
Dix-sept ans après son entrée en Bourse, retour en arrière pour EDF. Déjà propriétaire de près de 84% du capital, l'Etat va nationaliser à 100% l'énergéticien français et le retirer de la cote. Une manière de le sortir de la « dictature des marchés ». Et plus précisément de celle de l'agence de notation financière Standard & Poor's (S&P) laquelle, effrayée par les prévisions financières et le manque de visibilité sur l'indisponibilité d'une partie du parc nucléaire, ne cesse de faire planer la menace d'une nouvelle dégradation de la note d'EDF. Une perspective que redoute le gouvernement et EDF puisqu'elle entraverait les capacités du groupe à renégocier sa dette et à négocier de nouvelles lignes de financement. Certes, une nationalisation n'enlèvera pas la surveillance des agences, mais elle laisse espérer moins d'agressivité des analystes sur la dette en raison du renforcement de la garantie de l'Etat.
L' État va financer l'essentiel du programme
L'enjeu est de taille. Néanmoins, il va bien au-delà. Car, si elle est bel et bien une condition nécessaire pour assurer l'avenir du groupe, cette renationalisation n'est en rien une solution structurelle aux enjeux de sa transformation pour mener à bien la relance du nucléaire tricolore. Elle n'est, par conséquent, que la première étape d'un très long chemin dont le point d'arrivée sera la construction de 6 nouveaux réacteurs nucléaires (dits EPR2) entre 2035 et 2042, sans compter les huit autres réacteurs en option comme l'a annoncé Emmanuel Macron dans son discours de Belfort, le 10 février dernier. Soit, ni plus ni moins, le plus gros programme électronucléaire du monde occidental depuis une quarantaine d'années. Un projet pharaonique d'une complexité industrielle et financière considérable dont le coût l'est tout autant : plus de 50 milliards d'euros, une enveloppe inabordable pour EDF. C'est donc l'Etat qui assurera l'essentiel du financement. L'énergéticien sera néanmoins mis à contribution. Suffisamment pour engloutir pendant 20 ans tous ses moyens financiers, et l'obliger à augmenter rapidement ses fonds propres. C'est le prix à payer pour contribuer à assurer l'indépendance énergétique de la France, sa seule mission ou presque désormais. A tel point que, demain, EDF s'apparentera davantage à un vaste programme industriel national qu'à une véritable entreprise focalisée sur ses résultats financiers.
Bras de fer en vue avec Bruxelles
Pour autant, entre la renationalisation d'aujourd'hui et ce point d'arrivée, le chemin sera long et compliqué. Il passera tout d'abord par une nouvelle négociation serrée à Bruxelles concernant la régulation du parc nucléaire installé, le financement des nouveaux EPR, et la restructuration de l'énorme dette du groupe, qui s'élevait à près de 43 milliards d'euros en fin d'année dernière et pourrait flirter avec les 100 milliards fin 2022, selon S&P. Dans ce contexte, l'objectif français est clair : cette régulation doit permettre à la fois de fixer dans le temps les prix de sortie du kilowattheure et d'obtenir une électricité abordable, dès la mise en service des premiers EPR2 entre 2035 et 2037. Pour Paris, hors de question qu'un programme nucléaire, qui s'étend sur un siècle entre la conception et le démantèlement, soit exposé à des prix de marché, souvent volatils.
De quoi faire tousser Bruxelles. Si la Commission ne peut s'opposer à une nationalisation, elle peut, en revanche, imposer des « murailles de Chine » entre les activités régulées bénéficiant d'une aide d'Etat et les autres. Par conséquent, des contreparties au plan français sont évidemment à attendre du côté de la Commission.. Même si la guerre en Ukraine a placé les questions d'indépendance énergétique au cœur des priorités, elle goûte toujours aussi peu aux monopoles intégrés. Pas très « market spirit » en effet. Une façon donc de revenir au projet Hercule d'organisation d'EDF, enterré l'an dernier devant la grogne syndicale. EDF devra en effet vendre des actifs pour se recentrer sur le nucléaire, l'hydraulique et peut-être sa filiale Enedis. En contrepartie, les participations dans Edison, Dalkia...seront vendues, tandis que les autres géants français, Engie et TotalEnergies lorgnent déjà les activités d'EDF dans les énergies renouvelables. Jean-Pierre Clamadieu, le président du conseil d'Engie, l'a même dit publiquement, au risque de susciter l'agacement au sein de l'Etat, d'EDF, mais aussi de son conseil d'administration.
A la recherche d'un pilote
Si le chemin est long, le gouvernement doit néanmoins aller vite. Une mise en service en 2035-2037 suppose de commencer les travaux en 2027-2028, à condition d'avoir obtenu toutes les autorisations nécessaires à la construction. Pour mener à bien ce projet colossal, l'Etat vient de lancer le processus de succession du PDG Jean-Bernard Lévy. L'idée est de le remplacer rapidement, bien avant la fin de son mandat en mars 2018. Si ce dernier restera celui qui a obtenu la relance du nucléaire, son successeur aura la charge de mener à bien sa réalisation. Qui pour le remplacer ? Beaucoup vont venir frapper à la porte. Et pour cause : conduire pendant 5 ou 10 ans le plus grand programme nucléaire au monde a de quoi faire rêver, même si la rémunération annuelle capée à 450.000 euros dans les entreprises publiques sera largement en dessous de celles en vigueur dans le privé. L'oiseau rare devra avoir les épaules pour mettre en tension une entreprise de cette taille et s'assurer de structurer une filière nucléaire française. Un profil d'ingénieur semble nécessaire, jeune qui plus est pour pouvoir s'inscrire dans la durée de deux mandats, nécessaires pour relever un tel défi.
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