Bruno Le Maire fait feu de tout bois. Ces dernières semaines, le ministre de l'Economie n'a pas caché l'offensive qui est la sienne de s'attaquer au marché du travail, et à l'Assurance chômage, beaucoup trop rigides à son goût. Si le locataire de Bercy cherche à se positionner sur ces sujets, c'est qu'il est convaincu qu'ils constituent les principales voies pour faire baisser le chômage dans l'Hexagone, alors que celui-ci commence à montrer des signes préoccupants avec une légère remontée ces derniers mois et que l'activité économique fait du surplace. Le plein emploi est la priorité affichée du gouvernement pour 2024. Elisabeth Borne a ainsi demandé à certains ministres de lui faire remonter des propositions. Elle les réunit ce lundi soir autour d'un dîner pour les examiner et en discuter. La pression est forte, l'ordre vient d'en haut : Emmanuel Macron veut retrouver l'esprit réformateur qui était le sien en 2017, lors de son arrivée à l'Elysée.
Aller plus loin que les ordonnances de 2018
« Après avoir protégé, il faut "libéraliser" ». A Matignon, l'entourage de la Première ministre ose lâcher le mot « libéraliser ». Et pour cause, après avoir dépensé des milliards d'euros pour préserver l'emploi des salariés pendant le Covid - chômage partiel, année blanche pour les intermittents, mesures de soutien au pouvoir d'achat, aux entreprises etc -, l'exécutif estime qu'il est temps d'assouplir le marché du travail. « Les ordonnances Macron de 2018 ont débloqué beaucoup de points, mais il faut aller un peu plus loin, sans quoi nous ne parviendrons pas à faire baisser le chômage », concède un conseiller ministériel.
Ainsi, dans le journal Le Parisien ce week-end, Bruno Le Maire a-t-il lancé l'idée de réduire le délai de recours dont dispose un salarié licencié pour contester la procédure. Délai qui avait déjà été ramené de 3 à 1 an par les ordonnances d'Emmanuel Macron, de 2018. Cette fois, le ministre de l'Economie entend le réduire à 2 mois à peine. Histoire de sécuriser un peu plus les employeurs - notamment les petits patrons - lorsqu'ils embauchent.
La suggestion fait bondir les syndicats, qui y voient une nouvelle attaque en règle contre les droits fondamentaux des travailleurs. Ainsi François Hommeril, numéro 1 de la CFE-CGC dénonce-t-il une mesure idéologique qui n'incitera pas à davantage embaucher.
« C'est se tromper complètement, car les prud'hommes ne sont plus le problème pour les patrons : depuis les ordonnances et la mise en place du barème d'indemnisation, c'est devenu extrêmement compliqué d'attaquer son ancien employeur devant les juridictions. » Le patronat n'est d'ailleurs pas spécialement demandeur de cette disposition.
Faciliter l'emploi des jeunes
Pour Elisabeth Borne, revoir le code du Travail est urgent tant le marché du travail a changé ces dernières années. Selon Matignon, les jeunes ne veulent plus de CDI et quand ils sont en poste, ils rechignent à démissionner, préférant demander à leur patron un départ arrangé de l'entreprise pour bénéficier d'indemnités chômage. D'où cette idée, dévoilée par la Tribune Dimanche, de revoir les modalités de la rupture conventionnelle. Mis en place en 2008, ce dispositif selon le gouvernement n'incite ni à chercher ni à reprendre un poste.
Dans ce même esprit, Bruno Le Maire suggère également de « s'attaquer en priorité aux centaines de milliers d'emplois non pourvus dans les secteurs en tension, comme les chaudronniers, les couvreurs, les soudeurs, les métiers de bouche, la restauration, l'hôtellerie...notamment en valorisant le compte personnel de formation d'un jeune qui s'engagerait dans l'un de ces secteurs. » Une façon de motiver les actifs à rejoindre les filières où l'on manque de bras.
Emploi des seniors en ligne de mire
Enfin, l'autre levier pour faire baisser le chômage dans l'Hexagone, est selon le gouvernement, de faire progresser l'emploi des salariés les plus expérimentés, notamment les 60 -64 ans. Aujourd'hui, à peine un tiers de cette tranche d'âge est encore en emploi, - soit un des niveaux les plus faibles d'Europe-.
Quand elle était ministre du Travail, Elisabeth Borne s'est souvent agacée de voir les entreprises pousser vers la porte de sortie les salariés proches de la retraite. L'objectif de Matignon est de remonter ce taux d'emploi à 65 % à la fin du quinquennat.
Et Bruno Le Maire, là encore, d'avancer des pistes : ainsi, la semaine dernière a-t-il proposé de réduire la durée d'indemnisation au chômage des séniors - pour l'aligner sur celle des autres actifs. Si cette suggestion a fait parler d'elle, le locataire de Bercy l'a un peu remaniée ensuite. Pour proposer un vaste plan de lutte contre le chômage des seniors, avec un aménagement des fins de carrière, dans lequel le salarié senior pourrait par exemple, travailler à 80 % - quatre cinquièmes- tout en étant payé 90% de son salaire et en cotisant à 100 % pour la retraite.
Reste à savoir qui prendrait en charge cette différence. « Ça s'étudie », plaide Bercy. La CFDT est favorable à cette réflexion autour des fins de carrière : elle en revendique même la paternité. Sur RTL, ce lundi, Marylise Léon, la numéro 1 du syndicat a ainsi ironisé : « C'est très bien que le ministre de l'Economie se souvienne d'une proposition faite par la CFDT il y a un an. »
Les réserves des syndicats
Plus globalement, les syndicats émettent de nombreuses réserves sur cet ensemble de suggestions. Et pour cause, ils s'apprêtent à ouvrir une négociation sur l'emploi des seniors, et estiment que l'exécutif marche sur leurs plates-bandes. Faut-il voir des ballons d'essai politiques ou une ébauche de loi déjà dans les tuyaux ? Tous sont prudents. Il faut dire qu'ils conservent un très mauvais souvenir des ordonnances de 2018, qui ont détricoté, à leurs yeux, le code du Travail.
Du côté du patronat, on craint que ces dispositions qui leur sont plutôt favorables sur le papier, ne donnent lieu à des contreparties comme un nouvel échelonnement des impôts de production, une mise à contribution des entreprises, via une hausse des impôts ou même des cotisations.
Si elles étaient retenues, ces mesures destinées à libéraliser le marché du travail pourraient prendre place dans la loi Pacte 2 sur laquelle Bruno Le Maire planche actuellement. Quoi qu'il en soit, conformément à la loi Larcher de 2008, le gouvernement, s'il modifie le code du travail, devra, cependant, consulter au préalable les partenaires sociaux.