Le gouvernement peut-il dessiner l'industrie du futur ?

Ce lundi, Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie a présenté le nouveau programme industriel de la France. « L'industrie du futur » succède à la Nouvelle France industrielle ». Les premières initiatives verront le jour dès cette année. Une fois de plus, l'Etat est à la baguette pour redresser l'industrie. Mais peut-il être efficace ?
Fabien Piliu
L'avenir de l'industrie française est-il encore dans les limbes ?

Lundi à Nantes, Emmanuel Macron, le ministre de l'Economie a présenté la seconde phase de La nouvelle France industrielle lancé en septembre 2013 par son successeur à Bercy, Arnaud Montebourg.

Des 34 plans initialement créés, il n'en reste que 9 : les nouvelles ressources (chimie, industries extractives...), la ville durable, la mobilité écologique, les transports de demain, la médecine du futur, l'économie des données, les objets intelligents, la confiance numérique, l'alimentation intelligente. Finie la stratégie tous azimuts. Désormais, le gouvernement resserre les priorités industrielles avec le numérique pour fil rouge afin d'accélérer la transformation, la modernisation du tissu industriel français et assurer ainsi son avenir face à une concurrence toujours plus forte. Cette stratégie repose sur cinq piliers : développer l'offre technologique, accompagner les entreprises dans cette transformation, former les salariés, renforcer la coopération internationale sur les normes et promouvoir l'industrie du futur française.

Dès cette année, plusieurs initiatives verront le jour. Citons la publication au quatrième trimestre 2015 d'un référentiel national de l'Industrie du Futur à destination de toutes les PME industrielles, des décideurs et des investisseurs internationaux. Dès cet été, les premières expérimentations du véhicule autonome sur route ouverte auront lieu.

Un calendrier et des objectifs précis

Des objectifs sont d'ores et déjà fixés. Le gouvernement compte par exemple sur la création de 20.000 emplois à l'horizon 2020 en France par le développement de nouvelles capacités de tri et de valorisation des déchets (plastiques, déchets du bâtiment et des travaux publics, fibres de carbone, cartes électroniques,...) ou encore, comme le précise le dossier de presse, " des emplois à haute valeur ajoutée sur des ambitions export en proportion de la cible de 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires à l'horizon 2020 " grâce au développement du secteur de la ville durable

Concrètement, quel est le rôle de l'Etat ? En réunissant au sein de " l'Alliance pour l'industrie du futur »", une association loi 1901 spécialement créée pour l'occasion, les industriels, les acteurs du numérique et du monde de la recherche, les syndicats, les organisations et les fédérations professionnelles qui seront volontaires, l'Etat joue les entremetteurs. Un comité de pilotage du projet " Industrie du futur " que présidera le ministre de l'Économie, se réunira tous les deux mois, associant les représentants de l'Alliance pour l'Industrie du Futur, le Conseil National de l'Industrie (CNI) et les cinq organisations syndicales représentatives des salariés, les pouvoirs publics avec l'Association des Régions de France (ARF) et les services et opérateurs de l'État (DGE, CGI, Bpifrance, Business France, DGEFP ainsi que plusieurs personnalités qualifiées, dirigeants d'ETI françaises et d'entreprises étrangères implantées en France. Bref, une belle tablée d'experts !

Le rôle de l'Etat sera également financier. Un exemple : pour soutenir le développement de l'offre technologique pour l'Industrie du Futur, le gouvernement entend puiser 305 millions d'euros de subventions et avances remboursables de l'action PIAVE (Projets industriels d'avenir) dans le programme d'investissements d'avenir (PIA) et 425 millions d'euros dans le fonds SPI (Sociétés de projets industriels).

Pendant du " redressement productif " qui occupe toujours pleinement Bercy, ce programme a donc pour objectif de dessiner l'avenir industriel de la France. C'est louable. L'industrie tricolore est mal en point même si certains secteurs, comme l'aéronautique et le spatial, n'ont pas été véritablement impactés par la crise de 2008-2009 et ses soubresauts. Selon l'Insee, il a fallu attendre le mois de mars 2015 pour que la production industrielle retrouve le niveau observé en 2010 !

La feuille de route est claire, simple. Les schémas présentés dans le dossier de presse consultable sur le site Internet de Bercy sont parfaitement lisibles. Reste maintenant à attendre les effets de cette stratégie industrielle qui, doit permettre à l'industrie française.

L'Etat peut-il être visionnaire ?

Ce type d'initiatives peut-il être efficace ? L'Etat peut-il réussir là où il a trop souvent échoué ? Certes, l'Etat peut se vanter de quelques réussites dans le domaine industriel. Sans son impulsion et le soutien financier qui va avec, Airbus, Ariane auraient-ils vu le jour ? Probablement pas. Mais ces succès ne doivent pas faire oublier deux choses. D'une part, le lancement et le financement de ces programmes d'envergure ont nécessité des moyens financiers massifs dont ont été privés d'autres secteurs, d'autres industries. D'autre part, les erreurs industrielles de l'Etat sont légion. Lancé en 1966, le plan Calcul devait permettre à la France d'assurer son indépendance en matière de supercalculateurs et de créer une industrie nationale de l'informatique. Il a été arrêté en 1975. Le Minitel n'a pas convaincu. Quant au TGV, qui a aspiré une bonne partie des ressources de la SNCF au détriment du réseau secondaire, son succès à l'export est pour l'instant très confidentiel.

Plus récemment, que reste-t-il du plan d'action volontaire contre la désindustrialisation lancé en 2004 par Jacques Chirac, alors président de la République ? Quels sont les résultats des Etats généraux de l'industrie organisés en septembre 2010 par Nicolas Sarkozy qui, en composant son premier gouvernement avait oublié - volontairement ou non - de nommer un ministre de l'Industrie ? La Conférence nationale de l'industrie (CNI) et des comités stratégiques de filières ont certes vu le jour... Puis, en 2013, coup de tonnerre, Arnaud Montebourg, le ministre du Redressement productif transforme le CNI devient le Conseil national de l'industrie (CNI), dont l'objectif est à quelques variantes près le même que celui de la nouvelle Alliance d'Emmanuel Macron.

Des effets très limités

Tous ces plans ont-ils permis à l'industrie de redresser la tête et de lutter à la fois contre la concurrence de son puissant voisin allemand et des pays à bas coût ? Pas vraiment. En 2014, l'industrie a supprimé 37.700 emplois selon l'Insee. Depuis l'arrivée de François Hollande à l'Elysée, 107.000 postes ont été supprimés contre 380.000 lors du quinquennat précédent, conséquence de la plus grave crise économique connue par la France depuis la seconde guerre mondiale et d'années d'errements dans le domaine industriel .

Comme le précisait une étude du Trésor en 2010, ce sont plus deux millions d'emplois qui ont été détruits depuis 1980. La balance commerciale est dans le rouge depuis 2003. L'année dernière, le déficit commercial s'est élevé à 53,8 milliards d'euros quand l'Allemagne affichait un excédent de 217 milliards d'euros, en hausse de 11%.

Alors que la part de la valeur ajoutée de l'industrie allemande par rapport au PIB s'élevait à 30,7% en 2013, contre 30% en 2001, elle atteignait 22,9% en 2001 en France et 19,8% en 2013 précise la Banque mondiale. On peut toujours imaginer que l'action passée de l'Etat a permis de limiter la casse...

L'Etat peut-il rester les bras croisés ?

Dans ce contexte très délicat, on peut légitimement comprendre que l'exécutif ne reste pas les bras croisés. Que ne dirait-on pas si l'union sacrée autour de l'industrie de demain n'était pas déclarée ? Et tant pis si ce programme, aussi ambitieux et volontariste soit-il, risque de tomber aux oubliettes une fois le quinquennat passé. Au mieux, il changera de nom et de nouvelles couches de comités seront créés.

L'Etat est-il, enfin, visionnaire Ce serait assez inédit. Si tel avait été le cas au cours des dernières décennies, l'industrie française, prise entre le marteau et l'enclume n'aurait pas à la fois l'Allemagne et les pays émergents comme principaux concurrents. La forte compétitivité-hors prix des produits made in France ferait oublier leur faible compétitivité-prix.

Reste une dernière question. En misant sur la numérisation de l'industrie, l'Etat ne joue-t-il pas avec le feu ? La numérisation permet-elle la création de nouveaux emplois ? Les experts ne sont pas tous d'accord. Certes, la plupart des emplois de demain ne sont pas connus. Il est donc difficile d'avoir une vision très claire sur le sujet. Mais on connaît les emplois d'aujourd'hui ! Or, comme l'explique un article du National bureau of economic research (NBER) américain signé notamment par Jeffrey Sachs de l'université de Columbia et Guillermo LaGarda de l'université de Boston, il y a fort à parier que la numérisation, l'informatisation en sacrifient un grand nombre. Au moyen à court-moyen terme. Selon une étude du cabinet Roland Berger, en France, 42% des métiers actuels présentent une probabilité d'automatisation forte du fait de la numérisation de l'économie.

" Pour la première fois, les métiers automatisables ne sont pas uniquement les métiers manuels. Des tâches intellectuelles de plus en plus nombreuses sont prises en charge par les outils numériques ", précise cette étude. Au total, ce sont trois millions d'emplois qui pourraient être détruits par la numérisation à l'horizon de 2025. "Une telle évolution déstabiliserait en profondeur les classes moyennes françaises, car de nombreux emplois de services seraient touchés", avance ses auteurs.

Les promesses de l'i-économie sont alléchantes. Mais, pour l'instant ce ne sont que des promesses.

Fabien Piliu
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