La sentence est enfin tombée. Après un mois d'âpres débats et de pourparlers, le Conseil constitutionnel a annoncé une large censure du projet de loi sur l'immigration adopté fin décembre au Sénat. Sans surprise, les Sages ont rejeté dans leur décision les articles défendus par la droite et l'extrême droite cherchant à durcir le ton sur l'immigration. Au total, 40% des articles du texte ont été censurés. Pour rappel, le Conseil avait été saisi sur 49 articles sur 86. « Il s'agit de la plus longue décision de l'histoire du Conseil », selon un spécialiste de la Constitution.
Marqué par les mobilisations contre les retraites, le ministère de l'Intérieur avait mobilisé un grand nombre de forces de l'ordre à l'extérieur du bâtiment. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a immédiatement réagi.
« Fidèle à sa jurisprudence, le Conseil censure une trentaine d'articles de la loi immigration. Il valide le projet de loi initial du gouvernement qui peut désormais expulser les délinquants, régulariser les travailleurs et mettre en oeuvre les procédures simplifiées », s'est félicité le président de la Commission des Lois Sacha Houlié à l'Assemblée.
Devant la façade de l'institution, place du Palais Royal à Paris, des opposants au texte, encadrés par des dizaines de cars de CRS, sont venus battre le pavé en dénonçant une loi « portant gravement atteinte aux droits des personnes exilées ». Plusieurs associations, collectifs de défense pour les travailleurs sans papiers, ONG et syndicats ont tous rapidement demandé au chef de l'Etat le retrait du texte dans un appel. « Même censuré de quelques dispositions jugées anticonstitutionnelles, ce texte, le plus hostile aux personnes étrangères depuis 1945, ne fera qu'aggraver la précarité de dizaines de milliers de personnes ». Le Parti socialiste (PS) a également réclamé le retrait de la loi dans un communiqué. Mais le souvenir du feu vert du Conseil constitutionnel pour la réforme des retraites au printemps a laissé un goût amer chez les opposants.
Une avalanche de cavaliers législatifs
Le projet de loi adopté au Parlement avant les fêtes avait provoqué un séisme politique majeur poussant le ministre de la Santé Aurélien Rousseau à la démission. Dans les rangs de la Macronie, plusieurs députés avaient exprimé ouvertement leur opposition à ce texte largement amendé par la droite et l'extrême droite. Un mois après cette crise, les Sages de la rue Montpensier ont finalement retoqué 32 cavaliers législatifs. « Le projet de loi initial comportait 27 articles, et au final, il comportait 86 articles. Le risque de cavalier était d'ampleur », explique un juriste. Pour rappel, un cavalier législatif désigne un article qui n'a pas de lien, « même indirect », avec la copie initiale de l'exécutif.
Parmi les mesures les plus controversées, a été censuré le durcissement de l'accès aux prestations sociales - allocations familiales, aides au logement - que le législateur voulait conditionner à une durée de résidence allant jusqu'à cinq ans. Censurées aussi les restrictions au regroupement familial, qui ne sera pas soumis à la maîtrise de la langue française ni à une vérification de ressources par les maires. « Beaucoup d'articles n'avaient pas trait avec l'immigration. Il y a un enjeu de cohérence du débat parlementaire », souligne un constitutionnaliste. Toutes ces dispositions ont toutefois été censurées pour des motifs de procédure, ce qui ne préjuge pas de leur conformité à la Constitution et n'empêche donc pas qu'elles soient reprises dans un autre texte.
L'instauration de quotas migratoire retoquée
Lors de l'examen du texte, le collège des juges s'est également prononcé sur le fond de quelques articles. Parmi les points largement débattus, figure la fixation de quotas migratoires. Ces dispositions prévoyaient que le Parlement détermine, pour les trois années à venir, le nombre des étrangers admis à s'installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l'exception de l'asile, rappelle le Conseil.
Mais, finalement, les Sages ont également rejeté cet article. « Ce n'est pas à la loi de fixer l'ordre du jour des assemblées », explique un juriste. Les 9 membres du Conseil ont également rejeté l'article 38 sur le relevé des empreintes digitales et la prise de photographie d'un étranger sans son consentement. « La loi doit exiger la possibilité de la présence d'un avocat et doit prévoir des garanties sur les libertés individuelles », précise un expert. Or les magistrats ont considéré que cet article pouvait porter atteinte à certains principes de la déclaration des droits de l'homme.
Une promulgation possible sous 15 jours mais des risques de contentieux
Après cette décision, le chef de l'Etat a immédiatement demandé au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin de « tout mettre en œuvre pour que la loi soit appliquée dans les meilleurs délais ». Deux options se dessinent au gouvernement. Soit le président de la République décide de promulguer le texte de loi sans les articles censurés, soit il décide de soumettre le texte amputé des décisions du conseil constitutionnel à délibération. Dans ce dernier cas, cette décision « pourrait à nouveau exposer le texte au risque de cavalier ». Actuellement, « 60% de la loi pourraient être promulguée par le président de la République », estime un haut fonctionnaire. « Mais seulement 10 d'entre eux ont fait l'objet de conformité. Cela signifie que les contentieux peuvent se poursuivre sur un grand nombre d'articles ». Le gouvernement Attal risque une nouvelle fois de tanguer.