Épargne, placements, investissements : quel est le rapport des femmes à l'argent ?

Les femmes qui le peuvent épargnent-elles de la même façon que les hommes ? Préfèrent-elles les placements ou les investissements ? À court terme ou à long terme ? Privilégient-elles les causes à impact social ou environnemental ? Alors que le projet de réforme des retraites met en lumière les inégalités femmes-hommes sur le niveau de salaire et de pension des femmes, La Tribune a enquêté sur leur rapport à l’argent.
45 % des femmes seulement à avoir entendu parler d'actions ou d'obligations.
45 % des femmes seulement à avoir entendu parler d'actions ou d'obligations. (Crédits : DR)

Le débat sur la réforme des retraites aurait-il un angle mort ? La pénibilité, plus souvent observée par le prisme des métiers d'hommes que de femmes ? Certes. Mais il en est un autre. Le rapport des femmes à l'argent. Elles travaillent, pourtant : en 2020, 68 % des femmes étaient actives (contre 53 % en 1975, selon l'Insee). Et réussissent dans leurs études : celles de 25 à 34 ans étaient, à 53 %, diplômées du supérieur (contre 46 % des hommes). Mais elles choisissent encore, en grande majorité, des carrières - dans l'éducation ou le paramédical - moins rémunératrices, alors que les hommes se dirigent, à 71 %, vers des métiers d'ingénieurs...

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Et si certaines préfèrent le temps partiel, souvent pour s'occuper des enfants, d'autres le subissent. Tout cela explique qu'en 2019, les femmes gagnaient encore 22 % de moins que les hommes, notamment du fait qu'elles sont, pour 30 % d'entre elles, à temps partiel, selon l'Insee. Une injustice amplifiée à la retraite et qui les pénalise lourdement. De fait, selon les statistiques officielles, en 2019, la pension de droit direct des femmes était en moyenne inférieure de 40,5 % à celle des hommes. Une fois prise en compte la pension de réversion, sur l'ensemble des retraités, l'écart est encore de 29,8 %, précise la direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques (Drees).

Avec une capacité à épargner moindre, il est logique que, selon un sondage Odoxa pour Groupama de 2021, les femmes soient souvent plus inquiètes que les hommes face à la retraite - et pour cause, 43 % des Françaises connaissent (ou ont connu) une situation de fragilité. Mais cela n'explique pas tout.

« Les femmes n'ont acquis le droit de travailler et d'ouvrir un compte bancaire sans l'accord préalable de leur mari qu'en 1965 », relève Sibylle Le Maire, fondatrice de ViveS, un média digital du groupe Bayard qui explore le rapport des femmes à l'économie, au travail et à l'argent, avec une newsletter hebdomadaire et le podcast « Osons l'oseille ».

Et s'il existe bien une nouvelle génération de femmes, les aspects culturels restent très prégnants. » Dans un sondage Ifop pour ViveS avec La Financière de l'Echiquier et Boursorama Banque, mené en juin 2022 auprès de 1.000 femmes sur leur rapport à l'argent, certaines données sont révélatrices. Non seulement les Français dans leur ensemble répugnent à parler d'argent, même en famille, même entre amis, mais malgré leurs avancées sur le plan du travail et leur relative autonomie financière, les femmes ont encore du mal à le faire avec leur partenaire : si les plus de 35 ans ne sont que la moitié à souvent évoquer le sujet, les moins de 35 ans sont à peine au dessus, à 56 %. Et quel que soit leur âge, les femmes ne sont que 38 % à dire qu'elles connaissent « à peu près » le montant de l'épargne et des placements financiers du couple. En outre, elles sont, et, là encore, quel que soit leur âge, 45 % seulement à avoir entendu parler d'actions ou d'obligations... Pas étonnant qu'elles ne soient que 16 % à en détenir, tandis que 12 % ont un PEA et 15 % un compte épargne retraite.

« Les statistiques sont peu claires, relève toutefois Philippe Crevel, directeur général du Cercle de l'Epargne. En cas de compte joint ou de patrimoine partagé, même l'Insee a du mal à identifier la répartition de l'épargne dans un couple. » Cela dit, selon les chiffres du Cercle, 34 % des femmes n'épargnent pas, alors que les hommes ne sont que 26 %...

Gestion quotidienne

Pourtant, 33 % des femmes consultent le solde de leur compte bancaire une fois par jour, selon le sondage Ifop pour ViveS Media. Car ce sont elles qui, aujourd'hui, à 70%, comme par le passé, gèrent le quotidien financier de la famille.

« De ce fait, en matière d'épargne, elles ont tendance à privilégier les placements à court terme et laissent aux hommes le soin des investissements à long terme qui assurent l'avenir », relève Philippe Crevel. En somme, « elles économisent l'argent tandis que les hommes 'font' de l'argent », résume Sibylle Le Maire.

Pis, toujours pour des raisons culturelles, les femmes ont également tendance à se sacrifier. Ainsi, à la question, « vous recevez une grosse somme d'argent inattendue, que faites- vous ? », posée par le sondage Ifop-ViveS, seules 3 % déclarent qu'elles la dépenseraient pour des « choses utiles » (santé, bien-être, formation) » pour elles, tandis que 18 % la consacreraient « pour le foyer (aménagement maison, vacances, voiture, loisirs...) »... « L'association entre argent et plaisir individuel n'est en général pas faite chez les femmes », soupire ainsi Sibylle Le Maire.

Une cagnotte pour l'économie durable

En outre, non seulement les femmes épargnent moins que les hommes du fait de leurs moindres revenus ou de leur inclinaison à les dépenser pour la famille, mais « en plus, l'épargne seule est peu rentable », souligne de son côté Paloma Castro, présidente de Ryse, un label créé pour certifier les acteurs financiers plus inclusifs vis-à-vis des femmes. Mieux vaudrait donc qu'elles investissent - comme les hommes...Or « les femmes sont moins enclines que les hommes à prendre ce qu'elles perçoivent comme des risques. Et elles semblent moins conscientes des opportunités que les hommes », enchaîne-t-elle. Comment, alors, faire en sorte que les femmes investissent ? D'autant que, dans une étude européenne réalisée en janvier 2021 par Kantar pour J.P. Morgan Asset Management, la banque chiffre, pour la France, le potentiel de croissance des investissements des femmes de 30 à 60 ans à 31 milliards d'euros, du fait que, parmi celles qui envisageraient d'investir, 29 % de leur épargne serait susceptible de l'être, selon l'enquête.

Autant de liquidités qui viendraient irriguer l'économie réelle. Et « comme elles investissent de préférence dans des causes à plus fort impact social et environnemental, cet argent servirait à la transformation essentielle de notre société », renchérit Paloma Castro. De fait, selon l'enquête Kantar, 41 % des femmes qui souhaitent investir ne veulent le faire que dans des entreprises durables. ViveS a aussi mené l'enquête avec l'association Femmes Business Angel : parmi les femmes interrogées, plus de 9 sur 10 seraient enclines à investir dans des projets ayant un impact durable, social ou environnemental. Elles sont aussi plus de 9 sur 10 à considérer les caractéristiques humaines de l'entreprise ou de l'entrepreneur comme importantes. Enfin, près de 9 sur 10 favoriseraient des projets portés par des femmes, et ce, devant les critères d'innovation technique ou technologique.

Attentes féminines

Reste donc à provoquer le déclic, pour accélérer la transition sociale et environnementale dont la société a besoin. D'abord en parlant aux femmes différemment. Mais pas question, alors qu'elles sont peu enclines à prendre des risques, de leur faire miroiter des rendements élevés et faciles ! La réglementation s'y oppose, de toute façon. Pas question non plus d'être trop technique...

« Les femmes préfèrent qu'on leur parle de moments de vie, des études des enfants à financer, de la retraite, assure Paloma Castro.

Charge aux institutions bancaires d'adapter leur discours, d'être plus concrètes et plus transparentes sur leurs produits. Or nombre de banques ne font même pas d'étude clientèle ! » Grâce à la féminisation dans les institutions financières - à la direction ou au marketing -, « les choses commencent à changer, indique toutefois Philippe Crevel. Et les attentes des femmes sont davantage prises en compte, de même que le marketing de certains produits fuit les clichés ». Initiatives concernant l'égalité au travail, plus grande pédagogie, actions bancaires plus ciblées... L'objectif de transformer les femmes en investisseuses n'est pas encore atteint, mais il avance...

Commentaires 3
à écrit le 27/01/2023 à 14:17
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C'est une question marketing qui voudrait croire et faire croire ! ;-)

à écrit le 27/01/2023 à 11:55
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Les lobbyistes savent fort bien la destination de l'argent gagné... La même règle pour tous les pays du monde y compris les pays émergents... Il me semble que l'industrie du luxe se porte à merveille. Cela dit je n'oublie pas celles qui élèvent se...

à écrit le 27/01/2023 à 11:39
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Ici en Asie les choses sont plus apaisees L'homme en principe gagne les pepettes et chaque mois repasse la monnaie a bobonne. Ca c'etait avant. Desormais pour clarifier la situation si possible tout le monde bosse et la mitraille est mise sur un com...

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