sur des réserves foncières de plus de 100 hectares, comme SâoneOr, nous aurions pu mettre des belles plateformes logistiques et le terrain serait déjà occupé à 100%. Mais, ce n'est pas le choix que nous avons fait. Dès 2015, nous avons décidé que le développement de l'industrie était une filière prioritaire pour le territoire.
Nous avons bâti une stratégie sur trois axes : le foncier avec un site industriel clé en main : SâoneOr, la ressource humaine avec la formation et l'enseignement supérieur et une volonté de revenir à 3.000 étudiants, puis une mission de développement économique, qui a regroupé l'ancienne direction du développement économique et l'Agence de développement économique en une seule mission qui m'est directement rattachée, parce que je pense que les patrons veulent parler au patron.
Chalon-sur-Saône a été une ville très industrielle, comment rebondit-elle aujourd'hui ?
L'histoire industrielle est justement une force pour pouvoir se projeter. Si vous n'avez pas de terreau industriel, ni un minimum de culture industrielle, c'est difficile en termes de compétences, et en termes d'acceptation des projets par la population.
Effectivement, nous avons rencontré des accidents économiques comme Kodak, mais ce territoire a toujours su rebondir. Dans les années 90, quand Creusot-Loire - ancienne société sidérurgique créée en 1970 - a été liquidée, il y avait 2.500 personnes qui y travaillaient. Et pour autant, nous sommes encore là parce que ce territoire a toujours eu une stratégie de diversification. Nous n'avons pas une mono industrie. Il y a à la fois de l'agroalimentaire, de la mécanique, de la métallurgie, du nucléaire avec Framatome en tête, l'industrie verrière, la plasturgie, etc... Nous avons cette force d'avoir un tissu économique suffisamment diversifié pour que, lorsqu'il y a un accident dans un secteur, finalement, les autres prennent le relais.
D'autre part, il y a un volet indispensable aujourd'hui, c'est l'investissement dans l'enseignement supérieur. L'industrie de demain aura besoin de plus de valeur ajoutée, et de plus de compétences. Il faut donc rapprocher les lieux de formation et d'enseignement supérieur.
Quels sont les freins à ce développement ?
Un département comme la Saône-et-Loire, en termes démographique, a des perspectives qui peuvent paraître inquiétantes si rien n'est fait. C'est un département qui est plutôt vieillissant. Premièrement, face à ce constat, nous devons tout mettre en œuvre pour accueillir les entreprises car cela amène aussi des ménages. Deuxièmement, il faut investir dans l'enseignement supérieur pour garder nos jeunes. Et pour en faire venir.
Et puis troisièmement, avoir des services publics qui répondent aux familles. Le Grand Chalon, sous le précédent mandat, a continué à mettre en place une politique très volontariste en matière de développement de l'offre de la petite enfance. Nous avons investi entre 2015 et 2025 à peu près 1 million d'euros par an sur l'offre petite enfance.
En quoi « la réindustrialisation est la seule alternative possible » pour notre pays ?
Ce pays a à nouveau besoin de croire en lui-même, et a un nouveau besoin d'avoir un projet collectif rassembleur, positif et qui le tire vers le haut. Les Français ont bien vu, qu'avec la crise COVID, la désindustrialisation était une catastrophe. La réindustrialisation du pays, c'est à la fois un objectif économique, un objectif de création de richesse et d'aménagement du territoire. Et c'est enfin, un vrai enjeu de cohésion nationale. La réindustrialisation permettra à nouveau de créer de la valeur sur notre territoire, de créer de la richesse, d'avoir des niveaux de rémunération plus intéressants et d'avoir une vraie dynamique positive pour ce pays. C'est pour cela qu'il faut un grand récit national. Il faut emmener tout le monde : les élus et la population. La réindustrialisation, c'est la clé de beaucoup de nos difficultés.
Et vous êtes également pour une décentralisation constructive. Alors en quoi le fait d'avoir un État accompagnant plutôt que décideur est-il bénéfique pour les territoires ?
L'État doit envoyer un signal fort de ce grand récit national autour de l'industrie, en s'adressant à la fois aux présidents d'intercommunalités, aux maires, aux concitoyens. J'attends de l'État qu'il emmène tout le monde et qu'il nous donne les moyens de le faire. Après, nous qui connaissons nos territoires, nous saurons aller chercher les fonciers, reconfigurer les friches, faire les études environnementales, les études quatre saisons, les études archéologiques. Certes, ces démarches coûtent de l'argent. Pour SaôneOr, nous avons dû dépenser 250.000 euros mais finalement ce n'est pas si important, par rapport au retour sur investissement. Aujourd'hui, dans la majorité des dossiers que nous avons, être site industriel clé en main, c'est une condition essentielle. Sinon, il y a trop d'incertitudes pour une entreprise à s'installer. Par exemple, pour Vicky Food, il ne leur restait plus que le permis de construire et l'étude ICPE (installation classée au titre de la protection de l'environnement) à réaliser.
J'ai dit à Bruno Le Maire qu'il fallait à nouveau un plan massif de sites industriels clés en main, pour que lorsqu'un projet arrive de l'étranger, Business France, puisse tout de suite l'orienter vers le foncier le plus intéressant en termes d'offre de services, de raccordement routier, etc... Il nous faut un catalogue des sites industriels clés en main sur tout le territoire national.
Comment est-ce que Chalon se prépare à la quatrième révolution industrielle ?
À travers le projet de l'Usinerie (cf article La Tribune), l'idée est vraiment de proposer deux choses. À la fois, un vrai parcours d'enseignement supérieur allant du bac jusqu'au doctorat, autour de la thématique de l'industrie du futur, avec une licence numérique qui est proposée par le CNAM, qui peut basculer sur un master 1, et un master 2 proposé par l'Ensam, auquel s'ajoutent des licences proposées par l'UIM, ainsi que deux formations en IUT « science et génie des matériaux » et « génie industriel et maintenance ». Sans oublier, un titre d'ingénieur « intelligence artificielle et Big data » qui est une union entre UIMM, le Cnam et l'Ensam. C'est une filière de formation autour de l'industrie du futur.
Et puis, la société d'économie mixte (SEM), Usinerie Partners, est là pour accompagner les entreprises dans leur projet de digitalisation qui peut aller du simple ERP, c'est-à-dire un logiciel qui gère tout votre process, aux robots, jusqu'à la réalité augmentée. Nous avons une dizaine d'entreprises qui sont accompagnées par l'Usinerie Partners sur des projets de digitalisation. L'idée est de créer un vrai pôle ressources pour permettre aux PME/PMI et même aussi aux représentants des grands groupes d'être accompagnés dans cette révolution industrielle qui est le digital.