Il y a urgence. Préserver le pouvoir d'achat des Français alors que l'inflation s'installe, tel est le premier engagement qu'Emmanuel Macron a formulé pour son second mandat. Des promesses réunies dans une grande loi inflation que le Président souhaite dégainer très vite, avant l'été. Mais plusieurs obstacles se posent à lui.
1 - Le premier est le calendrier
D'abord, le gouvernement est bloqué par le calendrier électoral. Pour adopter sa grande "loi anti-inflation", il faut que l'Assemblée nationale soit constituée. Et pour ce faire, il doit attendre les scrutins législatifs des 10 et 19 juin prochains. Avec la nécessité d'obtenir une majorité électorale suffisamment large pour faire adopter le texte qu'il aura préparé.
En attendant, le risque est politique. Alors que les Français, chaque jour, constatent que les tarifs augmentent dans les rayons, ils ont le sentiment que rien n'est fait pour eux... Risqué en période de campagne électorale, face à une gauche qui se structure autour de Jean-Luc Mélenchon.
D'où cette idée avancée par Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, de faire une communication des mesures dès lors que le prochain gouvernement sera constitué... en attendant que l'Assemblée nationale ne siège.
2 - La technicité des mesures
Bercy a retenu la leçon des économistes : pour être efficaces, les mesures doivent être plus ciblées pour toucher les ménages qui en ont plus besoin. Sans quoi cela revient à aider aussi les hauts revenus. "Il faut éviter d'arroser le sable", résume ainsi Laurent Berger, le leader de la CFDT.
Pour le chèque alimentation, par exemple, que le chef de l'Etat veut mettre en place sans tarder, le chiffre de 8 millions de bénéficiaires a été évoqué par Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture, en charge du dossier. Reste à savoir comment toucher ces foyers. Bercy souhaiterait passer par le réseau des caisses d'assurances familiales. Mais l'Elysée tient aussi à atteindre les étudiants modestes, un public par définition, plus éclaté.
Par ailleurs, la technicité de la mesure vire au casse-tête. A l'origine, le chèque alimentation a été pensé pour aider les familles à lutter contre la hausse des prix mais aussi pour les inciter à mieux se nourrir, en orientant leurs achats sur des produits locaux, naturels... et donc favoriser aussi notre agriculture. Mais, les industriels de la grande distribution s'inquiètent. Ils ne savent pas comment faire le distinguo à la caisse entre une barquette de fraises produite en France et une autre venue d'Espagne...
Enfin, le montant de ce chèque n'est pas encore défini. Là aussi, Julien Denormandie a évoqué entre 50 et 60 euros par mois, mais rien n'a été tranché. A Bercy, les calculettes tournent à plein. "Le principe de ce chèque alimentation a été pris au moment de la convention climat, mais c'est typiquement une idée de bobos difficilement à mettre en oeuvre avec le réel ", s'agace un conseiller de Bercy.
3 - Réussir à satisfaire tout le monde
Comment faire en sorte que les dispositifs imaginés pour limiter les effets des hausses de prix ne créent pas des levées de bouclier ici et là ? C'est aussi le défi posé au gouvernement avec cette loi.
Exemple, les équipes d'Emmanuel Macron planchent sur la façon de compenser l'augmentation des loyers, en intervenant sur l'indice de référence des loyers dont la progression est estimée à 2,5% depuis le début de l'année - un niveau que l'on n'a pas connu depuis 2008.
Mais politiquement, le sujet est ultra-sensible. Déjà parce que plus de 60 % des Français sont propriétaires... "En majorité, le niveau de revenus des propriétaires est plus élevé que celui des locataires, mais il n'empêche, on sait que certains locataires sont plus aisés que des petits propriétaires...", pointe un conseiller ministériel. Et d'ajouter : "sans compter que les "petits" propriétaires, qui louent un bien voudront répercuter la hausse des loyers... on va les rembourser ? Vous imaginez l'usine à gaz". Les associations de propriétaires ne voient pas d'un très bon oeil ce genre de disposition. Surtout à un moment où ils ont le sentiment que le gouvernement ne les épargne pas, en leur demandant de mieux isoler les biens qu'ils mettent sur le marché.
4 - Eviter le dérapage budgétaire
Chèque alimentation, limitation ou blocage de la hausse des loyers, mais aussi revalorisation des pensions de retraites dès le mois de juillet, promise par le chef de l'Etat, ainsi que la revalorisation exceptionnelle de certains minima sociaux, comme le RSA... le texte ne veut oublier personne.
C'est sans compter aussi sur les automobilistes qui prennent de plein fouet la hausse des prix des carburants. Le gouvernement a déjà fait savoir qu'il prolongerait la ristourne de 18 centimes d'euros au-delà du 31 juillet. Probablement d'un mois, pour éviter aux "aoûtiens" d'être pénalisés vis-à-vis des "juilletistes". Ensuite, à la rentrée, il souhaite concentrer son soutien sur les "gros rouleurs", ces Français - modestes - contraints d'utiliser beaucoup leur voiture pour aller travailler.
Enfin, il y a aussi le bouclier tarifaire sur le gaz - prévu normalement jusqu'à fin juin - qui sera également prolongé jusqu'à la fin de l'année 2022.
Alerte rouge sur la dette
La liste des dispositifs est longue et la facture promet d'être salée pour les finances publiques. "Pour rappel, depuis l'automne, on a déjà dépensé plus de 26 milliards d'euros pour aider les ménages à faire face à l'inflation", s'alarme un membre de Bercy. Combien de milliards faudra-t-il encore débourser ?
Personne dans l'entourage du gouvernement ne s'aventure à donner une estimation, mais il y a de quoi s'inquiéter. Car alors que notre économie donne des signes de faiblesse - ralentissement de la consommation, croissance nulle, déficit extérieur qui explose ...- notre pays se tournera vers la dette. Or, avec la remontée attendue des taux de la banque centrale européenne, celle-ci promet d'être de plus en plus "chère".
François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la banque de France le rappelait pas plus tard que cette semaine : une remontée de 1% des taux représente 40 milliards d'euros de dépenses en plus pour le budget de l'Etat. Sachant que la dette publique de l'Hexagone dépasse les 113 % de notre PIB, il y a alerte rouge...