Loi sur les « polluants éternels » (PFAS) : le gouvernement affiche sa réserve avant les débats à l’Assemblée nationale

La proposition de loi contre les PFAS, les molécules de synthèse surnommées « polluants éternels », sera débattue ce jeudi devant l'Assemblée nationale. Elle suscite toutefois déjà « la réserve » du gouvernement. Ce dernier préfère l'approche européenne de ce sujet, « basée sur la science ».
Les PFAS, dont la molécule la plus connue a donné naissance au Téflon des poêles, ont été développées après-guerre pour conférer aux emballages, peintures et revêtements une résistance exceptionnelle à l'eau ou à la chaleur.
Les PFAS, dont la molécule la plus connue a donné naissance au Téflon des poêles, ont été développées après-guerre pour conférer aux emballages, peintures et revêtements une résistance exceptionnelle à l'eau ou à la chaleur. (Crédits : Groupe SEB)

Attendue ce jeudi à l'Assemblée nationale, la proposition de loi contre les substances « per- et polyfluoroalkylées », ou PFAS, devrait faire l'objet d'un débat nourri. Portée par le député EELV de Gironde, Nicolas Thierry, elle prévoit, dans sa rédaction actuelle, d'interdire, à compter du 1er janvier 2026, « la fabrication, l'importation, l'exportation et la mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit » de tout ustensile de cuisine, ou produit cosmétique, fart pour les skis ou produit textile contenant de telles substances.

Pour rappel, ces molécules de synthèse, surnommées « polluants éternels », dont la plus connue a donné naissance au Téflon des poêles, ont été développées après-guerre pour conférer aux emballages, peintures et revêtements une résistance exceptionnelle à l'eau ou à la chaleur. Une qualité devenue une menace puisque ces substances sont quasi-indestructibles et s'accumulent, avec le temps, dans l'air, le sol, les eaux des rivières, la nourriture et jusqu'au corps humain.

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Suivre le rythme européen

À la veille des échanges autour de cette proposition de loi, une source gouvernementale a fait part ce mercredi de « la réserve » de l'exécutif sur ce projet de texte.

« Nous serons toujours aux côtés des consommateurs dès lors qu'il s'agit de les protéger de substances ou d'usages dont la nocivité est avérée », mais « nous sommes [aussi] attachés à la politique économique conduite depuis 2017 et qui a permis de mettre fin à l'hémorragie industrielle », a-t-elle indiqué à l'AFP, citant les « 600 usines ouvertes, et la création de 130.000 emplois industriels ».

Selon elle, le gouvernement pencherait plutôt pour suivre le calendrier européen. Un travail sur les PFAS est « en cours » à l'échelle des Vingt-Sept. Un travail « scientifique, donc long et complexe, et nous devrons attendre encore au moins un an les résultats », a ajouté la source gouvernementale. Pour elle, « l'empressement, en l'absence d'analyse scientifique consolidée, ne peut être que contre-productif ».

« Il faut éviter de légiférer tous azimuts alors qu'un tel sujet exige au contraire une vraie rigueur scientifique dans l'approche, au risque sinon d'avoir des effets de bord massifs, que ce soit pour notre industrie ou même pour les consommateurs », a-t-elle insisté.

Pour conclure, cette même source a indiqué que la proposition de loi « suscite donc notre réserve, car elle constitue un acte de défiance envers un process européen, scientifique, basé sur le règlement Reach reconnu par ONG et industriels comme un des cadres de surveillance des produits chimiques les plus ambitieux au monde », a-t-elle résumé, assurant que « cette réserve était partagée par de nombreux parlementaires ».

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Une position que devrait soutenir ce jeudi le ministre de l'Industrie, Roland Lescure, à l'Assemblée, sur les bancs du gouvernement. Et qu'a tenu ce mercredi Gabriel Attal, interpellé par une députée écologiste, lors des questions au Premier ministre. Il a souligné que le gouvernement « se bat(tait) au niveau européen » pour « réduire la présence de ces molécules notamment dans les emballages alimentaires ».

« Nous avons eu une première victoire à Bruxelles. C'est bien au niveau européen qu'il faut se battre sur ce sujet-là, le levier européen est le bon levier » afin de ne pas affaiblir l'industrie française au dépends de celles des pays voisins, a-t-il déclaré.

Effet encore à prouver, mais prudence de mise

Il est vrai que les effets des PFAS restent, encore aujourd'hui, difficiles à mesurer. Si les données manquent, Yann Aminot, chercheur à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), fait toutefois le parallèle avec les perturbateurs endocriniens : ces derniers ne suivent pas le principe « la dose fait le poison » et sont toxiques même à très faible concentration. Surtout, « un organisme sauvage n'est jamais exposé à un seul PFAS, mais à un cocktail de PFAS et aussi de micropolluants », rajoute Pierre Labadie, chercheur au CNRS. En attendant de connaître les effets cumulés, il invite donc à prendre toutes les précautions sans attendre.

Une chose est en revanche déjà sûre : de multiples études ont établi la diffusion massive des PFAS, via le transport des molécules dans l'air, l'eau et à travers la chaîne alimentaire. « Aucun écosystème n'échappe aux contaminations », assure Yann Aminot. La prise de conscience de cette dissémination date de 2001, quand une étude américaine a fait la synthèse des recherches menées autour des Grands Lacs d'Amérique du Nord, en mer Baltique et en mer Méditerranée. Résultat, de le pygargue à tête blanche à l'ours polaire en passant par l'albatros et diverses espèces de phoques, tous étaient contaminés.

Aujourd'hui, la famille des PFAS contient plus de 4.000 molécules. Mais on connaît la contamination mondiale pour seulement une « vingtaine d'entre eux, les plus stables », selon Yann Aminot. « Ce n'est que la partie émergé de l'iceberg », prévient-il.

Les salariés du groupe Seb à Paris pour manifester

Au son d'un concert de casseroles, des centaines de salariés du groupe Seb, soutenus par leur direction, se sont rassemblés ce mercredi à Paris pour demander le « retrait » du projet de loi sur les PFAS ou polluants éternels.

« On vient manifester pour garder notre emploi, ce qui est importé ce n'est pas mieux que ce qu'on a en France » a déclaré à l'AFP Geneviève Priolo, salariée depuis 32 ans à l'usine de Rumilly (Haute-Savoie), pour qui les poêles « ne sont ni toxiques, ni cancérigènes ».

Le directeur général de Seb, Stanislas de Gramont, voit dans ce projet de texte d'interdiction « une menace très directe » sur les 3.000 emplois des deux usines du groupe - celle de Rumilly et une à Tournus (Saône-et-Loire) - qui fabriquent notamment les poêles Tefal. Selon lui, le PTFE (polytétrafluoroéthène), utilisé pour le revêtement anti-adhésif de 90% de ses poêles, n'est pas dangereux.

Signe en tout cas que la mobilisation du groupe Seb semble commencer à peser, un amendement déposé par le député Modem Cyrille Isaac-Sibille entend décaler l'interdiction appliquée aux ustensiles de cuisine au 1er janvier 2030.

(Avec AFP)

Commentaires 6
à écrit le 04/04/2024 à 9:33
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Oui oui "basée sur la science financée par les pollueurs". Imposteurs.

à écrit le 04/04/2024 à 1:22
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[ Ce dernier préfère l'approche européenne de ce sujet, "basée sur la science". ] L'approche de la science ou de la scientologie financée par le lobbying industriel? Si j'ai bon souvenir la médecine a fait état d'une toxicité biologique de c...

à écrit le 03/04/2024 à 18:33
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Comme pour les pesticides, dès que cela risque de perturber le business, les Allemands préfèrent empoisonner le monde, et l'Europe dont la France lui emboitent le pas. C'est vrai quand même, monsieur le député Isaac-Sibille : on ne va pas risquer des...

à écrit le 03/04/2024 à 18:00
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C'est bien les PFAS, c"est juste un tout petit peu cancérigène. Une poêle c'est en acier noir, ça ne se lave pas on l'essuie seulement avec du papier journal. Si on veut réussir une omelette, y a pas le choix. Tous les "vrai" cuisiniers vous le diro...

à écrit le 03/04/2024 à 17:56
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On est tous contaminé par une substance qui ne disparaitra jamais mais bon hein il y a quand même 3 000 emplois en jeu. Un arrière goût de déjà vu... amiante vous avez dit amiante ?

à écrit le 03/04/2024 à 17:56
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On est tous contaminé par une substance qui ne disparaitra jamais mais bon hein il y a quand même 3 000 emplois en jeu. Un arrière goût de déjà vu... amiante vous avez dit amiante ?

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