LA TRIBUNE- Quel pourrait être l'impact du conflit en Ukraine sur l'attractivité de l'économie française ?
CHRISTOPHE LECOURTIER- Je pense que le mouvement de relocalisation et de réindustrialisation est irréversible car il s'explique en grande partie par la dépendance trop grande à l'égard de la Chine et non par le conflit en Ukraine. La crise a montré que la France a payé le coût de ces dépendances et la nécessité d'y remédier, dans les secteurs critiques pour la vie du pays. Beaucoup de grands acteurs industriels ont choisi de mieux répartir leur production dans les chaînes de valeur pour ne pas dépendre uniquement d'un seul pays fournisseur. Ce mouvement ne devrait pas être affecté par la crise ukrainienne sauf en cas d'escalade militaire, bien sûr. En fonction de la durée de la crise et de l'évolution des prix de l'énergie, on peut être confronté à un ralentissement en 2022. Cette guerre peut conduire à de l'attentisme de la part des acteurs. Mais les fondamentaux, y compris la relocalisation croissante en Europe d'activités industrielles, jouent en notre faveur sur le moyen terme.
Le commerce extérieur a enregistré un déficit record en 2021. Avec la hausse des prix du pétrole et des matières premières, la balance commerciale pourrait encore se détériorer. Cette facture pourrait tellement peser sur le commerce extérieur français que son déficit pourrait dépasser cette année la barre symbolique des 100 milliards d'euros, pensent certains économistes. Comment faire pour rendre l'économie française moins dépendante à court terme ?
Il faut savoir que les investisseurs étrangers en France réalisent 30% de nos exportations. La France occupe une place centrale dans le marché unique européen. A partir de la France, les investisseurs étrangers irriguent le reste de l'Europe, voire au-delà - notamment en Afrique. Plus la France suscite de projets d'investissement, plus on relocalise et plus on réduit notre dépendance. Cela doit également permettre de réduire notre déficit commercial. Je crois beaucoup à la contribution des étrangers pour recréer une base industrielle que la France a perdue. Les investisseurs étrangers peuvent également contribuer aux enjeux essentiels pour demain, comme la filière des batteries pour les voitures électriques.
La guerre a déjà plombé l'économie russe en seulement quelques semaines de conflit. Certains investisseurs pourraient-ils se réorienter vers l'Europe et la France ?
Il n'y avait pas beaucoup d'investissements étrangers en Russie depuis un moment compte tenu du régime de sanctions qui prévaut depuis 2014 avec l'annexion de la Crimée. Beaucoup de banques russes étaient déjà dans le viseur et certains Russes persona non grata en Europe. La Russie avait commencé à s'isoler sur le plan économique depuis 2014. Elle a développé des filières de substitution aux importations qui vont souffrir de nouvelles sanctions. L'économie russe est en train d'encaisser des sanctions sans précédent, qui feront mal à ses entreprises comme à ses consommateurs.
Je ne vois pas beaucoup de flux d'IDE se réorienter vers l'Europe occidentale au détriment de la Russie, car celle-ci n'était pas une destination privilégiée pour les investisseurs étrangers. Ce qui est sûr c'est que l'intégration de l'économie russe à l'Occident connaît un coup d'arrêt supplémentaire, qui ne manquera pas de peser sur son potentiel et sur ses performances.
S'agissant des investissements internationaux en France, quels sont les principaux enseignements de votre dernier rapport dévoilé en début de semaine ?
Le premier enseignement est que la dynamique qui s'est enclenchée en début de quinquennat a atteint en 2021 son plus haut niveau. A l'époque du président Hollande, la France enregistrait en moyenne un millier de projets d'investissements étrangers chaque année. Le solde d'emploi lié aux investissements étrangers était d'environ 30.000 emplois créés ou maintenus par an. Aujourd'hui, environ 1.500 projets d'investissements ont été recensés. En termes d'emplois, on est plutôt à 45.000. La France a changé de braquet avec une hausse de près de 50% des projets d' investissements et des emplois créés. Le second enseignement, c'est la part croissante des projets industriels, qui ont augmenté de 48% en un an et proviennent en premier lieu d'Allemagne. Ils « pèsent » un gros tiers des emplois créés.
Dernier enseignement important : les projets vont certes dans les grandes villes et les métropoles mais 45% des projets se dirigent dans des communes de moins de 20.000 habitants. Ils répondent donc à la fois à l'objectif de réindustrialisation de la France mais également à celui de la revitalisation des territoires.
Comment la France se situe-t-elle par rapport à son niveau d'avant crise ? Comment expliquez vous un tel rebond ?
La France se situe très nettement au-dessus de son niveau d'avant crise de 2019 (environ 10%) qui était déjà très élevé. La France par la taille de son marché et la qualité de ses infrastructures, celle de la formation et sa productivité est un pays attractif. Le changement d'ambition est intervenu dès 2017, lorsque le président de la République a fait de l'attractivité un enjeu majeur, avec l'objectif de devenir numéro un en Europe. L'exécutif a fait des réformes qui n'avaient jamais été faites sur la fiscalité, sur le code du travail. Cela a dopé l'attractivité de la France. La « belle endormie » s'est réveillée de manière spectaculaire, et nous en touchons aujourd'hui les dividendes.
Plus récemment, la pandémie a remis en avant les enjeux de relocalisation et de réindustrialisation. Pour la France, ces enjeux sont portés clairement par le plan de relance et le plan France 2030, qui ont contribué à l'attractivité de l'économie tricolore en donnant de la visibilité aux investisseurs. Si ceux-ci connaissent l'orientation de la France en faveur des énergies renouvelables, de l'agroalimentaire, de la santé, ils savent ainsi qu'ils disposeront du soutien des pouvoirs publics, des Régions, pour développer des projets dans ces domaines. Cette stratégie à la fois prospective, et en même temps très concrète, a fait la différence avec les autres pays.
D'où viennent principalement les investissements étrangers ?
L'Allemagne est devenue le premier investisseur en France en 2021. Historiquement, les Etats-Unis occupaient cette position. Ce changement s'explique par une très forte croissance des projets industriels. Entre 2020 et 2021, il y a eu une croissance de près de 50% des projets industriels. Les Américains investissent plutôt dans des projets de recherche et développement ou de logistique.
C'est une bonne nouvelle car la France cherche depuis plusieurs années à relocaliser de la production, et la crise a encore accentué cette nécessité. Aujourd'hui les entreprises étrangères s'inscrivent parfaitement dans les priorités du plan de relance national. Il y a beaucoup de projets dans les énergies renouvelables, dans la filière de l'automobile électrique et des batteries. Par la clarté des priorités retenues, cette stratégie crée des perspectives « attractives » et permet aux investisseurs étrangers de contribuer à la réussite du plan de relance. Les Etats-Unis qui arrivent en seconde position demeurent les principaux pourvoyeurs d'emplois. La Grande-Bretagne arrive en troisième position. Il y a un effet "Brexit". Les entreprises en Grande-Bretagne sont plus nombreuses à s'intéresser à la France.
Quelles sont les principales régions bénéficiaires de ces investissements ?
Dans les régions, on observe une forme de spécialisation. Les régions du Nord et de l'Est enregistrent des projets d'investissement industriel car elles sont proches de l'Allemagne. En Bretagne ou en Normandie, ce sont plutôt des projets d'investissement liés à l'agroalimentaire. Concernant la cosmétique, secteur majeur dans notre pays et pour la compétitivité export, il s'agit plutôt de la région Sud et du Centre-Val-de-Loire. Cette spécialisation permet de faire valoir à chacune des régions ses atouts et ses priorités. Elle permet de s'appuyer sur les écosystèmes spécifiques à chaque région comme la Cosmetic Valley dans le Centre-Val-De-Loire pour l'attraction des projets étrangers.
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