
LA TRIBUNE - En cette journée internationale des droits des femmes, en quoi votre proposition de loi pour l'égalité économique, fiscale et successorale, entre les femmes et les hommes, s'impose comme une nécessité ?
MARIE-PIERRE RIXAIN - Il m'a semblé qu'un certain nombre d'évolutions était souhaitable. La réalité, c'est que les historiens, tout comme les sociologues et les ethnologues, ont montré que l'argent des femmes ne va pas de soi. Longtemps, le travail des femmes faisait l'objet d'un don, et non pas forcément d'une rémunération. Lorsqu'il a commencé à faire l'objet d'une rémunération, c'était parfois une rémunération à la tâche, et non pas à la journée, à la semaine ou au mois, comme cela pouvait déjà l'être pour les hommes. Aujourd'hui encore, le revenu des femmes est encore considéré comme un revenu d'appoint, un revenu secondaire, voire un revenu qui est soumis à questionnement et à négociation à l'intérieur du couple. Il faut que les femmes soient aujourd'hui considérées comme des sujets économiques autonomes.
Dans cette optique, vous proposez que le taux d'imposition soit individualisé par défaut au sein du couple. Elisabeth Borne a fait savoir qu'elle reprend cette mesure pour une application dans le courant de l'année 2025. Concrètement, quel serait le gain pour les femmes ?
L'individualisation de l'imposition a un impact immédiat sur le revenu des femmes, sur leur pouvoir d'achat et leur capacité d'épargne. Plus concrètement, on peut prendre l'exemple d'un couple, où la femme gagne 2.000 euros net par mois et l'homme perçoit une rémunération de 4.000 euros net par mois. Le taux marginal d'imposition commun du couple s'élève à 5%. S'il y a un taux individualisé, Madame ne sera pas imposée, tandis que Monsieur sera prélevé à hauteur de 7,5% de ses revenus.
Si on prend maintenant l'exemple d'un couple dont l'épouse gagne 1.500 euros, et le conjoint 7.000 euros par mois. Le taux conjugalisé s'établit à 14,4%. Si on passe à un taux conjugalisé, l'homme passe à 15,5% et la femme passe à 0%. C'est un gain considérable.
Cette mesure a également un impact aussi à l'échelle macroéconomique, puisqu'elle incite les femmes à entrer dans la vie active. A l'échelle européenne, on a vu que des pays du Nord, par exemple, avaient mis en place l'individualisation de l'impôt très tôt, parce que c'était l'une des garanties pour inciter les femmes à intégrer le marché du travail.
Avec l'établissement d'un taux d'imposition individualisé par défaut, la suite logique est-elle, à terme, que chacun des conjoints remplisse une déclaration de revenus, et non une déclaration commune ?
Cela sera un autre chantier. Il ne peut faire l'objet d'une proposition de loi, car une telle mesure implique également des réflexions fiscales plus poussées sur le quotient conjugal, les parts et demi-parts, etc... De manière à ce qu'il n'y ait pas de perdant.
Vous souhaitez également réduire les inégalités économiques causées par un divorce, comment ?
Les prestations compensatoires sont un capital accordé au revenu le moins élevé à l'intérieur du couple, pour réparer les inégalités économiques au moment de la vie conjugale. Ce capital peut être délivré selon des tempos différents, en fonction de la trésorerie de la personne chargée de le verser. Si le capital est versé dans les douze mois, la personne qui l'octroie, dans la plupart des cas un homme, bénéficie d'un crédit d'impôt. Si ce capital est délivré au-delà de 12 mois, le régime fiscal change : il bénéficie d'une déduction fiscale, tandis que la femme, elle, est fiscalisée en retour. Ce qui est injuste, c'est que le capital, lui, reste le même, mais selon les modalités de versement du capital, bien souvent choisies par le débiteur, il sera imposé ou non par celui ou celle qui le reçoit. Je pense qu'il faut mettre en place un régime fiscal unique.
Après un divorce, les conjoints restent solidaires, durant trois ans, des dettes fiscales. Comment faire en sorte que les femmes divorcées n'en fassent pas les frais ?
L'une des mesures de la proposition de loi est destinée à faciliter le mécanisme de décharge de solidarité. Aujourd'hui, la décharge de solidarité peut être motivée par deux éléments. Dans un premier temps, l'administration fiscale va regarder le montant de la dette et les capacités financières de remboursement. Sur ce critère, je dirai que c'est à peu près bon, car, dans un précédent texte, j'ai réussi à réduire de dix à trois ans le délai sur lequel cette dette pouvait être remboursée. Souvent, les femmes sont de facto déchargées. En revanche, le patrimoine est pris en compte. Ce n'est pas juste. Je propose donc la suppression du critère de « disproportion marquée », permettant de bénéficier de la décharge de solidarité.
Vous souhaitez également revoir le mécanisme de plafonnement des niches fiscales, aujourd'hui fixé à 10.000 euros, pour le porter à 18.000 euros. Pourquoi ?
Aujourd'hui, on met en concurrence l'investissement dans l'économie réelle, et la garde des enfants (qui fait l'objet d'un crédit d'impôt de 50% des dépenses engagées dans la limite de 3.500 euros par enfant, pour les frais de garde des enfants de moins de 6 ans, NDLR). Cette situation est ubuesque : une très grande majorité des familles monoparentales sont des femmes. Une femme qui aurait l'essentiel de la garde des enfants à sa charge voit ses perspectives d'investir dans l'économie réelle restreintes.
Propos recueillis par Pauline Chateau
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