C'était l'une de seules annonces marquantes du discours de politique générale d'Elisabeth Borne. La nouvelle Première ministre a annoncé au cours de son intervention « l'intention de l'État de détenir 100 % du capital d'EDF ». Le mot « nationalisation » n'est pas prononcé. Et pour cause : dans les faits, il ne s'agira que d'un simple rachat d'actions des minoritaires d'un groupe public appartenant déjà à l'État pour près de 85 %. À l'étranger, et notamment en Grande Bretagne, où EDF est engagé très fortement (et difficilement) dans la construction d'EPR, la nouvelle fait pourtant l'effet d'une bombe médiatique. Les agences de presse et les chaînes d'info du monde entier annoncent dans les heures qui suivent une « nationalisation » d'EDF.
Voilà peut-être pourquoi, même le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, se réjouit dans un premier temps d'une telle annonce.... Avant que ce dernier ne développe un rétropédalage en bonne et due forme le lendemain matin lors d'une interview sur France Info. C'est que les syndicats d'EDF ne sont pas dupes d'une telle annonce. Eux savent que le groupe est au bord de la banqueroute. Et que le plan Hercule proposé à l'origine par l'Elysée, comme je l'avais montré dans une précédente enquête, est toujours sur les rails. Ils craignent dans les mois à venir un démantèlement du groupe sous couvert de relance du nucléaire. La puissante fédération nationale des mines et de l'énergie CGT a d'ailleurs immédiatement publié un communiqué pour exprimer ses craintes : « Rien n'est dit sur le changement de statut juridique de l'entreprise EDF. L'État sera donc bien un « État actionnaire » de la Société Anonyme alors que nous voudrions voir un « Etat stratège » d'un EPIC 100% PUBLIC. Nous sommes donc bien face à une recapitalisation ! »
Etatiser les pertes
Dès le lendemain sur Europe 1, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie et des Finances, et de « la souveraineté industrielle et numérique », n'infirme d'ailleurs pas un tel projet : à la journaliste Sonia Mabrouk qui lui fait part des doutes des représentants syndicaux, le ministre répond qu'il « faudra qu'il y ait une réforme, une transformation d'EDF ». Ajoutant : « Nous en parlerons avec les responsables syndicaux » et la « Commission européenne ». En réalité, dès 2018, l'Elysée, à travers son plan Hercule, avait souhaité étatiser la filière nucléaire en piteux état pour socialiser les pertes monstrueuses de l'entreprise publique.
Pertes issues notamment des difficultés rencontrées depuis des années sur la construction de l'EPR de Flamanville, mais également du fait des considérables investissements et garanties qu'EDF a consenti lors de l'été 2016 sur le projet Hinkley Point, mené par EDF Energy, filiale britannique du groupe public, en alliance avec le groupe chinois CGN... À l'époque, le ministre de l'Economie français qui avait poussé à fond cet accord entre EDF et le gouvernement britannique s'appelait... Emmanuel Macron. Et ce, alors que l'unanimité au sein du groupe n'était pas acquise. Les syndicats s'y étaient opposés. Et quelques mois plus tôt, le directeur financier Thomas Piquemal, proche d'Henri Proglio, l'ancien PDG d'EDF, et opposé au projet Hinkley Point dans sa nouvelle configuration, avait même démissionné avec fracas.
Bizarrement, une fois arrivé au pouvoir à l'Elysée, Emmanuel Macron et son secrétaire général Alexis Kohler, tout en lançant discrètement le projet Hercule, n'ont pas cessé de tergiverser sur la relance du nucléaire, multipliant les injonctions contradictoires à l'égard d'EDF et de sa direction. Tenants de la filière nucléaire française et syndicats dénoncent alors en off une politique du pourrissement menée au plus haut sommet de l'État.
Produire plus d'électricité
Aujourd'hui, Bruno le Maire rappelle sur l'antenne d'Europe 1 que la prochaine direction d'EDF aura désormais une « feuille de route » claire, c'est-à-dire « produire plus » (alors qu'aujourd'hui la moitié du parc nucléaire existant est à l'arrêt pour des raisons de maintenance et de sûreté), et bien sûr, comme l'a annoncé le président Macron à Belfort en février 2022 « construire six réacteurs ». Et le ministre d'ajouter : « Je souhaite que cette nouvelle direction soit opérationnelle dès la rentrée prochaine ». Cette dernière aura « une nouvelle page à écrire » pour « donner un nouvel élan à l'entreprise » C'est donc l'autre nouvelle pour EDF : dans les toutes prochaines semaines, l'actuel PDG, Jean-Bernard Lévy va céder son poste avant d'arriver au terme de son mandat.
Une nouvelle peu surprenante pour les lecteurs de La Tribune qui avaient découvert un tel scénario dans ma dernière enquête sur le sujet en février 2022. À l'époque, alors que les spéculations allaient bon train en interne comme dans le petit Paris du monde des affaires sur l'avenir d'EDF, plus grand monde ne pariait sur le maintien dans les prochains mois de Jean-Bernard Lévy à la tête du groupe public. « Lévy, les portes de l'Elysée lui sont fermées. Il n'a pas eu la décence de démissionner. Je ne comprends pas pourquoi », s'étonnait alors une syndicaliste.
Qui pour remplacer Lévy ?
Pour le remplacer, les noms suivants sont régulièrement évoqué : d'abord, Xavier Piechaczyk, président de RTE (Réseau de transport d'électricité) qui a rendu son rapport au gouvernement sur les scénarios de mix énergétique français d'ici à 2050, et que d'aucun présente comme « le chouchou d'Alexis Kohler ». Mais le corps des Mines poussent également deux pions (issus de réseaux opposés), d'un côté, Patrice Caine, grand patron de Thales, très proche du puissant Cédric Lewandowski, devenu grand patron de la production chez EDF, et tête de pont du réseau historique de François Roussely (ancien président d'EDF devenu banquier d'affaires qui a donné ses conseils, avec Jean Marie Messier, Emmanuel Macron et Alexis Kohler ces dernières années sur les dossiers de l'énergie et du nucléaire). Et de l'autre, Anne Lauvergeon, ancien présidente d'Areva débarqué en juin 2011, qui se défendait pourtant dans une interview accordée à Complément d'enquête, le magazine de France 2, de toute ambition dans ce sens, tout en souhaitant que le corps social d'EDF retrouve son « enthousiasme » des origines.
Mais ces considérations de personnes ne suffiront pas à régler la situation délicate d'EDF et de la filière nucléaire française. L'intégration verticale de différents industriels du secteur dans EDF est-elle réellement appropriée ? Un acteur du secteur s'inquiète : « EDF est un assemblier, un exploitant, pas un industriel. Il s'agit de redéfinir clairement les missions d'EDF. Chacun doit retrouver sa place. Si EDF fait tout et qu'on s'en sert comme vache à lait, ça ne peut plus marcher ». L'État a pourtant fait ces choix depuis une dizaine d'années : après le démantèlement d'Areva, il a exigé d'EDF d'intégrer certains de ses fournisseurs, en devenant ainsi le principal actionnaire de son équipementier Framatome. Reste que le dossier de rachat des turbines Arabelle de Belfort à GE, annoncé à grand renfort de com' en février dernier par le président de la République lui-même, est loin d'être conclu.
Malheureusement pour les Français, cette future architecture industrielle ne peut régler les problèmes urgents de l'automne concernant les hausses de prix dans l'énergie. D'autant que le gouvernement se refuse toujours de baisser la TVA et de bloquer les marges des grands groupes sur tout le secteur de la distribution de l'énergie. Pour l'Elysée et Elisabeth Borne, la bombe énergétique est toujours devant eux.