Le 12 juillet dernier, Emmanuel Macron à la veille de la fête nationale annonçait un plan ambitieux d'investissement censé bâtir la France de 2030. "Il s'agit de faire émerger dans notre pays et en Europe les champions de demain qui, dans les domaines du numérique, de l'industrie verte, des biotechnologies, ou encore de l'agriculture, dessineront notre avenir", a déclaré le chef de l'Etat dans son adresse solennelle aux Français.
Trois mois plus tard, le président s'apprête à détailler les contours de cette enveloppe évaluée à 30 milliards d'euros ce mardi 12 octobre. A 200 jours de l'élection présidentielle, cette annonce très politique pourrait poser les jalons de la bataille électorale déjà entamée par les autres candidats. Après presque deux ans de pandémie, le président cherche à redonner un nouveau souffle pour la fin de son mandat chamboulé par l'électrochoc des vagues épidémiques. La récente présentation du rapport économique, financier et social établi par la direction générale du Trésor a montré que l'Elysée voulait absolument reprendre la main sur les sujets économiques et sociaux en tentant de faire oublier l'image de "président des riches". "Ce plan d'investissement arrive au bon moment après le plan de relance. La France a les moyens de faire ce plan au vu du niveau des taux. Le sujet du financement n'est pas vraiment problématique. En revanche, la question de la gouvernance du plan d'investissement est cruciale" a expliqué à La Tribune, l'économiste et directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) Xavier Ragot.
"Réconcilier la France de l'industrie et la France des startups"
Après plusieurs semaines de flou, Emmanuel Macron a esquissé les principaux enjeux de ce plan d'investissement lors d'un déplacement au salon Big des entrepreneurs le jeudi 7 octobre organisé par BpiFrance. Le quadragénaire a ainsi expliqué devant un parterre de chefs d'entreprise vouloir "réconcilier" la France des startups et "la France industrielle". "Si on veut construire la France de 2030, on doit reconquérir de la part industrielle, on doit ré-innover dans et par l'industrie et donc décider de multiplier des financements de startups industrielles", a poursuivi Emmanuel Macron, estimant "faux" d'opposer industrie et startups. "Le plan d'investissement doit se concentrer sur les questions d'innovation et de réindustrialisation" indique, Eric Thiers, secrétaire général au Haut commissariat au plan interrogé par La Tribune.
Installée en septembre 2020, cette petite équipe d'environ 10 personnes auprès de François Bayrou "est chargée de turbuler les idées". Ce haut commissariat qui suscite de nombreuses interrogations a produit une dizaine de notes sur des thèmes aussi variés que l'agriculture, la démographie ou la dette. Son secrétaire qui a été sollicité sur le plan d'investissement assure "avoir multiplié les contacts avec notamment la direction générale des entreprises et des conseillers à l'Elysée".
D'après les premières pistes évoquées par l'Agence France presse, une partie des montants du plan d'investissement devrait servir à financer et à développer en France des projets de démonstrateurs industriels, et non à l'étranger, faute d'investisseurs. Les démonstrateurs sont des installations permettant aux entreprises innovantes de tester leurs procédés de production, étape indispensable avant la construction d'usines de production à l'échelle commerciale. "Si une startup fait son démonstrateur dans un autre pays, elle va souvent développer ensuite l'industrialisation de son procédé ailleurs, et c'est une perte d'opportunité pour la France", une perte d'emploi et d'innovation, selon Emmanuel Macron.
Un "effet de levier" modeste
Le plan d'investissement destiné à prendre la suite du plan de relance de 100 milliards d'euros pourrait avoir un effet de levier modeste sur l'économie française. En effet, cette enveloppe estimée à environ 30 milliards d'euros doit s'étaler sur une dizaine d'années. Si on considère une dépense moyenne de 3 milliards d'euros par an, cela ne représente que 0,1% du produit intérieur brut (PIB) français.
Cet effet multiplicateur pourrait encore être atténué par un risque d'éparpillement des dépenses dans un nombre important de secteurs. L'une des critiques récurrentes adressée au plan de relance de 100 milliards d'euros était le saupoudrage des dépenses en faveur d'un grand nombre de branches sans réelle politique industrielle derrière.
Des zones d'ombre sur la gouvernance et le pilotage
L'un des enjeux importants de ce plan d'investissement est sa gouvernance. Faut-il laisser les manettes à Bercy ou à Matignon ? La question de la gouvernance et du pilotage du plan d'investissement reste un sujet sensible. "Il faut créer des institutions solides pour piloter cet argent public. Il ne faut pas gâcher l'argent public et ne pas céder à tous les lobbies. J'attends ce mardi 12 octobre un cadre d'investissements et des structures de gouvernance. Il ne faut pas qu'il y ait un plan d'investissement d'avenir (PIA) de plus. Les bilans sur plusieurs plans d'investissement n'ont pas été faits", rappelle Xavier Ragot.
Un pilier de la majorité parlementaire récemment interrogé par La Tribune expliquait il y a encore quelques jours que "beaucoup de choses n'étaient pas arrêtées. Est-ce que le secrétariat général pour l'investissement rattaché à Matignon va gouverner ? C'est un sujet très politique" assure-t-il. Il faut dire que les candidats potentiels au fléchage des subsides de cette enveloppe sont nombreux. Du côté du haut-commissariat au plan, son secrétaire assure que "l'objectif du haut-commissaire est de contribuer au pilotage et au suivi des mesures du plan d'investissement. L'idée est qu'il y ait une continuité sur ces mesures. François Bayrou dit qu'il faut que les acteurs aient un horizon. Le haut commissariat au plan est un des seuls endroits où les gens arrivent à dialoguer. Sur le plan d'investissement, on a joué un rôle dans l'impulsion. On est à disposition pour accompagner." Jusqu'à maintenant, la politique économique d'Emmanuel Macron a surtout privilégié l'offre en baissant notamment la fiscalité sur les entreprises sans vraiment mettre en place de gouvernance stratégique pour piloter une enveloppe d'investissements. "Il y a une demande des industriels sur un Etat pilote. Nous prônons "un Etat fédérateur"" affirme Eric Thiers.
Des consultations étudiantes
Vendredi dernier, plusieurs membres du gouvernement ont multiplié les contacts avec les étudiants lors de déplacements. Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire s'est rendu à l'université de technologie de Compiègne (UTC) dans l'Oise dans le cadre des consultations de "France 2030" selon l'agenda de Bercy. Au programme, des échanges ont eu lieu notamment sur les grands défis de l'ingénierie de demain, la numérisation et l'industrie du futur, l'automobile et la mobilité du futur.
De son côté, Cédric O secrétaire au numérique, a rencontré les étudiants de l'Institut Polytechnique de Paris, de l'École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI) et de l'Ecole pour l'informatique et les techniques avancées (EPITA) également dans le cadre de ces consultations sur France 2030. Ces différents déplacements font suite à de précédents échanges à Bercy tout au long du mois de septembre avec différents économistes, des chercheurs, des représentants du patronat et des syndicats et des chefs d'entreprise.
Un plan intégré au budget par voie d'amendement
La présentation du projet de loi de finances 2022 à la fin du mois de septembre a étonné un grand nombre de journalistes à Bercy. En effet, aucun chiffre relatif au plan d'investissement n'a été intégré au document budgétaire. Et ils n'étaient pas seuls. Le Haut conseil des finances publiques (HCFP) a même qualifié ce texte "d'incomplet". Le budget "n'intègre pas l'impact de mesures d'ampleur qui ont pourtant déjà été annoncées par le gouvernement (grand plan d'investissement, revenu d'engagement notamment) et que celui-ci prévoit de faire adopter par voie d'amendement au cours du débat parlementaire. Le Haut Conseil regrette ces conditions de saisine qui ne lui permettent pas de rendre un avis pleinement éclairé sur les prévisions de finances publiques pour 2022", regrettent les magistrats. Si les annonces d'Emmanuel Macron devraient lever le voile sur plusieurs zones d'ombre, toutes les modalités de ce plan d'investissement devraient sûrement faire encore l'objet de précisions.