LA TRIBUNE - Vous avez signé début mars avec l'État un contrat de relance de 13,8 milliards d'euros. Sera-t-il suffisant pour amorcer la reprise de l'Île-de-France ?
VALÉRIE PÉCRESSE - Nous avons mis sur la table le plan de relance le plus ambitieux de France avec 7 milliards d'euros de l'Etat et 7 milliards de la région et ce, sans creuser notre dette, car nous avions réalisé 2 milliards d'euros d'économie durant ce mandat. Il passe par l'investissement dans les transports, les lycées, les logements... et s'attaque à la formation en proposant 200.000 places supplémentaires pour les demandeurs d'emploi vers les secteurs en tension.
Nous refusons le RSA jeunes qui placerait ces derniers dans un statut d'assistanat et les « formations parkings » visant uniquement à faire baisser les statistiques du chômage. A l'opposé de ces fausses pistes, je mets en place un revenu jeune actifs (RJA) de 4.000 euros pour 100.000 jeunes qui suivraient une formation qualifiante de six mois dans les secteurs qui recrutent et qui peinent à trouver des salariés: le BTP, la sécurité, le médico-social, le numérique, l'industrie, l'agroalimentaire et l'environnement.
Pour les demandeurs d'emploi, nous avons simplifié l'aide individuelle au retour à l'emploi (AIRE), qui lui permet de financer sa formation dans un métier qui recrute ou encore dans une démarche de création/reprise d'entreprises. Cette aide peut aller jusqu'à 12.000 euros. Nous anticipons que beaucoup de chefs d'entreprise vont prendre leur retraite et vendre leur entreprise après l'année terrible qu'ils viennent de vivre. La mission de la Région est de former la « relève ».
La région reste la plus touchée par la Covid-19...
Oui, parce que le moteur international, traditionnellement notre atout, est à l'arrêt avec la Covid. Conséquence : le chômage y a augmenté de 15% contre 8% au niveau national, et un tiers des emplois détruits en 2020 en France l'ont été en Île-de-France, soit 100.000 emplois perdus dans les secteurs en difficulté : le tourisme, l'hôtellerie-restauration, l'aérien-aéronautique, l'événementiel ou encore la culture.
Au global, 38% des sociétés franciliennes ont perdu plus de 50% de leur chiffre d'affaires et l'effet des plans de restructuration des grands groupes va se faire sentir dans quelques mois. Nous avons donc un énorme travail à fournir pour relancer la machine économique de ces secteurs producteurs d'emplois et de valeur ajoutée, mais aussi pour aider les demandeurs d'emploi ou les salariés fragilisés à se convertir dans d'autres secteurs.
L'année a été marquée par la multiplication des aides régionales sous formes diverses (avances, prêts, subventions...) et des intervenants (ville de Paris, métropole du Grand Paris, conseil régional), au risque de la confusion...
Nous avons choisi de cibler toutes les entreprises qui étaient passées au travers des mailles du filet de protection mis en place par l'État pour assurer à tout prix la sauvegarde de l'activité économique et de l'emploi. Ce sont plus de 470.000 entreprises franciliennes qui ont été aidées par la Région - soit près d'une entreprise francilienne sur deux - grâce au fonds de solidarité, au fonds Résilience, au prêt Rebond, à l'aide loyers ou encore au chèque numérique pour les commerçants.
Lorsque c'était possible, nous avons contribué à simplifier et à fédérer derrière nous l'aide des différents acteurs, comme pour le fonds Résilience qui a réuni toutes les collectivités locales, y compris la ville de Paris. Ce sont près de 7.000 entreprises n'ayant pas accès au financement bancaire classique (PGE) qui en ont bénéficié et nous avons pu sauvegarder ainsi près de 30.000 emplois.
Pour le prochain mandat, je veux aller plus loin : bien conscients de la nécessité pour les entrepreneurs de surmonter rapidement le mur de la dette dans cette phase de reprise économique, nous allons effacer la dette Covid pour les TPE-PME en difficulté bénéficiaires du fonds Résilience. C'est 37,5 millions d'euros qui vont être ainsi rendus aux entreprises franciliennes grâce à notre bonne gestion financière. Nous lancerons également une aide de 1.000 euros pour aider les restaurateurs à installer ou aménager leurs terrasses dès leur réouverture le 19 mai pour un coût de près de 4 millions d'euros.
Par ailleurs, alors qu'un hôtel sur quatre est déjà menacé de faillite à Paris, nous ne pouvons pas risquer une nouvelle saison estivale blanche en Île-de-France après l'été 2020. Aussi, je m'inquiète des hésitations gouvernementales sur le pass sanitaire. Je rappelle que la concurrence entre les capitales européennes fait rage pour espérer attirer les touristes britanniques, américains, israéliens, chinois ou russes. La Région Île-de-France ne compte pas perdre son statut de première destination touristique mondiale !
Selon une étude de l'ordre des experts comptables d'Île-de-France et du Crocis, l'observatoire de la Chambre de commerce et d'industrie Paris-IDF, ce secteur de l'hôtellerie-restauration a perdu 46,8% de son chiffre d'affaires en 2020...
Nous allons créer un fonds d'investissement stratégique régional d'un montant de 200 millions d'euros pour assurer la continuité de nos TPE-PME et ETI, les aider à traverser les turbulences et protéger leurs emplois en nous plaçant dans les angles morts de l'Etat. Il aura évidemment vocation à agir sur l'hôtellerie-restauration, mais aussi sur les entreprises de l'événementiel en grande difficulté, des secteurs touristiques et culturels ou encore des sous-traitants dans l'aéronautique et l'automobile.
En attendant leur retour à la normale, la région va donc entrer au capital de 150 TPE-PME et ETI et éviter qu'elles se surendettent. Nous attendons déjà une reprise du transport aérien en 2024-2027 au même niveau que 2019 avec le retour des classes moyennes asiatiques. J'ajoute que nous financerons de préférence les entreprises à impact social et environnemental.
A l'image de votre rival « marcheur » Laurent Saint-Martin, qui propose un fonds d'investissement populaire de 600 millions d'euros, ce fonds d'investissement stratégique régional pourra-t-il être abondé par les particuliers ?
C'est une option mais ce n'est pas la priorité, car pour l'instant faire appel à l'épargne populaire nous coûterait de l'argent. Il faudrait rémunérer cette épargne... Or, nous avons la chance de pouvoir emprunter à taux négatif grâce à notre excellente gestion, nous venons de lever 500 millions d'euros d'emprunts verts sur dix ans à -0,12%. C'est pourquoi ce ne serait ni rationnel ni économique de financer notre fonds aujourd'hui avec de l'épargne populaire.
En revanche, si le gouvernement augmentait la défiscalisation de l'impôt sur le revenu pour les fonds propres apportés aux PME, ce que je souhaite, nous pourrions alors drainer utilement l'épargne des Franciliens vers le tissu productif. La rémunération des Franciliens serait assurée par la défiscalisation.
Avec tous ces nouveaux dispositifs, comment allez-vous financer la banque régionale des jeunes que vous appelez de vos vœux ?
La banque régionale des jeunes, avec un partenaire bancaire, pourra prêter sans caution aux étudiants ou aux jeunes en formation pour financer leurs études, mais aussi octroyer des prêts sur l'honneur aux jeunes créateurs d'entreprises comme nous le faisons déjà avec l'appui de nos partenaires des réseaux France Active et Initiative. Déjà en 2008, comme ministre des Universités, j'avais lancé le prêt étudiant sans caution parentale et garanti par l'Etat. Mais la demande est trop forte aujourd'hui, l'Etat ne peut pas suivre.
Quels en seront les montants alloués et le budget global ?
L'Etat garantit 50.000 prêts par an, nous pourrions en faire 50.000 également. Cela représenterait 20% des étudiants franciliens.
L'Île-de-France demeure la région la plus riche de France et d'Europe, mais aussi la plus inégalitaire où le département le plus riche côtoie le plus pauvre. Comment résoudre l'équation ?
Je propose de créer une trentaine de zones de reconquête économique avec des financements renforcés sur certains territoires fragilisés économiquement. Je pense par exemple aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, aux zones rurales ou encore à celles qui ont été particulièrement touchées par la crise comme Roissy ou la Vallée de la Seine dans les Yvelines.
Cette aide territorialisée viendra en complément de l'action menée par notre société d'économie mixte Île-de-France Investissements et Territoires depuis près d'un an qui mobilise l'outil du portage foncier pour assurer le maintien et le développement d'activités industrielles, commerciales ou encore de tiers-lieux dans des zones prioritaires.
Nous poursuivrons dans le prochain mandat toutes nos aides à la relocalisation et à la réindustrialisation jusqu'à 800.000 euros par projet, mais dans les zones de reconquête économique, les subventions seront majorées de 50% et pourront donc atteindre jusqu'à 1,2 million d'euros.
Allez-vous y travailler en partenariat avec les collectivités concernées ?
Oui, bien sûr, c'est ainsi que cela fonctionnera. Je ne dispose pas d'instrument fiscal à ma main comme mes confrères des Landers allemands ou les gouverneurs des Etats américains. Nous sommes donc obligés de passer par une logique de subventions mais nous travaillerons à simplifier tous les dossiers.
L'exode urbain aura-t-il un impact sur l'économie de la région ?
L'exode sera d'abord de Paris et des appartements trop exigus vers la petite couronne pavillonnaire et la grande couronne plus campagnarde. Avec tout ce que je vous ai présenté et que je suis en train de construire, la révolution des transports en commun, la fibre optique et la 5G dans tous les départements, le coworking, la revégétalisation des villes, la redynamisation sportive et culturelle dans les zones rurales, je m'attache à développer l'attractivité de toute la région.
Je suis confiante car la Région Île-de-France est un territoire qui propose des cadres de vie magnifiques et une qualité de services (santé, éducation, culture...) exceptionnelle. Je sors d'une tournée de quatre jours dans les territoires ruraux, où j'ai rappelé mon engagement à achever le déploiement de la fibre dans tous les départements d'ici à fin 2021 et de la Seine-et-Marne en 2023. La région, qui compte déjà 700 tiers-lieux, en recensera près de 1.500 demain. Le télétravail à l'avenir sera choisi et non plus subi, partout dans la région.
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