« Jour 1, je bloque les prix » de tous les produits de première nécessité. Jean-Luc Mélenchon en avait fait la promesse pendant la campagne présidentielle. Si sa défaite au premier tour puis l'échec de la Nupes à former une majorité absolue à l'Assemblée en ont empêché l'application de cette proposition, la mesure reste dans l'air du temps à mesure que l'inflation s'installe dans le paysage économique. Les gouvernements européens rivalisent d'inventivité et de dépenses pour tenter de freiner l'accélération brutale des prix. En France, s'il a gelé les tarifs réglementés du gaz et de l'électricité, l'exécutif semble exclure l'option d'un blocage des prix imposé de manière unilatérale aux entreprises et favorise des aides qui garantissent un prix bas au consommateur et une marge aux entreprises, comme la ristourne sur le prix à la pompe.
Néanmoins, la possibilité légale de bloquer les prix existe dans le Code du commerce dans « une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ». L'Etat y a eu recours plusieurs fois au XXème siècle sous le Front populaire, à la fin de la Seconde guerre mondiale et pendant la première guerre du Golfe. Avec des fortunes diverses.
Alors, l'Etat doit-il procéder à un blocage des prix pour endiguer l'inflation, ne serait-ce que sur certains produits spécifiques ?
« L'inflation fait un retour fracassant dans le quotidien des ménages et dans les débats de politiques économiques. En juin, l'Indice des Prix à la Consommation augmentait de 5,8% et cette augmentation s'intensifie : en mai, cet IPC était à 5,2% et l'Insee prévoit une hausse proche des 7% à la fin de l'année. La surprise est d'autant plus grande que depuis les années 1980, l'inflation avait disparu ; rarement la hausse des prix a excédé 2% en 35 ans. Et seules les banques centrales et les conservateurs continuaient à agiter la peur de l'inflation comme un chiffon rouge pour justifier des politiques monétaires restrictives.
Or, l'inflation est avant tout une question de répartition des richesses et touche durement les plus fragiles et la classe moyenne. Aujourd'hui, elle est relativement plus faible en France que chez nos voisins européens ou aux États-Unis (+8,6% en mai !). Mais la fragilisation du pouvoir d'achat en France depuis des années rend cette hausse difficilement supportable alors qu'en Allemagne ou en Espagne, les salaires minimums se sont fortement revalorisés ces dernières années. Que faire pour maintenir le pouvoir d'achat et éviter une catastrophe sociale ? La revalorisation des salaires semble politiquement et économiquement difficile et la solution du blocage des prix est de plus en plus discutée.
Ses opposants affirment que bloquer les prix risque d'entamer les marges des entreprises et de renforcer l'opacité du marché car les prix seraient un signal pour les agents économiques. Qu'en est-il en réalité ? Aujourd'hui, il ne s'agit pas d'administrer tous les prix mais bien de bloquer ceux qui pèsent le plus lourdement dans la consommation des Français, à savoir le carburant et certains produits de première nécessité. La perspective de la baisse des marges des grands pétroliers serait alors loin d'être catastrophique. Rappelons tout de même que TotalÉnergies a enregistré des profits records en 2021 (16 milliards de dollars) et qu'il ne serait pas scandaleux que ses marges se réduisent au moment où l'ensemble de l'économie souffre de la hausse du carburant. Idem pour les produits de premières nécessités. La grande distribution dégage des marges confortables (notamment grâce à son poids auprès des fournisseurs) et a moins souffert que d'autres pendant les confinements puisque c'étaient les seuls lieux de consommations autorisés à ouvrir. D'ailleurs, les distorsions de prix existent déjà dans de nombreux secteurs et le « prix comme signal » reste une utopie. Les positions d'oligopole, voire de monopole, se sont multipliées ces dernières années, brouillant nécessairement la fixation des prix.
Mais au-delà de l'inflation que nous connaissons, le questionnement autour du blocage des prix ouvre d'autres débats. Implicitement, il refait le lien entre le pouvoir d'achat, le niveau des salaires et celui des prix. Nous voyons bien que la principale problématique est le manque de revalorisation salariale depuis des années. En outre, il pose à nouveau la question de la régulation des prix. Le marché livré à lui-même n'est pas toujours, loin s'en faut, efficient comme on le constate pour les matières premières et l'intervention publique est nécessaire. En ces temps de fortes instabilités et incertitudes, il serait sans doute souhaitable, plus que les bloquer, de stabiliser les prix aussi bien pour les consommateurs que pour les entreprises. D'ailleurs, le prix unique du livre nous montre que la régulation des prix est possible et a permis de soutenir le secteur de l'édition, d'éviter les variations de prix et de garantir l'accès partout des livres. Enfin, cela nous amène à penser à d'éventuels nouveaux outils d'aides sociales de transition écologique en garantissant l'accès à certains biens essentiels. »
« Le blocage des prix n'est pas la mesure adaptée à la situation inflationniste actuelle. L'inflation actuelle, qui dépasse 5 %, appelle des mesures pour soutenir le pouvoir d'achat des ménages. Cependant, le blocage des prix risque de créer plus de problèmes qu'il n'apportera de solutions. Il n'y a aucune raison, politique ou sociale, de soutenir le pouvoir d'achat des ménages aisés qui peuvent payer plus cher leur carburant ou leur alimentation. Le principal défaut du blocage des prix est son caractère indifférencié, alors que les mesures prises gagneraient à être ciblées à destination des ménages modestes. Des politiques d'aides directes (chèque inflation ou alimentation par exemple) permettraient ce cibler l'aide aux ménages qui en ont réellement besoin.
Le blocage des prix peut être financé par l'Etat, qui comble la différence entre le prix de marché et le prix fixé, comme cela a été fait concernant le gaz et l'électricité. Les 10 % des ménages les plus aisés consomment en moyenne deux fois plus d'énergie que les 10 % des ménages les plus modestes, avec cette mesure le budget de l'Etat est deux fois plus mis à contribution pour financer la consommation des ménages aisés par rapport aux ménages modestes. L'argent public serait plus efficacement utilisé si les sommes engagées étaient directement dirigées vers les ménages dans le besoin.
Le blocage des prix peut également être à la charge des entreprises. Dans ce cas, l'Etat impose un prix plafond sans apporter aucune compensation aux entreprises. Cette approche souffre également du fait qu'elle profitera plus aux ménages aisés, qui consomment plus que les ménages modestes. Mais elle risque également d'aggraver le problème. Car l'inflation résulte d'un excès de demande par rapport à l'offre. Réduire les marges des entreprises (qui sont déjà elles-mêmes impactées par la hausse du prix des matières premières), voire les contraindre de vendre à perte si le prix plafond est fixé à un niveau trop faible, ne les incite pas à produire plus, voire pourrait les contraindre d'arrêter la production.
Dans ce scénario, les prix seraient certes bloqués mais des pénuries pourraient apparaître car l'offre pourrait se contracter et ne plus être en mesure de répondre à la demande. Il pourrait en résulter une situation qui était celle de l'ex-URSS : les prix étaient bloqués mais les pénuries dans les magasins créaient de longues files d'attente. Les consommateurs ne payaient donc pas la rareté en termes monétaires mais en nombre d'heures d'attente. »