"L'Etat doit donner l'envie aux industriels de faire des paris gagnants"

Dans un entretien accordé à La Tribune, Jean Tournoux, le délégué général du Syndicat des machines et technologies de production (Symop) détaille les enjeux de la transformation numérique pour les entreprises industrielles.
"Les entreprises doivent faire face à une très forte volatilité de la demande. Jusqu'à aujourd'hui, la précision et l'excellence de la production étaient les priorités. Aujourd'hui, c'est toujours le cas mais à ces éléments s'ajoute une autre priorité : l'adaptabilité, la flexibilité de l'appareil productif ", explique Jean Tournoux, le délégué général du SYMOP.

LA TRIBUNE - Le secteur français de la machine-outil a cédé une place dans le classement européen entre 2014 et 2015 et se classe désormais huitième. Comment expliquez-vous ce décrochage ?

JEAN TOURNOUX - Plusieurs facteurs expliquent ce déclin, qui a débuté dans les années 80. A la différence des entreprises italiennes, les entreprises françaises n'ont pas su unir leurs forces pour affronter la concurrence. Sous-dimensionnées, elles n'ont pas pu rivaliser avec l'offre étrangère. Par ailleurs, les ingénieurs de cette époque étaient sans doute moins soucieux du marketing et de la valorisation de leurs produits qu'ils ne le sont aujourd'hui. Ce qui a pu influencer les ventes de machines-outils.

Combien d'entreprises composent ce secteur ?

Il existe une centaine d'entreprises de taille significative. Au total, nous en dénombrons 500 environ. Beaucoup d'entre elles sont des intégrateurs qui assemblent différentes technologies pour créer un produit sur-mesure.

Avec le développement du numérique, la machine-outil made in France peut-elle envisager un avenir plus radieux ?

Je le pense. Mais plusieurs conditions sont requises. Les entreprises doivent faire face à une très forte volatilité de la demande. Jusqu'à aujourd'hui, la précision et l'excellence de la production étaient les priorités. Aujourd'hui, c'est toujours le cas mais à ces éléments s'ajoute une autre priorité : l'adaptabilité, la flexibilité de l'appareil productif.

Pourquoi ce changement ?

Les machines ne tournent pas jour et nuit, sept jours sur sept ! Si les entreprises industrielles veulent voir leur activité progresser, elles ne doivent plus se contenter de faire tourner leurs machines jusqu'à la saturation. Désormais, elles doivent pouvoir répondre à des demandes différentes, s'adapter, faire du sur-mesure et ce dans un laps de temps toujours plus rapide. Le numérique permet cette transformation. Si les entreprises se saisissent de cette question, leurs perspectives seront plus enthousiasmantes. Je pense notamment aux sous-traitants automobiles ou aéronautiques. Avec un appareil de production souple et flexible, ils peuvent sortir du carcan du donneur d'ordre unique. Une crise comparable à celle observée dans la sous-traitance automobile dans les années 90 ne se reproduirait plus.

Que peuvent faire les pouvoirs publics ?

Leur rôle est crucial. Ils doivent donner l'envie aux industriels de faire des paris gagnants. Nous attendons de l'Etat qu'il s'engage fermement, directement en parallèle des politiques régionales, pour soutenir des sujets clés comme le déploiement du numérique dans les PME industrielles. C'est tout le sens du contrat de mandature que nous mettons en avant dans le manifeste SYMOP « France, Terre de production ».

Après le suramortissement, l'industrie du futur, les allègements de charges, que peut faire encore le gouvernement ?

Vous parlez du suramortissement ! C'est une excellente mesure qui a stimulé l'investissement. Elle aurait été plus efficace si les industriels avaient su rapidement qu'elle serait prolongée. Les effets d'aubaine auraient été limités. En Italie, cette mesure a été non seulement copiée mais prévue pour une durée de trois ans. Ainsi, nos concurrents italiens peuvent réfléchir plus sereinement à leur stratégie d'investissement. Ceci montre que la constance dans la politique publique est, pour l'industrie, un point clé.

Vous réclamez donc un environnement plus serein ?

Les 35 heures, les seuils sociaux sont des sujets qui préoccupent au quotidien les chefs d'entreprises. Ils ne peuvent être évacués, c'est une évidence. Mais la priorité est de faire en sorte que l'environnement fiscal, social, réglementaire des industriels soit le plus stable possible, que les incertitudes soient levées.

Certains experts estiment que l'automatisation et le développement du numérique pourraient se traduire par une envolée du nombre de chômeurs. Que leur répondez-vous ?

Je leur rappelle que tout investissement permet d'alléger la quantité de travail nécessaire à la fabrication d'un produit. Moins de temps consacré à la production permet de renforcer la force de vente, le marketing, la recherche et développement. C'est ce que nous démontrons avec le programme Robot Start PME qui, après un audit de leur processus de production actuels, facilite le déploiement de la robotique dans les PME industrielles.

Les entreprises ont-elles conscience de la nécessité d'engager cette transformation numérique ?

Les grandes entreprises n'ont pas attendu que le SYMOP sonne le tocsin. En revanche, dans les PME, ce n'est encore que trop rarement le cas. Dans ces entreprises, c'est le carnet de commandes qui dicte la stratégie d'investissement de l'entreprise alors que ce devrait être l'inverse. C'est à partir de la vision stratégique et commerciale du chef d'entreprise, de la transformation de valeur qu'il souhaite engager que devrait être définie la politique d'investissement.

Vous avez évoqué le rôle des ingénieurs. La formation actuelle prend-t-elle la mesure des enjeux liés au numérique ?

Nos ingénieurs ne sont plus seulement formés à la technique. Leur cursus prend en compte toutes les facettes de la production. En revanche, je ne suis pas sûr que la formation continue pour les 35-50 ans soit au point. Il faut absolument que les effectifs soient sensibilisés aux transformations numériques pour être prêt lorsque l'entreprise aura engagé sa mue.

Commentaires 10
à écrit le 18/11/2016 à 20:25
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« Dans ces entreprises, c'est le carnet de commandes qui dicte la stratégie d'investissement de l'entreprise alors que ce devrait être l'inverse. C'est à partir de la vision stratégique et commerciale du chef d'entreprise, de la transformation de va...

à écrit le 18/11/2016 à 20:22
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« Dans ces entreprises, c'est le carnet de commandes qui dicte la stratégie d'investissement de l'entreprise alors que ce devrait être l'inverse. C'est à partir de la vision stratégique et commerciale du chef d'entreprise, de la transformation de va...

à écrit le 17/11/2016 à 11:50
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Il vaudrait mieux que l’État ne se mêle pas de ce qu'il ne connait pas, ou de ce qu'il ne sait pas gérer. Depuis des décennies on assiste à une espèce de surenchère de promesses politiques sur des sujets économiques ou industriels, pour lesquels s...

à écrit le 17/11/2016 à 11:38
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Arrêtez de parler de cet État impotent qui ne dépend que du bon vouloir de la commission de Bruxelles avec ses jugements de valeur, ses recommandations, ses directives, ses réformes et ses sanctions! Tout cela parce qu'une clique a signé un traité en...

à écrit le 17/11/2016 à 9:44
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"Que l'Etat s'engage fortement" ! Oxymore.

à écrit le 16/11/2016 à 21:49
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Les entreprises doivent surtout avoir un sens civique et citoyen avec les dizaînés de milliards d'euros du cice et baisse de l'is ce serait un minimum plutôt que de boycotter systématiquement le gouvernement parce qu'il est de gauche alors que pourta...

à écrit le 16/11/2016 à 19:32
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Enfin un discours positif à l'opposé de celui de Gattaz et du Medef , c'est à l'entreprise à s'adapter à son environnement commercial et concurrentiel et à l'état d'offrir un environnement fiscal et réglementaire stable .

à écrit le 16/11/2016 à 17:01
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la nouvelle France industrielle, la BPI, les 200 milliards de dérogations fiscales/sociales en faveur des entreprises, etc... c'est quoi ? c'est toujours la faute du bouc émissaire dans ce pays. aux entreprises de faire aimer l'industrie. aux Franc...

le 16/11/2016 à 18:20
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Comme quoi, on ne peut pas parler de tout avec tout le monde... L'article est très pertinent. Il présente fidèlement ce que je peux voir chez les clients et ce que nous vivons nous aussi. Les gains de productivité associés à la robotique peuvent ê...

le 16/11/2016 à 21:08
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Ne confondez pas discours de vente del'état pour s'auto justifier et réalité opérationnelle. La plupart des aides d'état financent malheureusement plus les cabinets d'avocats et les bureaux juridiquede grandes entreprises que les PME. Après, c'est ...

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