Avec 20.000 kilomètres de côtes, la France possède le deuxième espace maritime mondial derrière les Etats-Unis, selon les données du réseau national des observatoires du trait de côte. Les 975 communes littorales devraient même accueillir 4,5 millions d'habitants supplémentaires d'ici à 2040. Sauf que plus de 80% des villes concernées sont sujettes à des risques naturels majeurs, estime cette même source.
126 communes concernées
C'est sans doute pourquoi, dans la continuité de la loi « Climat & Résilience » d'août 2021, une ordonnance relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte a été signée le 6 avril dernier en Conseil des ministres. Objectif : « faciliter la relocalisation progressive de l'habitat et des activités affectées par l'érosion ».
« 1/5 des côtes françaises est soumis à l'érosion [... ] D'ici 2100, au moins 50 000 logements seront concernés. Ce changement est certain et les outils de protection, comme les digues, longtemps utilisés n'ont qu'une efficacité au mieux limitée face à ce phénomène » est-il écrit dans le compte-rendu du Conseil des ministres.
Ce dernier rappelle la liste, publiée au Journal officiel le 30 avril, des 126 communes dont « l'action en matière d'urbanisme et la politique d'aménagement doivent être adaptées aux phénomènes hydrosédimentaires entraînant l'érosion du littoral ». La majorité (41) se trouve en Bretagne, suivie, dans le désordre, par l'Outre-Mer (25 dont 13 en Martinique), la Corse, les Hauts-de-France, la Normandie, la Nouvelle-Aquitaine, l'Occitanie, les Pays de la Loire et la Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Un impact financier « ni maîtrisé, ni documenté, ni argumenté »
Les communes concernées devront établir un « plan de prévention des risques littoraux » ainsi qu'une « carte locale d'exposition de leur territoire au recul du trait de côte ». Sauf que selon l'association des maires de France (AMF) et l'association nationale des élus du littoral (ANEL) viennent d'annoncer saisir le Conseil d'Etat afin de « garantir la sécurité juridique de l'ensemble du dispositif et d'accompagner l'action des maires ».
Les deux associations d'élus affirment que les 126 communes concernées ont été « consultées à la hâte et sans véritable information sur le diagnostic de leur exposition à l'érosion littorale, ni sur les servitudes d'inconstructibilité auxquelles elles seront soumises, ni sur le financement futur des mesures ».
« L'ordonnance opère un transfert de charges masqué de l'Etat vers les communes, sans les ressources financières dédiées, alors que l'impact financier de l'érosion du littoral est estimé à plusieurs dizaines de milliards d'euros », assènent-elle encore.
« Cet impact financier n'est absolument ni maîtrisé, ni documenté, ni argumenté », assure ainsi une porte-parole de l'association nationale des élus du littoral (ANEL) à La Tribune. Elle en veut pour preuve que les études se sont multipliées sur des sujets et des échéances différentes.
Pour une approche globale, à commencer par l'estimation des coûts
Par exemple, le Cerema, rattaché à Matignon, a publié une étude en 2019 expliquant que 5.000 à 50.000 logements d'une valeur comprise entre 0,8 et 8 milliards d'euros seraient concernés d'ici à 2100. Elle relève aussi une mission d'impact réalisée, également en 2019, par l'Inspection générale de l'Administration, l'Inspection générale des Finances et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) qui évoque une facture de 140 à 800 millions d'euros à horizon 2040 pour racheter les biens menacés.
Au contraire des services de l'Etat, les associations d'élus locaux plaident pour une approche globale, à commencer par l'estimation des coûts : ceux concernant les études, l'acquisition du foncier pour déménager les biens préemptés, le rachat des biens, sans oublier les coûts des infrastructures gérées par les collectivités - routes, réseaux d'assainissement, d'eau et d'électricité -, et des équipements publics (écoles), des ports et des aéroports et bien sûr celui des activités économiques - bars, campings, restaurants -.
L'association nationale des élus du littoral plaide pour comparer ce chiffrage au coût de gestion des digues et des ouvrages de protection pour mesurer le rapport coûts/bénéfices et mettre en œuvre des politiques publiques correspondantes. De la même façon qu'elle demande une « vraie réflexion » sur la prise en charge de ces coûts collectifs. Sa porte-parole évoque des emprunts de longue durée et confie « commencer à en discuter » avec la Banque des territoires (groupe Caisse des Dépôts).
Dans le détail, l'ordonnance précise que les communes n'ayant pas un plan de prévention des risques littoraux doivent élaborer, dans les quatre ans, une cartographie pour suivre le recul du trait de côte. « Elles pourront compter sur l'appui technique et financier de l'Etat », écrit le gouvernement sur son site Internet. Soit 2 millions d'euros dans le budget 2022. « C'est une goutte d'eau ! L'Etat nous demande de faire ce qu'il faisait avant », s'exclame-t-on à l'association nationale des élus du littoral (ANEL).
Un droit de préemption des communes qui fait débat
En réalité, ce qui fait le plus débat est le droit de préemption des communes pour l'achat de biens dans les zones particulièrement exposées. « Il n'y a pas de nouveaux financements », regrette la porte-parole de l'ANEL, qui porte la création d'un fonds spécifique.
Une proposition relayée dès novembre 2019 par le député (LREM) de la Vendée Stéphane Buchou dans son rapport « Quel littoral pour demain ? Vers un nouvel aménagement des territoires côtiers adapté au changement climatique ». Il préconise en effet de mettre en place un « fonds d'aménagement littoral » alimenté une augmentation communale additionnelle aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui s'imposent dans toute transaction immobilière. Le taux serait à déterminer en même temps que la question de sa progressivité.
« Cette taxe additionnelle serait prélevée sur le périmètre des intercommunalités disposant d'une façade littorale pour toute transaction dont le montant net excéderait 100.000 euros », précise Stéphane Buchou.
Une taxe additionnelle aux droits de mutation à titre onéreux ?
Une idée plus ou moins reprise par sa collègue (LREM) de Sophie Panonacle, députée (LREM) de Gironde dans sa proposition de loi visant créer à un fonds permettant de financer les dispositifs d'aménagement adaptés aux communes concernées par le recul du trait de côte, dit « Fonds Érosion Côtière ».
« A part 2 millions d'euros consacrés à l'accompagnement des communes littorales dans leur prochaine obligation à réaliser une cartographie du risque érosion côtière, et 5 millions d'euros pour le renforcement des ouvrages (crédits de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France), rien ne laisse espérer un effort conséquent dans un avenir proche » écrit-elle dans une opinion parue dans La Tribune Bordeaux.
Elle propose donc la création d'une taxe additionnelle aux DMTO d'un taux de 0,01%. Les recettes seraient de 25 millions d'euros pour une assiette de 250 milliards d'euros, correspondant au cumul moyen de la totalité des ventes de biens immobiliers sur une année. La participation de l'acquéreur pour l'achat d'un bien immobilier de 200.000 euros ne serait, lui, que de 20 euros, pour 500.000 euros de 50 euros, ou encore pour un million d'euros de 100 euros. Pour autant, son texte n'a pour autant jamais été inscrit à l'ordre du jour.
Un bail d'adaptation à l'érosion côtière pour une durée de 12 à 99 ans
L'ordonnance crée par ailleurs un bail d'adaptation à l'érosion côtière pour une durée de 12 à 99 ans. Ce dernier permet une résiliation anticipée du bail en cas d'avancée de l'érosion mettant en péril les personnes et les biens dans laquelle est pris en compte le financement de la relocalisation des activités.
« C'est une bonne chose car il permet de gérer des biens exposés à une échéance incertaine. La collectivité ou l'Etat peut louer un bien pour en récupérer des recettes », souligne l'association nationale des élus du littoral, « mais le modèle économique n'est pas équilibré », pointe-t-elle aussitôt.
Elle ne croit pas si bien dire. Les biens ne pourront pas être loués éternellement du fait de l'érosion. Aussi, leur valeur économique sera nulle, car dès l'imminence du danger, ils devront être démolis et renaturés par leur bailleur.