Infertilité : les ressorts d’un tabou masculin

On parle peu des hommes confrontés à l’impossibilité de procréer. Et ceux-ci répugnent à évoquer ce sujet douloureux. Émilie raconte l’histoire de son conjoint. Témoignage.
L'infertilité chez les hommes : un sujet tabou ?
L'infertilité chez les hommes : un sujet tabou ? (Crédits : Quentin Top / Hans Lucas)

Émilie et François* se rencontrent en 2018. Elle a 32 ans ; lui, 34. Ils filent le parfait amour. Elle qui jusqu'alors n'avait jamais vraiment ressenti le besoin de devenir mère a une révélation : c'est lui qui sera le père de ses enfants. D'Aix-en-Provence, le couple déménage en région parisienne pour se rapprocher de la famille d'Émilie.

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Printemps 2020. La première vague de Covid-19 a frappé la France. Les deux jeunes gens se lancent dans le projet de fonder une famille. Les semaines passent. Puis les mois. Un an après, toujours rien. L'assistante sociale en centre d'hébergement n'est pas très patiente : « On est allés voir un spécialiste presque un an jour pour jour après avoir commencé à essayer de manière naturelle. »

En avril 2021, le couperet tombe : François souffre d'infertilité. Son spermogramme (examen du nombre et de la qualité des spermatozoïdes) est « assez impressionnant », se souvient sa compagne. Morphologie, mobilité, nombre... Un tiercé perdant.

Une étude publiée en novembre 2022 dans la revue scientifique Human Reproduction a permis de mettre en lumière l'infertilité spécifiquement masculine. Elle affirme que, en cinquante ans, le taux de spermatozoïdes chez l'homme a chuté de moitié au niveau mondial.

Émilie a 35 ans quand on lui annonce l'infertilité de François, alors âgé de 37 ans. « Je me souviens que je suis allée au rendez-vous toute seule parce que, comme François est mécanicien de chantier itinérant, il était en déplacement, évoquet-elle. Le médecin n'y est pas allé par quatre chemins, il m'a carrément dit qu'il n'allait pas nous faire perdre de temps vu notre âge et qu'on allait passer en FIV [fécondation in vitro]. On a appris l'infertilité de François en avril 2021. Le mois de juillet qui suivait, on avait notre première FIV. » Cette première tentative se révéla vaine.

Quels hommes consultent un andrologue ? Combien réfléchissent à leur horloge biologique ?

Virginie Rio (collectif Bamp !)

En novembre, le couple tente un deuxième transfert d'embryon. Une dizaine de jours plus tard, Émilie est enceinte. Toutefois, début 2022, après deux mois et demi, une échographie révèle que l'embryon ne s'est pas développé. La jeune femme fait sa première fausse couche.

Après des complications dues à celle-ci, il faudra que le couple attende plusieurs mois avant de réessayer. Émilie fait une deuxième fausse couche à la troisième tentative. Ce n'est qu'après le quatrième essai que le couple éprouve la joie tant attendue en apprenant que la grossesse est viable. « On a vraiment subi deux ans de montagnes russes émotionnelles, entre le stress des prélèvements et des transferts, l'espoir que la prochaine tentative fonctionne, la joie des grossesses et la chute vertigineuse après les fausses couches, confie-t-elle. Ça nous a fragilisés autant que ça nous a renforcés. » Aujourd'hui, Émilie est enceinte de cinq mois.

Car, oui, l'infertilité marque fortement le quotidien d'un couple, et hommes et femmes ne réagissent pas à l'identique face à un tel obstacle. C'est ce qu'explique Virginie Rio, cofondatrice du collectif Bamp !, qui depuis dix ans tente de sensibiliser la population aux problèmes d'infertilité et de venir en aide aux victimes de ce trouble : « On a beau s'adresser aux femmes et aux hommes, la grande majorité des entretiens que l'on mène pour des cas d'infertilité se font avec les femmes, même si leur conjoint est à côté d'elles. On parle d'environ neuf cas sur dix. » Celle qui a aussi dû suivre un parcours d'aide à la procréation il y a quelques années poursuit : « Les femmes sont éduquées dès le début de l'adolescence aux différents éléments qui pourraient, à terme, impacter leur maternité. Et dès lors, elles sont rappelées tous les mois à leur féminité et consultent régulièrement des spécialistes. Les hommes n'ont pas de relation similaire à leur masculinité. Quels hommes consultent un andrologue ? Combien réfléchissent à leur horloge biologique ? Très peu, une grande minorité. » Émilie a vécu ce détachement de la part de François. « Quand on a appris que le problème venait de son corps, il s'est renfermé sur lui-même. Il n'était déjà pas du genre à s'épancher, mais après la nouvelle, ça a été pire. Moi, c'était le contraire, j'en ai beaucoup parlé, surtout à mes proches, j'en avais besoin. Lui, très peu, voire pas du tout. » Elle souligne : « François a toujours voulu être père. Alors savoir qu'on aurait du mal à avoir des enfants, me voir allongée lors des prélèvements d'ovocytes, apprendre que des amis attendaient leur premier ou leur deuxième enfant, ça l'a beaucoup touché. Il m'a déjà dit que c'était lui le problème, de toute façon, et ça montrait, à mon sens, qu'il ressentait vraiment la responsabilité de ce qui nous arrivait. »

La recherche sur les causes de l'infertilité masculine ne progresse pas. Un gynécologue de la clinique de Bordeaux Nord explique : « Entre il y a cinquante ans et aujourd'hui, on n'en sait pas beaucoup plus sur les causes d'infertilité, surtout masculine. On observe un contentement général dû au relatif succès de l'insémination artificielle. Pourquoi dépenser dans la recherche quand on peut se contenter de réparer les problèmes avec l'aide médicale à la procréation ? C'est pratique de fermer les yeux. » Émilie ajoute : « Ils ont juste fait un examen pour vérifier si le problème n'était pas mécanique dans les testicules et puis c'est tout. Encore aujourd'hui, on ne sait pas pourquoi François a cette pathologie. » Elle conclut : « Je pense que, même s'il ne m'en parle pas, ça le ronge. Il a une colère sourde en lui, à savoir : pourquoi nous et pas les autres ? »

* Le prénom a été modifié.

Commentaires 5
à écrit le 23/01/2024 à 10:00
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Les femmes française (voir occidentale) ne sont plus productives car esclaves de leurs images et de vie fantasmée que l'on leur vends à longueur de journée . Elle peuvent raconter ce qu'elle veulent, elles sont les bon petit soldat du capitalisme et...

à écrit le 23/01/2024 à 9:47
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Moi? Je voudrais bien, mais Il ou ELLE veut pas!... A rapprocher de l'indice de morosité générale... allo! L'INSEE?

à écrit le 21/01/2024 à 9:51
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Il faut voir le problème dans sa globalité. Si un couple ne peut pas avoir d'enfants, un autre en aura un de plus pour compenser. Il n'y a vraiment aucun souci

le 21/01/2024 à 12:14
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"un autre en aura un de plus pour compenser" ah bon ? Si 50% des hommes sont 'stériles', les autres auront un enfant de plus chacun pour 'compenser' ? Ça sera organisé comment ? :-) Une lettre du Gvt, "vous en avez 2 votre voisin n'en aura jamais, on...

à écrit le 21/01/2024 à 9:01
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Faites un sondage vu que vous vous êtes doté d'un nouve; outil qui va dans ce sens et ensuite vous verrez le nombre de français qui sont "honteux" et ceux qui se disent "génial quelle chance !". Mais vraiment hein, faire des enfants dans ce système d...

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