LA TRIBUNE - Quelles sont les répercussions de la pandémie sur la pauvreté chez les jeunes ?
NICOLAS DUVOUX - La pandémie a provoqué une très forte aggravation de la situation des jeunes. Beaucoup d'entre eux ont subi une baisse importante de leurs ressources comme les petits boulots déclarés ou non. L'isolement chez les jeunes est particulièrement mal vécu. Ces phénomènes ont entraîné des difficultés matérielles, financières, sociales et relationnelles. Ces problèmes peuvent s'observer à travers les aides accordées par les Crous, les universités notamment en matière d'aide alimentaire.
Quelle était leur situation avant la crise ?
La crise a mis en lumière un phénomène de rajeunissement de la pauvreté. Entre la fin de la Seconde guerre mondiale et jusqu'aux années 70 dans la plupart des économies développées, la pauvreté concernait principalement des personnes âgées. Les systèmes de retraite ont permis de sortir ces personnes de la pauvreté progressivement. A partir des années 70-80, sous l'effet du chômage, il y a eu un déplacement de la pauvreté. Elle s'est concentrée sur les jeunes d'âge actif et leurs enfants, en particulier les familles monoparentales. La crise a aggravé une situation déjà très défavorable aux jeunes.
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Des syndicats, associations et partis politiques appellent à une extension du RSA aux jeunes de moins de 25 ans. Le gouvernement et une grande partie de la droite s'y opposent. Comment expliquez-vous un tel refus ?
Les minimas sociaux comme le RSA et son prédécesseur le RMI reposent sur des barrières d'âge. Derrière ce refus, il y a une crainte et des suspicions à l'égard du comportement des jeunes. Les opposants avancent souvent l'argument de l'assistanat. Il y a clairement des enjeux politiques, qui témoignent de l'ampleur des préjugés envers les pauvres, soupçonnés de profiter du système, préjugés particulièrement marqués à l'égard des jeunes. Il ne faut pas sous-estimer non plus les enjeux d'une ouverture du RSA à 18 ans, celui-ci renforcerait le basculement - déjà largement engagé - d'un système de protection sociale à dominante assurantielle (la protection est issue de la participation au marché du travail à travers les cotisations sociales) à une logique plus universaliste, centrée sur la citoyenneté. La logique d'une ouverture à 18 ans serait de faire coïncider citoyenneté politique et sociale.
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Le RSA et les minimas sociaux ont-ils un effet désincitatif sur le travail ?
Je ne pense pas. Il y a une incompréhension de la situation vécue par ces personnes qui touchent les minimas sociaux. Par exemple, les allocataires du RSA peuvent être perçus comme une population très homogène. En réalité, un tiers des allocataires en sortent chaque année environ. Le souhait fondamental de la majorité des gens est de pouvoir travailler et de gagner leur vie par leurs propres moyens. En outre, ils sont soumis à des injonctions paradoxales. On leur demande d'aller chercher du travail et en même temps, les aides pour le faire sont limitées et les emplois encore plus, surtout en période de crise. Le système est conçu pour prévoir des "pénalités" à la reprise d'emploi. Avec le mécanisme de la déclaration trimestrielle de ressources dans le cadre d'une prestation différentielle (le montant du RSA est un plancher), les revenus issus des minimas sociaux d'une personne qui travaille à temps partiel vont être amputés au trimestre suivant. Les prestations sont une aide indispensable et un atout pour travailler plus tard. Ces faits sont mis en avant dans de nombreuses études et soutenus par la récente prix Nobel Esther Duflo.
Quels seraient les leviers pour financer un tel dispositif ?
Beaucoup de propositions ont émané sur le financement d'une telle extension du RSA ou la mise en œuvre d'un revenu garanti pour les jeunes. L'économiste Thomas Piketty a fait une proposition sur la fiscalité des successions. La France fait un blocage pour plusieurs raisons. Le mécanisme du quotient familial permet de réduire la fiscalité des parents d'enfants âgés de moins de 25 ans. Il y a un choix à faire entre des aides directes aux individus et des aides indirectes qui passent par la solidarité familiale. Il y a un enjeu de financement et de choix d'instruments. La redistribution à travers le quotient familial va toucher des familles assujetties à l'impôt sur le revenu. La mise en place d'un tel instrument (le RSA à 18 ans) signifie qu'il favoriserait d'abord les catégories modestes avant les classes moyennes. Derrière cette question, il s'agit de réfléchir à la population ciblée.
Quel regard portez-vous sur la garantie jeune annoncée par le gouvernement ?
La Garantie jeune est une mesure utile. Elle a contribué à combler un déficit qui devenait béant dans la société française. Elle existait déjà avant. Simplement, ce dispositif est contingenté. Ce n'est pas un droit ouvert comme le RSA. Il y a là une différence fondamentale entre un dispositif et un droit. En renforçant la Garantie jeune, le gouvernement gonfle les voiles des dispositifs où le revenu est lié à un accompagnement collectif spécifique. Un autre problème est que la Garantie jeune est un dispositif temporaire, alors que la crise - et les situations difficiles - risquent de s'installer dans la durée.
Les aides ponctuelles vous paraissent-elles à la hauteur ?
Ces aides sont importantes pour les gens qui les touchent. En revanche, et comme indiqué précédemment au sujet des aides aux jeunes, il y a un hiatus entre le caractère structurel de la crise et la logique d'une réponse ponctuelle. La crise est amenée à durer. Il y a un décalage entre le montant des prestations et les besoins des jeunes.
Pourquoi la France est-elle l'un des derniers pays à ne pas vouloir accorder des minimas sociaux aux jeunes ?
Le familialisme demeure très puissant en France. L'idée que la famille soit considérée comme un cocon protecteur pour les jeunes jusqu'à un âge avancé reste très structurante dans la société française. Le problème est que cette idée est prise en défaut par la réalité sociale vécue par de nombreux jeunes qui n'ont pas accès à cette solidarité familiale qui leur permet de construire leur vie sereinement. L'autre difficulté est que cette résistance française apparaît comme une exception de moins en moins justifiable. La France est vraiment en retard sur cette question. Le risque est que cette crise se transforme en occasion manquée si le débat politique se ferme.
Vous êtes président du comité scientifique du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Quel est le rôle de cette organisation ?
Le Conseil a été mandaté pour contribuer à l'amélioration de la connaissance de la pauvreté par le Premier ministre. L'idée est d'actualiser cette connaissance de la pauvreté dans notre société alors que les indicateurs usuels (tels que le seuil de pauvreté à 60% du niveau de vie médian des ménages) pourraient être mis en défaut par la crise : si le niveau de vie médian baissait, le taux de pauvreté baisserait alors que la société se paupérise massivement. Il faut travailler avec une pluralité d'indicateurs et de sources et dans le sens d'une plus grande réactivité. Nous avons reçu une lettre de mission du Premier ministre en janvier pour apporter des éléments qualitatifs à l'étude de l'évolution de la pauvreté et nous travaillons actuellement sur ce thème.