« La dette Covid des entreprises à l'égard de l'URSSAF s'élève encore à 18 milliards d'euros », Yann-Gaël Amghar (DG)

ENTRETIEN. Guerre en Ukraine, défaillances d'entreprises, dette Covid, travail dissimulé... le patron de l'Urssaf, Yann-Gaël Amghar, dresse un premier bilan de la santé du tissu productif français sept mois jour pour jour après l'éclatement du conflit aux portes de l'Europe. À l'approche d'un hiver glacial sur le front économique, il reste confiant dans la capacité des entreprises à rembourser leur dette à l'égard de l'organisme collecteur. Sans oublier que cette dette à l'égard de l'Urssaf, bien qu'en légère baisse, vient s'ajouter aux remboursements des prêts garantis par l’État (PGE), des emprunts bancaires et à l'explosion des factures d'énergie...
Grégoire Normand
Yann-Gaël Amghar.
Yann-Gaël Amghar. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - L'économie française a marqué le pas ces derniers mois. Et l'hiver s'annonce glacial sur le plan économique. Avez-vous constaté une hausse des difficultés chez les entreprises depuis le début de la guerre en Ukraine ?

YANN-GAËL AMGAHR - Depuis plusieurs mois, nous constatons une résistance du climat économique. Les embauches au second trimestre ont, certes, été en deçà de celles du premier trimestre, mais elles restent à un niveau supérieur à celles d'avant-Covid. L'emploi reste à un niveau bien supérieur à celui d'avant-crise.

La masse salariale et le niveau des salaires versés par les entreprises sont très dynamiques au premier semestre 2022. Le salaire moyen par tête a nettement progressé sur cette période. Quant aux impayés des entreprises, ils continuent de s'améliorer mois après mois. Nous ne sommes pas revenus au niveau d'avant-Covid mais à un niveau proche. Au mois d'août dernier, il y a eu 2% d'impayés, contre 1,6% en août 2019. Les indicateurs sont plutôt bien orientés.

Depuis le début de l'année, avez-vous remarqué une augmentation des défaillances d'entreprises ?

Il y a eu une hausse au premier semestre 2022, mais les défaillances sont descendues tellement bas en 2020 et 2021 qu'elles restent en deçà de leur niveau d'avant-crise. Beaucoup d'acteurs avaient suspendu un grand nombre de procédures. Le « mur des faillites » annoncé depuis deux ans ne s'est pas produit.

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Quel bilan tirez-vous des deux longues années de pandémie pour l'activité de l'Urssaf ?

L'Urssaf a dû s'adapter de manière réactive en changeant de métier. L'Urssaf a joué un rôle d'amortisseur économique massif avec des reports de cotisations importants. Dès le 15 mars 2020, au moment du premier confinement, plusieurs milliards d'euros de cotisations ont immédiatement été reportés.

L'Urssaf a également versé des aides à 200.000 travailleurs indépendants en difficulté. Nous avons dû nous adapter en fonction de l'évolution de la crise. Il fallait parfois faire du sur-mesure en fonction des restrictions territoriales et sectorielles. Nous n'avons pas attendu la crise pour être à l'écoute des chefs d'entreprise qui viennent nous voir.

Actuellement, nous menons des réflexions sur la manière de pérenniser certaines approches comme la logique de plan d'apurement. On sort de la crise avec des montants importants de reports de cotisations constitués pendant la crise. Ces montants reportés diminuent régulièrement à mesure que les entreprises entrent dans ces logiques de plans d'apurement.

La pandémie a amené l'Urssaf à suspendre le prélèvement de cotisations. À combien s'élève actuellement la dette des entreprises à l'égard de l'Urssaf ?

Si nous regardons les échéances entre avril 2020 et août 2022, la dette des entreprises à l'égard de l'Urssaf s'élève à 18 milliards d'euros. Il y a un an, cette dette s'élevait à 23 milliards. Les entreprises ont remboursé une partie de leur dette dans le cadre des plans d'apurement. Certaines d'entre elles n'ont pas attendu les plans d'apurement pour régler leur dette.

Combien de plans d'apurement ont été mis en œuvre depuis deux ans ?

1,6 million de plans d'apurement pour les indépendants et 650.000 pour les employeurs ont été mis en œuvre. Aujourd'hui, 80% des plans d'apurement sont respectés. Les entreprises paient régulièrement ce qu'elles doivent dans le cadre de ces plans. C'est un indicateur rassurant sur la capacité des entreprises à régler cette dette Covid.

À la fin du mois de mai dernier, vous aviez annoncé que les procédures autoritaires de recouvrement allaient repartir. À partir de quand ces procédures vont-elles être mises en œuvre ?

Il faut d'abord rappeler qu'il y a un enjeu de financement du modèle social. Le second enjeu concerne l'équité entre les entreprises qui jouent les règles du jeu, et celles qui essaient d'échapper au règlement des contributions. Il y a enfin un enjeu de concurrence non faussée. Nous avions suspendu ces procédures pendant la crise, sauf dans le cadre du travail dissimulé.

L'Urssaf va reprendre ces procédures de recouvrement avec pour objectif d'inciter les entreprises à revenir dans une situation où elles se mettent en règle avec l'Urssaf. Le but est de ne prendre personne au piège. Il y a d'abord une phase où nous envoyons aux entreprises un relevé de dette vis-à-vis de l'Urssaf. Nous invitons les entreprises à régulariser leur situation avant la procédure de recouvrement.

Pour les entreprises qui ne l'ont pas fait, l'Urssaf envoie un avis amiable. Les entreprises ont à chaque fois la possibilité de demander un délai de paiement. Si l'entreprise ne régularise pas sa situation à la suite de cet envoi, il y a une mise en demeure. Cette reprise du recouvrement va repartir progressivement.

Dernièrement, l'entreprise Deliveroo a été condamnée à verser 9,7 millions d'euros pour travail dissimulé. La montée en puissance de l'économie des plateformes a-t-elle entraîné une hausse des contentieux ces dernières années ?

La lutte contre le travail dissimulé n'est pas seulement un enjeu de financement du modèle social. C'est aussi un enjeu de droits sociaux pour les salariés, et aussi d'équité et de saine concurrence entre les entreprises. Depuis plus d'une décennie, les redressements Urssaf augmentent d'une année sur l'autre, et cette hausse résulte de bien d'autres facteurs que l'économie des plateformes.

Nous avons mis beaucoup plus de ressources sur les redressements. Entre 2017 et 2022, il y a eu une hausse de 30% du nombre d'inspecteurs dédiés à la lutte contre le travail dissimulé. L'Urssaf progresse dans le ciblage des contrôles en déployant du data mining. Il s'agit de techniques qui permettent de mieux cibler les risques de travail dissimulé. L'Urssaf a aussi développé une expertise juridique sur des dossiers présentant des montages complexes.

 Les deux longues années de pandémie ont-elles mis sur pause les contrôles ?

 La lutte contre la fraude et le travail dissimulé a été suspendue uniquement pendant le premier confinement. Concernant l'activité de contrôle, qui se caractérise par la vérification des erreurs commises par les entreprises, nous avons souhaité en 2020 et 2021, ne pas intervenir dans les secteurs les plus fragilisés. Les contrôles dans ces secteurs ont repris en 2022 considérant que l'activité était revenue à la normale.

Toutes les aides mises en œuvre ont-elles donné lieu à une hausse des fraudes ?

Nous n'avons pas constaté plus d'erreurs ou de fraudes. Dès que de nouvelles mesures sont mises en place, il y a toujours un risque de fraude ou d'erreur. Il faut que les acteurs économiques s'approprient ces nouvelles règles. Nous avons fait beaucoup d'accompagnement et de pédagogie auprès des entreprises pour les reports ou les exonérations de cotisations.

Le premier janvier 2023, l'Urssaf devra s'occuper du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco. Au début de l'été, plusieurs sénateurs ont demandé le report de cette réforme d'ampleur au premier janvier 2024. Où en êtes-vous ?

Il s'agit d'abord d'une réforme de simplification des entreprises. Elles n'auront plus qu'un interlocuteur au lieu de deux pour le recouvrement des cotisations. Cela fait trois ans que l'Urssaf travaille sur cette réforme. Techniquement, nous sommes prêts pour ce transfert de recouvrement. Les cotisations Agirc-Arrco représentent près de 80 milliards d'euros chaque année.

C'est une forme de simplification pour les entreprises. Il y a un enjeu de performance du recouvrement de ces cotisations. Il y a un gain attendu de l'extension des contrôles Urssaf aux contrôles Agirc-Arrco. Actuellement, les contrôles et redressements ne portent que sur le champ des cotisations Urssaf. Demain, il sera possible d'effectuer nos contrôles sur les cotisations Agirc-Arrco. C'est un enjeu pour le droit des salariés, mais aussi financier. Enfin, il y a des gains à attendre grâce à la centralisation des collectes et des contrôles.

Cette réforme s'inscrit dans un mouvement plus large de centralisation des collectes dans la sphère sociale autour de l'Urssaf. Il y a plus de dix ans, la collecte des cotisations assurance-chômage a été transférée à l'Urssaf, par exemple. L'Urssaf a développé une expertise dans toutes ces nouvelles missions.

Propos recueillis par Grégoire Normand

Grégoire Normand
Commentaires 4
à écrit le 21/09/2022 à 17:36
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En parlant de covid : Une coalition de 10 pays de l’UE a demandé une modification des accords d’achat anticipé conclus avec les fabricants de vaccins contre la Covid-19, les quantités de vaccins dépassant les besoins des pays. L’offre de vaccins ...

à écrit le 21/09/2022 à 12:13
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Ça va faire très mal à la toute prochaine crise financière mondiale, lorsque le trésorier français se rendra compte à quel point les prêts Covid furent octroyés à des "entreprises zombies*" (pour reprendre l'expression à l'économiste Paul Krugman*)

à écrit le 21/09/2022 à 8:56
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Pendant ce temps : Parmi ceux qui ont eu à gérer l'épidémie de Covid-19, ce sont sans doute les grands gagnants, avec les pharmaciens, dans le secteur de la santé : les laboratoires d'analyses. Avec les nombreux tests effectués par les Français, n...

à écrit le 21/09/2022 à 8:26
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Cette dette ne sera jamais remboursée

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