L'inflation dépasse les 6% en février : à quoi faut-il s'attendre dans les mois à venir ?

DÉCRYPTAGE. Après avoir encore grimpé à 6,2% en février, l'inflation poussée par l'alimentaire et les services pourrait encore augmenter dans les mois à venir. Le pic n'est pas encore atteint selon certains économistes interrogés par La Tribune. Contrairement à d'autres pays de la zone euro, l'indice des prix tricolore, qui a été maintenu artificiellement bas en 2022, devrait mettre plus de temps à redescendre.
Grégoire Normand
Les prix de l'alimentaire augmentent deux fois plus vite que l'indice général des prix à la consommation.
Les prix de l'alimentaire augmentent deux fois plus vite que l'indice général des prix à la consommation. (Crédits : Reuters)

Les pressions inflationnistes sur l'économie française sont encore loin de retomber. Un an jour pour jour après l'éclatement de la guerre en Ukraine, les voyants sont toujours au rouge. L'indice des prix à la consommation en France a augmenté en février à 6,2% contre 6% en janvier, selon une estimation de l'Insee dévoilée ce mardi 28 février. Cette hausse risque une nouvelle fois de rogner le pouvoir d'achat des ménages et de freiner l'activité des entreprises.

L'Institut de statistiques a notamment confirmé ce mardi son chiffre de 0,1% de croissance du produit intérieur brut (PIB) au quatrième trimestre 2022. Il s'agit du plus mauvais chiffre de croissance de l'année 2022 après le -0,2% du premier trimestre au moment de la guerre en Ukraine. « Le risque d'une récession cet hiver s'éloigne. Néanmoins, de nombreux risques pèsent sur l'économie française pour la suite de l'année », a souligné l'économiste d'ING Charlotte de Montpellier dans une note. À quoi faut-il s'attendre dans les prochains mois sur le front de l'inflation ?

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L'inflation française sur « un plateau », au moins jusqu'en juin

Les économistes de l'Insee ont tenté dans leur dernier point de conjoncture de février de dessiner la courbe de l'indice des prix à la consommation dans les prochains mois. Il pourrait s'agir « d'un plateau » entre janvier et juin, avec un indice des prix passant de 6% à 5%. Les statisticiens expliquent ce léger coup de frein de l'inflation par la forte contribution des prix de l'alimentaire à l'indice général des prix. Cette contribution devance désormais celle des prix de l'énergie, même si le relèvement du bouclier tarifaire depuis le premier février dernier devrait entretenir la dynamique des coûts de l'énergie. « Comme dans les autres pays, l'inflation alimentaire en France continue d'augmenter pour afficher une croissance de 14,5% sur un an en février, contre 13,3% en janvier. Alors que les négociations annuelles entre les grandes surfaces et les fournisseurs de l'industrie agroalimentaires doivent s'achever demain, le premier mars à midi, de nouvelles hausses de prix de l'alimentations sont attendues dans les prochains mois », indique Charlotte de Montpellier.

Face à cette envolée des prix dans l'alimentaire, les Français sont amenés à faire des arbitrages dans leurs habitudes de consommation. « Il y a une traduction directe de cette hausse sur la consommation dans l'alimentaire. Certaines personnes renoncent au bio pour revenir sur du conventionnel ou privilégient les marques de distributeur »,  explique Denis Ferrand, directeur général de l'institut Rexecode interrogé par La Tribune.« On va descendre un peu de ce plateau mais le rythme d'inflation serait autour de 5% », prévoit-il.

Au total, les dernières statistiques du mois de février indiquent que l'inflation « n'a pas atteint son pic »« L'inflation moyenne de 2023 sera probablement plus élevée que celle de 2022. Nous attendons 5,5% sur l'année, et 6,3% pour l'indice harmonisé (au niveau européen), contre respectivement 5,2% et 5,9% en 2022 », projette l'économiste Charlotte de Montpellier. « L'inflation alimentaire va devoir être surveillée dans les semaines à venir [...] L'inflation va refluer d'ici l'été mais elle va diminuer moins vite que dans les autres pays européens. Dans les autres pays, l'inflation diminue en raison d'une baisse des prix de l'énergie. En France, il y a encore une contribution positive de l'énergie à l'inflation », explique-t-elle.

Les prix dans les services et les produits manufacturés à surveiller

Les deux autres points de vigilance mentionnés par l'économiste Denis Ferrand concernent les services et les prix des produits manufacturés. « L'énergie va sans doute moins contribuer à l'inflation dès le mois de mars prochain. Il va y avoir une sortie de l'effet de base par rapport à mars 2022 après le début de la guerre en Ukraine. En mars prochain, il devrait y avoir moins d'inflation qu'en février. En revanche, les dynamiques de l'alimentaire et des services sont à surveiller. Il faut également surveiller les prix des produits manufacturés », déclare-t-il.

En janvier dernier, la consommation en biens des Français a augmenté de 1,5% après un recul de -1,6% en décembre. Ce surprenant rebond de dépenses de consommation des ménages est en « trompe l'œil ». Et il ne s'agit pas forcément d'une bonne nouvelle pour le pouvoir d'achat des ménages. En effet, cette hausse est avant tout insufflée par les prix de l'énergie supportée par les ménages.

« Le chèque énergie mis en œuvre par le gouvernement n'est pas comptabilisé dans la consommation des ménages mais dans la consommation de l'Etat. Depuis le premier janvier, la prise en charge des factures d'énergie par l'Etat est moins importante », souligne Charlotte de Montpellier contactée par La Tribune. « On pouvait s'attendre à une légère hausse de la consommation en janvier après le niveau très bas de décembre, mais cette hausse de janvier est un peu tronquée. C'est aussi un rebond mécanique au regard des chiffres de décembre. Au final, la consommation ne s'est pas écroulée. C'est une stagnation à un niveau assez faible », résume-t-elle.

La poursuite de la hausse des prix en France, un casse-tête pour la BCE

Cette poursuite de l'inflation dans l'Hexagone provoque des sueurs froides dans les couloirs de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. Dans de nombreux pays de la zone euro, l'inflation a déjà commencé à marquer le pas, voire à reculer. Contrairement à de nombreuses économies de l'union monétaire, « le choc a été lissé en France sur 2022 et 2023 », souligne l'économiste. « Pour la Banque centrale européenne, cette situation française est problématique car l'Hexagone est la deuxième économie de la zone euro. La BCE va continuer probablement d'augmenter ses taux au second trimestre après l'annonce de 50 points de base en mars. On peut prévoir une hausse de 25 points de base en mai et 25 points de base en juin », ajoute-t-elle.

Pour certains économistes, cette reprise en main de la politique monétaire par les tenants de l'orthodoxie devrait se poursuivre au regard de la résistance de l'économie européenne. « Notre scénario central est que le pic des taux directeurs de la BCE sera atteint à 3,50% à la mi-2023 », informe l'économiste en chef d'Oddo-BHF Bruno Cavalier dans une récente note. « S'il faut considérer un scénario alternatif, nous dirions qu'il y a plus de chances de voir la BCE poursuivre ses hausses de taux au second semestre qu'il n'y en a de la voir stopper le resserrement monétaire dès le printemps », conclut-il.

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Inflation : les économistes en eaux troubles

La multiplication des crises ces dernières années (pandémie, guerre en Ukraine, crise énergétique, réchauffement climatique) a bouleversé les modèles des économistes et conjoncturistes. Beaucoup s'attendaient à un coup de frein de l'inflation en 2022. Dans une note récente de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), les auteurs rappellent « qu'aucun institut ne prévoyait de taux d'inflation supérieur à 3 % en France et en zone euro en 2022 ». Mais l'invasion de la Russie en Ukraine a rebattu les cartes. L'inflation qui avait quasiment disparu des radars des économistes depuis plusieurs décennies en Europe a soudain ressurgi. Dans ce contexte troublé, l'exercice de prévision reste périlleux.

Grégoire Normand
Commentaire 1
à écrit le 28/02/2023 à 22:28
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Les sanctions européennes sont comme des boomerangs, l'Europe en paye le plus lourd tribu.

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