C'est un dossier hautement inflammable. A 200 jours de l'élection présidentielle, le comité de suivi et d'évaluation de la fiscalité du capital a dévoilé son épais rapport de près de 200 pages sur les effets des grandes réformes fiscales mises en œuvre depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée. Rapidement après son élection, le chef de l'Etat avait transformé l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et mis en place un prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital, (PFU ou "flat tax). A cela s'ajoutait la baisse de l'impôt sur les sociétés qui devrait atteindre 25% d'ici la fin du quinquennat. Ces réformes ont suscité de vifs débats et de nombreuses contestations de la part de l'opposition et dans les rangs des "gilets jaunes" notamment. Dans la bataille présidentielle, certains candidats comme Yannick Jadot plaident pour un impôt sur la fortune climatique (ISF climat) quand d'autres comme Jean-Luc Mélenchon prônent un retour de l'ISF.
Alors que le mandat d'Emmanuel Macron s'achève dans quelques mois, ce document très attendu dresse un bilan peu flatteur pour l'exécutif. "L'observation des grandes variables économiques - croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. - avant et après les réformes ne suffit pas pour conclure sur l' effet réel de ces réformes [...] il ne sera pas possible d'estimer par ce seul moyen si la suppression de l'ISF a permis une réorientation de l'épargne des contribuables concernés vers le financement des entreprises" expliquent les auteurs de ce troisième rapport. En 2017, Emmanuel Macron avait promu ses réformes contre la promesse d'un "ruissellement" vers l'économie. Avec la publication de cet avis explosif, le président aura sûrement des difficultés à se défaire de son image de "président des riches".
Un bond des dividendes et une plus forte concentration depuis quatre ans
Le premier enseignement de ce rapport est que l'entrée en vigueur du prélèvement forfaitaire unique de 30% sur les revenus du capital a entraîné un bond des dividendes versés aux ménages concernés. "La forte progression des dividendes déclarés par les ménages au titre de 2018 (23 milliards d'euros, après 14 milliards en 2017), s'est confirmée en 2019 (augmentation supplémentaire de l'ordre de 1 milliard) et en 2020 (stabilité par rapport à 2019)", notent les économistes. Malgré le violent plongeon de l'économie tricolore en 2020 d'environ -9%, la distribution de dividendes des entreprises vers les ménages est restée relativement stable.
Ce boom des dividendes s'est accompagné d'une plus forte concentration au sommet de la pyramide. En 2019, près de 60% des dividendes (62%) ont été reçus par 40.000 foyers (0,1% des foyers) dont 31% par 3.900 foyers (0,01% des foyers) alors qu'en 2017, au moment de l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée, la moitié des dividendes avait été distribuée à 38.000 foyers, dont 22% par 3.800 foyers. Parmi les autres résultats impressionnants, les plus aisés dont "les dividendes ont augmenté de plus de 100.000 euros entre 2017 et 2018 ou entre 2018 et 2019 totalisent 9 milliards d'euros de dividendes supplémentaires en 2018 et 2019 par rapport à 2017, soit 100% de la hausse nette constatée depuis 2017."
Il apparaît que la mise en place du prélèvement forfaitaire unique a contribué à cette hausse des dividendes mais d'autres éléments peuvent également jouer un rôle.
"Sur un échantillon restreint, on voit un effet très fort de la réforme du PFU sur la distribution de dividendes. D'autres facteurs ont pu jouer. L'année 2017 correspond à une année d'amélioration de la conjoncture. La transformation du CICE en baisse de cotisation a pu avoir un rôle sur la hausse des dividendes" a déclaré Fabrice Lenglart président du comité et directeur du service de statistiques du ministère de la santé (Drees) lors d'un point presse.
Concernant son impact sur l'économie, la mise en œuvre de cette flat tax n'a en revanche pas vraiment eu de répercussions. "Aucun effet ni sur l'investissement ni sur la masse salariale n'est visible suite à la mise en place du PFU en 2018" ajoute le statisticien. Du côté de Bercy, l'entourage du ministre de l'Economie Bruno Le Maire peine à faire "le lien entre PFU, IFI et investissement. A ce stade, les études n'arrivent pas à identifier d'effet de ces réformes sur l'investissement des entreprises. On manque encore de recul sur les études. Des choix dans les entreprises peuvent mettre du temps à se matérialiser. La confiance dans la stabilité du cadre fiscal s'apprécie dans la durée."
Fin de l'ISF : peu de retours
La suppression de l'impôt sur la fortune en 2017, né sous la présidence de François Mitterrand dans les années 80 a-t-elle entraîné une vague de retours des riches exilés fiscaux ? "Sur l'exil fiscal, comme les années passées, les gestionnaires de fortune ne font pas état de retours significatifs de clients fortunés depuis l'étranger" signalent les chercheurs. Pourtant, les opposants à l'ISF avaient rejeté cet impôt au motif qu'elle provoquait tous les ans des vagues d'expatriation vers des pays plus favorables fiscalement.
Si les chercheurs notent un solde positif entre les départs et les arrivées depuis quelques années, ce chiffre ne représente qu'un faible part des contribuables soumis à un tel prélèvement. "Avant la suppression de l'ISF, le solde des départs et des retours sur le sol Français était négatif. Après la réforme, le solde est positif avec la mise en place de l'impôt sur les fortunes immobilières mais il ne s'agit que de quelques contribuables" affirme Fabrice Lenglart. "Cette évolution porte sur de petits effectifs, de l'ordre de quelques centaines, à comparer avec les 130.000 contribuables assujettis à l'IFI en 2019" précisent les auteurs du rapport. Ce chiffre est également à rapporter au 360.000 contribuables soumis à l'ISF.
Gouvernance des entreprises : peu d'effets
L'impôt sur la fortune a également été critiqué car il n'incitait pas les dirigeants à lâcher les commandes de leurs entreprises alors que des évolutions étaient souhaitables pour assurer le bon fonctionnement et la pérennité de la société. Or les travaux menés par les économistes ne montrent pas "d'effet probant de la suppression de l'ISF sur la moyenne d'âge des dirigeants d'entreprises exposées à la réforme, ni sur la probabilité de changement de dirigeant, ni sur la probabilité d'entrée d'un dirigeant âgé de moins de 50 ans." Là encore, la fin de l'ISF ne semble pas avoir eu d'impact sur la gouvernance des entreprises.
Des données sensibles
Les représentants du comité d'évaluation n'ont pas caché les difficultés des chercheurs à mener leur travail dans un temps réduit. "Les données sont extrêmement sensibles. Il faut apparier les données mais les chercheurs n'ont pas pu le faire directement. Il faut un tiers de confiance. Les chercheurs n'ont eu accès aux données qu'au dernier moment. Si une équipe de recherche ne dispose que de deux mois pour faire son travail, elle a moins de temps pour exprimer des résultats" a expliqué Fabrice Lenglart. Du côté de Bercy, les proches de Bruno Le Maire se félicitent "d'une plus grande transparence". L'accès aux données a été rendu plus compliqué en raison du "secret fiscal". En outre, "le travail de la direction générale des finances publiques (DGFIP) a été retardé par le versement du fonds de solidarité" justifie-t-on pour expliquer le retard. A quelques mois de la bataille électorale, la pression monte sur les services du ministère des Finances.