Le Conseil constitutionnel a de lourdes responsabilités sur les épaules. Après une adoption chaotique en décembre, le projet de loi sur l'immigration doit encore passer à la moulinette des neuf Sages de la rue Montpensier. Attendu ce jeudi 25 janvier, l'avis du Conseil constitutionnel sera particulièrement scruté par le Premier ministre Gabriel Attal fraîchement arrivé à Matignon et les oppositions. Empêtré dans une crise agricole à rallonge, l'exécutif va devoir être sur plusieurs fronts pour éviter tout risque de contagion à d'autres secteurs. La colère des agriculteurs continue de se propager partout sur le territoire.
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De leur côté, de nombreuses associations, collectifs, humanitaires et opposants au texte espèrent une censure totale des Sages. Mais le souvenir du feu vert du Conseil constitutionnel sur la réforme des retraites au printemps 2023 a laissé un goût d'amertume.
Pour rappel, le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur quatre saisines déposées en décembre. Les deux premières ont été signées par le chef de l'Etat et la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet. Deux autres ont été déposées par les forces de gauche de l'Assemblée nationale et du Sénat. « Emmanuel Macron a déjà saisi le Conseil constitutionnel à trois reprises sur des textes de loi. Les deux cas précédents concernaient la loi anti-casseurs de 2019 et loi état d'urgence sanitaire de mars 2020. Mais ce n'est pas une pratique répandue sous la Vème République », rappelle à La Tribune, Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit public à Nanterre.
Lors de ses voeux 2024, le président du Conseil, Laurent Fabius, a mis en garde l'exécutif dans un long discours. « Monsieur le Président, le Conseil constitutionnel n'est pas une chambre d'écho des tendances de l'opinion publique, il n'est pas non plus une chambre d'appel des choix du Parlement, il est le juge de la constitutionnalité des lois ». L'ancien ministre des Affaires étrangères sous François Hollande a regretté que « à l'occasion des débats sur les lois concernant deux questions très sensibles, les retraites et l'immigration, le Conseil constitutionnel s'est retrouvé au milieu de passions contradictoires et momentanément tumultueuses ».
1- Une censure partielle
Sans vraiment de surprise, le scénario le plus probable est la censure partielle du texte de loi. La plupart des constitutionnalistes contactés par La Tribune pronostiquent une conformité partielle. Après d'âpres débats et de pourparlers, l'exécutif a laissé passer des articles jugés contraires à la Constitution de la Vème République. Le jour du vote, le 19 décembre, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a ainsi reconnu devant le Sénat que certaines d'entre elles « sont manifestement et clairement contraires » au texte suprême. Et le président de la République, Emmanuel Macron a récemment envisagé lors de la récente conférence de presse que le texte soit « corrigé de ses censures éventuelles ».
Les juristes devraient viser en particulier « les cavaliers législatifs », c'est-à-dire des ajouts sans lien suffisant avec la version initiale du gouvernement. Au total, plusieurs dizaines d'articles sur 86 sont sur la sellette. Dans ses saisines, la gauche en dresse une longue liste, incluant le durcissement des conditions du regroupement familial (avec une durée de résidence requise passant de 18 à 24 mois) ou encore l'instauration d'une « caution retour » pour les étudiants étrangers.
Plusieurs saisines concernent notamment l'accès à certaines prestations sociales ou familiales, dites non contributives (APL par exemple). « Il est possible qu'il y ait des censures partielles sur les articles provoquant une rupture d'égalité ou sur ceux relatifs au regroupement familial », explique Véronique Champeil-Desplats. Sur ce sujet, la Défenseure des droits Claire Hédon a pointé le risque que le texte porte « une atteinte grave aux principes d'égalité et de non-discrimination » et « aux principes fondamentaux » de la République.
Les juges doivent également apprécier la proportionnalité de certaines mesures. Le Conseil « devra ainsi déterminer si le délai de carence de 5 ans avant de pouvoir toucher les APL et le délai de présence de 5 ans pour toucher les allocations familiales ne sont pas excessivement attentatoires aux droits sociaux des étrangers », explique Agnès Roblot-Troizier, professeur de droit public directrice de l'École de Droit de la Sorbonne dans un article. Enfin, le flou de certaines dispositions pourraient également amener les juges à retoquer partiellement le texte.
2- Une censure totale
La censure totale du texte de loi semble improbable aux yeux de la plupart des juristes. Ce scénario n'est arrivé qu'à 20 reprises sur 400 textes dans l'histoire de la Vème République selon un décompte réalisé par l'AFP. « La censure totale est peu probable mais possible. Le Conseil peut notamment décider de censurer les articles portant atteinte à la séparation des pouvoirs. La tendance ces dernières années est que le Conseil constitutionnel cible des dispositions précises », souligne Véronique Champeil-Desplats. Parmi les exemples de censure totale récente : la loi de 2012 sur le logement social défendue par l'ex-ministre Cécile Duflot, pour laquelle les procédures de discussion au Sénat n'ont pas été respectées.
À l'époque ce revers avait provoqué un malaise au sein du gouvernement du premier ministre socialiste Jean-Marc Ayrault. En cas de censure totale, le gouvernement Attal pourrait choisir d'enterrer le texte. Mais ce serait un désaveu terrible pour Emmanuel Macron déterminé à faire passer cette loi sur l'immigration depuis le début de son second mandat.
3- Le texte validé dans son intégralité
Après un mois d'échanges et de confrontations, le Conseil constitutionnel peut également valider l'ensemble du texte de loi. Mais c'est un scénario hautement improbable.
Au printemps dernier, les Sages avaient validé une grande partie des mesures de la réforme des retraites à l'exception de six articles. Dans l'hypothèse d'une validation totale, le chef de l'Etat dispose de quinze jours pour promulguer la loi. Il peut « avant l'expiration de ce délai, demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée », selon la Constitution française. Une configuration très rare sous la Vème République.
Au Conseil constitutionnel, des censures surtout partielles Le Conseil Constitutionnel, a censuré plus de 400 lois votées par des majorités de droite ou de gauche depuis 1958, mais très majoritairement de façon partielle. S'agissant des lois, seules 20 décisions de constitutionnalité (DC) ont abouti à un verdict de non conformité totale et 382 de non conformité partielle, selon le dernier bilan du Conseil arrêté au 30 juin 2023. A l'opposé 437 textes ont été déclarés conformes.