La perspective n'a sûrement pas effleuré François 1er lorsqu'en 1517, il décida de construire le port du Havre en drainant les marais de la plaine alluviale de l'embouchure de la Seine. Cinq siècles plus tard, cette topographie singulière vaut au Havre et à onze localités voisines d'être cataloguées, parmi les territoires à fort risque d'inondations - ou "TRI" dans le jargon administratif. Autrement dit, ceux qui, en France, ont le plus à craindre de l'élévation du niveau des mers et de l'accélération simultanée des phénomènes climatiques extrêmes.
Comme tous les TRI depuis la tempête Xynthia, la zone en question est soumise à l'approbation d'un Plan de prévention des risques littoraux dont la procédure arrive dans la dernière ligne droite. Au terme de trois longues années de modélisation des aléas, quartier par quartier, ce document cadre fera l'objet d'une enquête publique l'an prochain, avant de s'imposer à tous les documents d'urbanisme. « Il aura un pouvoir normatif important », prévient Vanina Nicoli, sous-préfète de l'arrondissement.
Sa vocation : maitriser l'urbanisation dans les secteurs exposés aux submersions marines et ce, pour plusieurs décennies. Facile à dire, beaucoup moins aisé à réaliser à l'échelle d'une conurbation portuaire et industrielle de cette taille. « C'est le premier plan de cette importance en France. La démarche menée ici est donc scrutée très attentivement » fait valoir Jean Kugler, directeur départemental des territoires et de la mer (DDTM) de Seine-Maritime.
« On ne prépare pas un exode »
En réalité, les pouvoirs publics sont confrontés à un dilemme cornélien. Comment imposer de nouvelles règles sans apparaître comme des empêcheurs d'aménager en rond ? L'exercice est compliqué, admet Edouard Philippe. « C'est un énorme sujet sensible qui implique d'importants enjeux urbains et économiques. Mais nier le problème serait une erreur ». Est-ce par peur d'inquiéter ? Quelques minutes plus tard, l'ancien Premier ministre adopte un ton plus rassurant. « Que les gens n'imaginent pas qu'on prépare un exode ou la mise sur pilotis de la ville » tempère t-il. « Il faut que les prescriptions puissent être réalisables sur le terrain » insiste la sous-préfète en écho. Traduction: réguler oui, hypothéquer le développement non.
On l'aura compris. Le projet de règlement du plan de prévention tel qu'il sera présenté bientôt au public ne tient pas du big bang. Il prévoit ainsi de laisser constructible la majeure partie des zones inondables déjà occupées moyennant une meilleure diffusion de la culture du risque et la mise en place de « mesures de réduction de la vulnérabilité ». La stratégie proposée est celle de la progressivité. En clair, plus les quartiers sont exposés au danger et plus leurs occupants devront se plier à des contraintes : la surélévation des planchers des nouveaux entrepôts dans les zones portuaires et industrielles pour ne citer qu'un exemple. A l'inverse, plus on s'éloignera de la zone "rouge" et plus il est proposé de densifier l'urbanisation.
Les rédacteurs du projet insistent, par ailleurs, sur la nécessité de « favoriser l'intervention des secours ». Aussi recommandent-ils de limiter la présence de personnes vulnérables (enfants, personnes âgées...) incapables d'évacuer seules, dans les secteurs les plus à risques. Pour expliquer cette stratégie, élus et représentants de l'Etat mettent en avant la prévisibilité des phénomènes auxquels risque d'être confrontée l'agglomération havraise.
« Un événement soudain comme celui qu'a connu l'Allemagne est hypothétique, assure Jean Kugler. Le risque ici est lié à la conjugaison de forts coefficients de tempête et de fortes marées que Meteo France sait prévoir plusieurs jours à l'avance ».
Dans les zones naturelles en revanche, l'approche est plus radicale. Le parti-pris est celui de la sanctuarisation pure et simple. Objectif : conserver intact la capacité de stockage des eaux qu'offrent les prairies et autres tourbières pour atténuer les effets des submersions dans les quartiers occupés. « Il nous faut à la fois préserver les espaces naturels et densifier la ville » résume Edouard Philippe.
Des vertus de l'anticipation
Reste à voir quelles seront les conséquences de ces nouvelles contraintes sur le complexe industrialo-portuaire et poumon économique de la communauté urbaine. Difficile d'en évaluer les impacts à ce stade. Pour autant, le directeur du port affiche sa sérénité. « Dans 90% des cas, cela ne nécessitera que de réaliser des études hydrologiques complémentaires » assure t-il.
Baptiste Maurand veut même croire que ces mesures de protection confèreront un avantage concurrentiel à l'écosystème de l'estuaire de la Seine. « Anticiper, c'est rendre le territoire plus attractif, affirme t-il avec la foi du charbonnier. Face à des villes comme Singapour ou Houston confrontées à des risques de typhons ou d'événements hors normes, Le Havre pourra se prévaloir d'un vrai argument commercial ». Dont acte.