Les effets de la pandémie ne cessent de s'amplifier. Selon la dernière livraison de l'Insee rendue publique ce vendredi 7 août, l'emploi salarié a reculé de 0,6% au cours du second trimestre sur la période où les mesures de confinement ont été les plus drastiques. Ce qui correspond à environ 119.400 destructions de postes. À cela s'ajoutent les 497.500 postes du trimestre précédent. Au total, près de 620.000 postes ont été détruits dans le secteur privé au cours du premier semestre.
Depuis le printemps, de grands groupes (Airbus, Renault, Michelin) ont annoncé des suppressions de postes et parfois des fermetures de sites. Ces décisions vont avoir des répercussions désastreuses sur l'emploi local avec des sous-traitants et des fournisseurs directement frappés par cette récession historique.
Si les mesures de chômage partiel ont permis de préserver le revenu d'une bonne partie de la population active durant les huit semaines de confinement, la levée progressive des mesures d'endiguement et la moindre prise en charge de l'activité partielle par la collectivité (État et Unédic) depuis le début de l'été devraient mettre en lumière les conséquences abyssales de la récession sur le marché du travail. Or l'emploi reste un facteur déterminant pour la reprise économique. Dans une récente étude du cabinet Xerfi, l'économiste Olivier Passet soulignait cet enjeu.
"L'emploi demeure le talon d'Achille du processus de récupération de l'économie. L'ajustement s'est concentré sur l'intérim et les CDD courts (-700.000 durant le confinement). Le recours au chômage partiel et l'extension probable du dispositif après septembre permettent aux entreprises d'amortir l'ajustement des CDI. La sortie du dispositif s'opère graduellement, protégeant encore les personnes en sureffectif. Mais l'emploi va devenir une variable d'ajustement inévitable, contribuant à l'impossible retour rapide de l'économie à son niveau initial. Nous prévoyons 900.000 destructions d'emplois salariés d'ici la fin de l'année et une stabilisation en 2021."
Un effondrement inédit en 50 ans
Le choc économique provoqué par la pandémie donne le vertige aux économistes du travail. Selon les statisticiens de l'organisme public, la baisse de 3,4% de l'emploi salarié entre janvier et juin est inédite depuis le début de ces mesures en 1970. "À titre de comparaison, au coeur de la crise économique de 2008/2009, l'emploi salarié marchand non agricole avait baissé de 1,7 % entre septembre 2008 et mars 2009", indique l'Insee. Cette baisse multipliée par deux traduit l'effondrement économique en cours alors que la propagation du virus repart à la hausse dans certains départements (Mayenne, zones touristiques).
Une baisse inquiétante dans les services
Le tableau de l'emploi dressé par les services de l'Insee est inquiétant. En effet, la plus forte chute au cours du premier semestre concerne les activités marchandes avec une baisse de 3,5%. Au final, plus de 432.500 postes ont été détruits dans les services alors que le poids de ce secteur dans l'économie tricolore est très important. Dans les services non-marchands, la baisse est légèrement moins prononcée (-1,2%).
Du côté de l'industrie, les statistiques donnent également le tournis. Plus de 35.200 emplois ont été détruits (-1,1%) alors que l'appareil productif français était déjà dans une situation préoccupante depuis des décennies. La désindustrialisation de l'économie tricolore, les délocalisations dans les pays à bas coût, les choix de politique économique ont plongé le Made in France dans une profonde léthargie. La récession en cours devrait faire encore des ravages dans l'emploi industriel déjà affaibli.
Dans l'agriculture, la baisse est également comparable à celle de l'industrie (-1,1%) sur l'ensemble du semestre avec 3.100 emplois en moins. Là encore, les dégâts du coronavirus sur l'agriculture tricolore risquent de laisser des séquelles durables alors que le secteur ne cesse de traverser des difficultés.
L'intérim plonge
L'emploi intérimaire, qui sert souvent de variable d'ajustement lors des fortes variations d'activité, a également subi les conséquences terribles de la propagation du virus sur le territoire. La fermeture administrative de nombreux établissements à la mi-mars a provoqué une mise à l'arrêt complète de secteurs très demandeurs d'emploi temporaire (restauration, brasserie...).
L'intérim a dans un premier temps enregistré une chute brutale et soudaine de l'emploi au cours du premier trimestre (-40,4%) avant de rebondir entre avril et juin (+23,1%). Là encore, le rebond du second trimestre est loin d'avoir effacé les pertes du premier trimestre avec au final plus de 214.000 emplois détruits. Surtout, l'ajustement qui s'est opéré sur l'emploi temporaire et les CDD au premier semestre, pourrait s'étendre sur les emplois en CDI à l'avenir. Ce qui aurait des conséquences importantes sur le marché du travail.
La construction s'en sort mieux
Après avoir connu de nombreux déboires au moment du confinement, le secteur de la construction et du bâtiment retrouve des couleurs. Selon les chiffres de l'institut basé à Montrouge, le secteur a créé environ 20.200 emplois sur les six premiers mois de l'année. L'emploi a ainsi augmenté de 1,4% sur cette période. C'est d'ailleurs le seul secteur à connaître une hausse au cours du second trimestre. "Il retrouve donc pratiquement son niveau d'avant-crise", indiquent les économistes.
La crainte d'une récession durable
La multiplication des plans sociaux et des fermetures de sites assombrissent les perspectives d'une reprise rapide en forme de V. La plupart des économistes ont révisé à la baisse leurs prévisions de croissance depuis le printemps. Au mois de mars, le gouvernement, qui a mis en place des mesures de chômage partiel généreuses pour préserver le revenu de la population active et soutenir la consommation des ménages au sortir du confinement, risque d'être déçu.
Pour l'instant, les ménages ont accumulé une épargne importante pendant la période de confinement et devraient privilégier une épargne de précaution dans les mois à venir au regard du contexte d'incertitude qui pèse sur l'emploi. Ce surplus d'épargne est estimé à environ 100 milliards d'euros pour l'année 2020 par la Banque de France. Si les ménages français privilégient encore l'épargne par peur du chômage par exemple, la demande atone risque de plomber les espoirs d'une reprise rapide de l'économie.